«Budget, pénurie: comment allons-nous sortir de ce désordre?» – la chronique d’Erwan Le Noan

Erwan Le Noan | 16 octobre 2022

Il ressort du contexte une impression d’impuissance politique, d’autant plus forte que la gesticulation est intense.

Le 11 octobre, le ministre de l’Economie s’est emporté contre un élu RN qui lui reprochait d’être « lâche ». En 2006, Dominique de Villepin avait proféré la même accusation contre François Hollande, conduisant la gauche furieuse à quitter l’hémicycle. La vie parlementaire est faite d’esclandres et d’invectives ; mais une Chambre animée est probablement préférable au parlement « qui se tait » vanté par Eugène Rougon chez Zola.

La confusion qui se dégage des discussions autour du projet de loi finances ne tient toutefois pas tant à la vitalité des débats, qu’à l’irrésistible impression d‘être les spectateurs d’un théâtre dont les acteurs ne perçoivent plus qu’ils lassent par leur jeu exagéré et pesant. Leurs colères semblent feintes, leurs indignations affectées, leurs applaudissements mécaniques.

Pis encore, alors que les uns ne semblent plus parvenir à faire avancer leurs propositions, faute d’avoir un projet directeur, les autres s’emploient à provoquer des blocages institutionnels pour susciter la crise politique, posant les ferments de la division nationale et du délitement démocratique. Ils courent vers le bord du précipice avec l’espoir médiocre d’être les derniers à chuter.

Dans ce vaudeville, la difficulté de l’Etat à constater la pénurie a exacerbé l’exaspération : il n’y a de pire moteur de colère que les discours en contradiction avec la réalité

En dehors du Parlement, les files pour s’approvisionner en carburant s’allongent, une minorité d’enragés conduisant le pays au blocage. Leur succès nourrit l’idée délétère que le chantage est efficace – et le civisme laborieux, vain. Dans ce vaudeville, la difficulté de l’Etat à constater la pénurie a exacerbé l’exaspération : il n’y a de pire moteur de colère que les discours en contradiction avec la réalité. Le tout intervient dans un contexte de grande fébrilité : les entreprises s’inquiètent de la crise économique à venir et les consommateurs de l’inflation.

Impasse. La puissance publique s’est placée dans une impasse. Bénéficiant de ressources croissantes sans produire de résultats satisfaisants, elle montre ses insuffisances : les usagers sont impatients, les agents mécontents. Plus encore, en vantant la mobilisation générale à la façon des pires épreuves guerrières, elle a favorisé des attentes immenses de la part des citoyens, qui peinent à comprendre pourquoi se refermerait le robinet de l’argent facile.

Autant d’indicateurs qui constituent des signaux de moins en moins faibles d’une insuffisance structurelle dans la gouvernance du pays. Au-delà des péripéties du moment, les raisons sont inscrites depuis longtemps dans des institutions qui donnent à l’Etat un rôle semi-divin et entretiennent la fiction selon laquelle la désignation populaire d’un élu providentiel pourrait, par la magie du « volontarisme », résoudre soudain les problèmes les plus complexes. Aucun être humain n’étant démiurge ni thaumaturge, la déception est inévitable.

Il en ressort une impression d’impuissance politique, d’autant plus forte que la gesticulation est intense. C’est un péril immense car, dans un pays fasciné par la puissance, la lassitude peut rapidement faire sombrer les élans bonapartistes dans le caporalisme – dès lors qu’un illusionniste promettra de rétablir l’ordre. Certes, il échouera aussi, mais en emportant un peu plus notre âme démocratique et notre liberté.

Pour sortir de la nasse, le politique doit d’abord retrouver le sens de la modestie. La complexité ne se gère pas de façon centralisée. Elle ne s’appréhende pas par des plans. Elle ne se traite pas par des certitudes. Elle ne se résout pas seul.

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