
Dans les coulisses de la lutte contre les influenceurs islamistes
Christophe Cornevin | 19 octobre 2021
Le ministère de l'Intérieur développe, depuis novembre dernier, une discrète unité de contre-discours républicain (UCDR).
Le ministère de l'Intérieur développe une Unité de contre-discours républicain. Analystes et spécialistes du web s'unissent pour casser la rhétorique des prêcheurs de haine.
Face à l’offensive orchestrée depuis des années par les islamistes sur les réseaux sociaux pour manipuler les esprits, insuffler leurs codes et jeter les bases d’une contre-société obscurantiste à l’échelle de quartiers entiers, la République change de braquet et contre-attaque.
L’idée de riposter, préconisée par Emmanuel Macron lors de son discours des Mureaux, le 2 octobre 2020, s’est imposée comme une évidence au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, décapité en pleine rue quelques jours après avoir été jeté en pâture sur le Web. C’est notamment via Twitter que le tueur a identifié le professeur, appris comment le tuer et s’est enivré d’une idéologie, celle du « djihadisme d’atmosphère » décrit par Gilles Kepel.
« Guerre d’influence »
Soucieux de ne plus céder un pouce de terrain à l’islam politique qui distille la haine et de tordre le cou aux thèses complotistes sur lesquelles les religieux radicaux prospèrent, le ministère de l’Intérieur, sous la houlette de Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, développe, depuis novembre dernier, une discrète unité de contre-discours républicain (UCDR).
Forte de 17 membres et ayant vocation à monter puissance en 2022, cette structure est composée d’« analystes » roués aux usages de la propagande islamiste, de community managers, d’anciens journalistes ou d’infographistes spécialisés dans le « motion design », c’est-à-dire l’art de rendre attractive une vidéo pédagogique. « Ces profils très variés permettent d’opérer une veille, d’analyser les contenus avant de mener la riposte sur Twitter, Facebook, Instagram ou encore TikTok où s’activent des prédicateurs de haine », précise-t-on au ministère de l’Intérieur, dont les services ont établi que « environ 80 % des contenus relatifs à des recherches sur l’islam sont désormais connectés à la sphère salafiste et à l’islamisme radical ».
Pour mener ce que Beauvau nomme la «guerre d’influence», les fantassins de la République ripostent pour « contrecarrer les arguments fallacieux, les manipulations, les calomnies et les mensonges qu’il s’agit de rectifier ». Au total, une vingtaine d’influenceurs islamistes, « tous francophones et connectés avec l’étranger », sont en particulier dans le viseur. « Jusqu’ici, aucun organisme officiel ne s’en préoccupait », souffle-t-on de même source, où l’on revendique désormais des actions de « name and shame » (« nommer et couvrir de honte », NDLR) pour démasquer les propagandistes et dévoiler leurs intentions réelles.
Discours victimaire
C’est ainsi que, dès l’hiver dernier, l’unité de contre-discours a ciblé Marwan Muhammad devenu, selon le ministère de l’Intérieur, le « fer de lance de la mouvance “frériste” depuis la chute de Tariq Ramadan ». Responsable de l’ex-Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), assimilé par Gérald Darmanin comme « officine islamiste œuvrant contre la République » et dissout fin 2020, il est présenté comme le chantre d’un discours victimaire couramment pratiqué par la sphère radicale.
« Selon sa doxa, qui vise à distordre la réalité et des concepts qui sont au cœur des valeurs de la République, la communauté musulmane est victime d’un complot raciste et xénophobe porté par l’État qui ferait tout pour museler, voire criminaliser les Français de confession musulmane. La défense de la laïcité est, quant à elle, considérée comme un concept d’extrême droite », s’indigne-t-on place Beauvau. « Nous ne sommes pas du tout en train de cibler les musulmans, bien au contraire de les protéger. Les musulmans sont les premières victimes de l’islamisme dans le monde », renchérit-on de même source, où l’on rappelle qu’une étude de la Fondation pour l’innovation politique a établi, le mois dernier, que la violence islamiste a provoqué la mort de 210.000 personnes entre 1979 et 2021, avec un ratio de 90 % des musulmans parmi les victimes.
L’impact des influenceurs islamistes sur les réseaux est considérable
Un des responsables de l’UCDR « L’impact des influenceurs islamistes sur les réseaux est considérable et tous ont vocation à avoir en face d’eux notre unité de contre-discours pour clarifier et rectifier ce qui doit l’être », prévient un des responsables de l’unité. Via le compte du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, la « task force » républicaine a été à l’origine de 25 ripostes, ciblant des associations jugées venimeuses et dissoutes, comme BarakaCity, des activistes, ou encore des « fake news » liées au port du voile ou à la mosquée de Strasbourg, par exemple.
Outre la promotion des valeurs républicaines à travers des trajectoires individuelles exemplaires, comme celle de Lassana Bathily, qui avait sauvé des vies lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher de Vincennes le 9 janvier 2015, l’UCDR poste aussi, sur @république-gouv des « décryptages » qui font mouche. Ainsi, celui qui détricote l’amalgame entre islam et islamisme a fait l’objet de 2,8 millions de partages sur les réseaux.
« Sur le Web, la guerre des idées ne peut être menée que sous la double dimension qualitative, mais aussi quantitative , observe un préfet. Quelle que soit la pertinence de la démonstration, elle est noyée si elle ne bénéficie pas d’un effet de masse. »
Reprendre la main
Au ministère de l’Intérieur, où personne ne semble ignorer que la France accuse un sacré retard par rapport à des réseaux structurés implantés depuis des années, l’enjeu est donc de reprendre la main sur le «Web social». « Outre les charges phénoménales menées par des puissances étrangères, notamment depuis la Turquie, contre la France et le président de la République pour discréditer son discours, nous devons aussi désormais prendre en compte les chaînes de robots qui sont à l’origine de 75 % des contenus toxiques », souffle-t-on au ministère, qui déclare donc un vif intérêt à solliciter « toutes les forces de la société civile ».
Dans le cadre d’un plan Marianne, porté par Marlène Schiappa, 2,5 millions d’euros ont permis de financer 17 projets. Portés par des associations et des ONG ayant pignon sur rue, ils visent à décrypter les processus du complotisme, « déringardiser » les messages pro-républicains et croiser le fer avec les cyber-extrémistes. « Nous ne sommes pas naïfs et ce n’est pas en trois tweets que nous allons obliger les propagandistes de la haine en ligne à déposer les armes , admet Marlène Schiappa. Mais ne rien faire serait la pire des désertions, d’autant que chaque épisode est exploité avec une mauvaise foi caractérisée. »
En essayant de convaincre les internautes et d’apaiser les tensions sur la Toile, les mousquetaires du contrediscours ont aussi dans leur collimateur les activistes de la droite identitaire. Avec un objectif: éviter à tout prix le « choc des civilisations » théorisé par Samuel Huntington il y a un quart de siècle, et qui peut à tout moment fracturer la France.
Lire l’article sur lefigaro.fr.

Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979 – 2021, (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021).
Aucun commentaire.