
Antisémitisme : la majorité cible la « gauche Corbyn »
Sébastien Schneegans | 12 septembre 2023
Les députés Renaissance Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan organisaient, lundi 11 septembre, un colloque sur les « habits neufs de l’antisémitisme ».
« Où est la gauche ? » La voix indignée de l’historien et essayiste Marc Knobel s’élève dans la salle Colbert de l’Assemblée nationale. Un silence s’impose. Quelques regards se fixent sur l’imposant tableau représentant Jean Jaurès à la tribune en train d’apostropher Clemenceau. Puis, sous le regard sévère de Jaurès, Marc Knobel reprend, solennel : « Toute compromission sur ce sujet serait marquée du sceau de l’infamie. » Il est généreusement applaudi par les 200 personnes venues assister, lundi 11 septembre, à ce colloque sur les « habits neufs de l’antisémitisme » organisé par les députés Renaissance Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan.
Ces deux heures d’échanges, ponctuées par trois tables rondes – « le complotisme et la haine des juifs », « la haine d’Israël et la haine des juifs » et « l’islamisme et la haine des juifs » –, offrent un tableau assez complet de la progression de l’antisémitisme en France. Elles permettent aussi de rappeler, chiffres précis et données factuelles à l’appui, qu’un basculement s’est produit : la « gauche Corbyn » semble avoir supplanté la « gauche Jaurès ». Pour rappel, le député anglais Jeremy Corbyn a été exclu du Parti travailliste, dont il a été le leader, en raison de sa complaisance vis-à-vis de propos antisémites dans son propre parti.
« L’antisémitisme n’est plus, depuis longtemps, l’apanage de l’extrême droite, pointe Caroline Yadan, députée de Paris. Au gré de l’actualité, les habits antisémites du présent se drapent d’antisionisme, d’islamisme, de complotisme, et sont revêtus par des partis politiques qui ont décidé, désormais sans aucune retenue, de privilégier ce qu’ils pensent être leur électorat plutôt que ce qui forge leur honneur. » Et d’être on ne peut plus ferme sur Médine, « rappeur islamiste et antisémite adepte de la quenelle, des Frères musulmans et des doubles discours, ami de Tariq Ramadan et de Dieudonné, admirateur d’Alain Soral et auteur d’un calembour déshumanisant sa victime juive ». L’invitation de ce rappeur est symptomatique, selon l’élue, du « mal ancré dans la gauche Corbyn ». L’antisémitisme, porté par l’extrême droite maurrassienne à la fin du XIXe siècle, « s’est enkysté à l’extrême gauche », achève-t-elle.
De récentes études soulignent en tout cas que les électeurs d’extrême gauche sont plus sensibles aux complots antisémites que le reste de la population. La dernière édition de la radiographie de l’antisémitisme en France – réalisée en 2022 par la Fondapol et l’American Jewish Committee – est, par exemple, très éclairante. L’affirmation selon laquelle « les juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est partagée par 33 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, contre 26 % dans l’ensemble de la population.
30 % des électeurs Insoumis considèrent qu’utiliser les vieux préjugés antisémites pour désigner les Israéliens relève d’une critique légitime plutôt que d’une opinion relevant de l’antisémitisme, contre 16 % chez l’ensemble des Français. Un autre sondage réalisé par l’Ifop pour Marianne en 2019 révélait que 20 % des électeurs de LFI étaient d’accord avec l’assertion suivante : « Les juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt le statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. »
Haine d’Israël et antisémitisme
Alors que « l’obsession antijuive évolue », Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, estime que l’extrême gauche porte « une lourde responsabilité » en confondant, au nom du principe d’« intersectionnalité des luttes », l’antiracisme et l’antisémitisme. « Ces deux notions sont fondamentalement opposées puisque l’antisémitisme est fondé sur un sentiment d’infériorité, nettement plus dangereux que le sentiment de supériorité. » Emmanuel Debono, historien invité à l’occasion de ce colloque, est allé essayer de l’expliquer aux universités d’été de La France insoumise, près de Valence. En vain. « LFI ne comprend pas l’antisémitisme musulman », en a-t-il conclu. Ou peut-être le comprend-il parfaitement, lui a en somme répondu le sociologue Bernard Rougier, auteur, notamment, des Territoires conquis de l’islamisme.
L’universitaire a rappelé que l’antisémitisme avait « une fonction stratégique dans les banlieues », où haine d’Israël et islamisme peuvent se mêler. « C’est un antisémitisme codé, mal identifiable, mais très efficace », a-t-il résumé. D’un côté, Houria Bouteldja, cofondatrice du Parti des indigènes de la République, affirme carrément qu’« on ne peut pas être israélien innocemment » ; de l’autre, les préjugés antisémites sont promus dans les milieux salafistes et fréristes. Les deux se complètent. Afin d’étayer son propos, Bernard Rougier cite un dernier chiffre : selon l’enquête de la Fondapol précitée, 15 % des musulmans reconnaissent éprouver de l’antipathie pour les juifs, soit une proportion supérieure de 10 points à celle mesurée dans l’ensemble de la population française. Au terme du colloque, chacun se quitte en fixant une dernière fois Jaurès et en songeant à la célèbre phrase prononcée par le socialiste dans son « Discours à la jeunesse » : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. »
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François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache et Dominique Reynié, Radiographie de l’antisémitisme en France – Édition 2022, janvier 2022

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