« Tout le monde se droitise »

Florence Chédotal | 13 octobre 2019

La tâche est rude pour Les Républicains, pris en étau entre le RN et LREM. Dominique Reynié, directeur du think tank Fondapol et professeur à Sciences Po, observe cette France qui penche à droite.

La droite est-elle morte ?

Ca dépend ce qu’on entend par cette phrase. La France est à droite sur le fond, sur le plan culturel, sur le plan politique, par ses préoccupations, ses attitudes, par sa démographie, par sa sociologie. D’une certaine manière, les partis de droite classique sont en train de disparaître, mais ce n’est pas la droite. Peut-être même que la droite, elle triomphe. Les partis de droite, c’est une chose, mais la droite, c’est autre chose.

Les Républicains justement, ont-ils encore un espace entre LREM et le RN ?

C’est toute leur difficulté. Ils n’ont pas trouvé d’espace et c’est largement de leur faute parce que le simple fait que Macron ait été élu en 2017 est en réalité la conséquence de l’échec des droites auparavant. De la même façon pour le PS d’ailleurs, même si ce n’est pas le sujet. Je ne pense pas simplement à l’élimination de François Fillon, mais plus sur le fond. La droite française qui a gouverné beaucoup depuis 1958 n’a jamais véritablement affirmé une doctrine politique et économique, et encore moins une manière de gouverner, très différentes de la gauche. On n’a pas eu une droite en France qui a fait baisser les impôts et la dépense publique, ni une droite qui a aidé les entreprises ou qui a moins réglementé. Même les agriculteurs, qui étaient une terre de prédilection, ont le sentiment que sous le gouvernement de droite les réglementations, les difficultés, ont été aussi grandes que sous la gauche. Ce n’est pas pour dire que la droite gouvernait à gauche, mais que droite et gauche avaient la même manière de gouverner. D’ailleurs, le Premier ministre qui va privatiser le plus, c’est Lionel Jospin. Il faut additionner le passage à Matignon d’Alain Juppé à celui de Balladur pour avoir l’équivalent en privatisations. Les partis de droite n’ont pas donné le sentiment qu’ils incarnaient une France de droite. C’est ce qui a expliqué leur défaite.

LR peut-il revenir dans la course ?

Pour cela, il faut écarter les deux piliers que sont le RN et LREM et s’installer à nouveau. Ca paraît difficile voire impossible, sauf si, d’ici 2022, Emmanuel Macron chute. Ce qui n’est pas impossible parce que gouverner est difficile. Si Emmanuel Macron, pour une raison grave, s’effondre, c’est plutôt à droite, droite de gouvernement, droite modérée, que le ressort se trouvera, qu’à gauche parce que précisément la France est plus de droite que de gauche. Mais ce ne serait donc pas le résultat d’une stratégie de la droite, mais d’un effondrement, par hypothèse, de la majorité présidentielle. Les évènements, les problèmes liées à l’islamisme, la difficulté à réguler l’immigration, l’agitation sociétale dans le pays, les violences qu’il faut réprimer, les forces de l’ordre qu’il faut envoyer… tout cela droitise un peu plus le pouvoir. On est donc déjà dans un espace politique très à droite entre Macron qui se droitise inévitablement et le RN qui va surenchérir encore de ce côté-là, Donc pour la droite, cela paraît vraiment difficile.

Aujourd’hui, quand vous écoutez les trois candidats à la présidence de LR, vous pensez qu’ils ont compris ce qu’est un vrai programme de droite républicaine et sociale capable de mobiliser ?

Ce n’est pas une tâche facile pour eux… Ils font de la politique, c’est honorable. Ils sont en train aujourd’hui d’essayer d’obtenir la présidence de LR, qui est un parti devenu microscopique avec peu d’électeurs, beaucoup moins de militants et d’adhérents, c’est peu dire, qui n’a plus de chef et qui s’apprête à élire un président qui s’est engagé, s’il était élu, à ne pas être candidat à la présidentielle. Il s’agit d’élire une espèce de bureaucrate de parti. Ce parti LR, si c’est l’héritage du général de Gaulle, c’est un parti de la présidence de la République. C’est très compliqué… Ils sont perdus, les pauvres, car c’est contre leur culture. Donc ces trois candidats doivent arriver à parler à ce qu’il reste des troupes, donc à un auditoire très limité.

On voit d’ailleurs que le discours se radicalise un peu…

Il faut sans doute parler comme cela à ceux qui ne sont pas partis chez les marcheurs ou au RN. Maintenant, sur la droitisation du discours, c’est l’ensemble de la politique qui a glissé à droite. C’est inouï. Souvenez-vous de Manuel Valls, PS, à quel point il avait droitisé son discours. Regardez Emmanuel Macron dans son discours de la préfecture de police de Paris. Tout le monde est allé très à droite sans qu’on s’en rende compte véritablement parce qu’on y va ensemble, ce qui nous donne l’impression de garder la même distance avec le voisin de gauche. Mais en fait tout le monde se droitise. Et ceux qui ne se droitisent pas sont vraiment marginalisés. C’est une droitisation relative par rapport à une position antérieure mais pas par rapport à la société française.

L’ancrage local de LR peut-il résister lors des municipales ?

Je pense que oui, particulièrement les villes. Je répondrais la même chose pour les villes tenues par le PS.

C’est lié à l’attachement pour les maires ?

Il y a deux choses. Il y a cette idée que le maire a correctement fait son travail, donc je vais le reconduire à ce titre, quel que soit son parti. C’est mon maire, je le connais, je le soutiens. Pourquoi essayer autre chose ? Il s’agit d’un vote de reconduction lié à une légitimité locale singulière qui n’a pas d’étiquette mais signe une bonne gestion, reconnue du moins comme telle par l’électeur. La deuxième raison qui vient renforcer celle-la, c’est que notre société est dans un état de profonde préoccupation pour l’avenir avec un monde qui est bouleversé, une Europe qui semble agitée, une France qui n’est pas rassurante. Dans cet univers-là, l’idée de sécuriser ce qui est dans monde à moi, ma proximité, ma famille, mes parents, l’univers local… J’ai plutôt envie de les reconduire pour qu’au moins cela ne bouge pas dans un monde où tout bouge. Cela joue plus fortement, je pense, qu’il y a 20 ans où on pouvait avoir envie de changer de maire pour qu’une réforme soit faite. Dans ce paysage dynamité, on va chercher à garder son environnement.

Xavier Bertrand, en retrait, peut-il être un espoir pour les électeurs LR en 2022?

Il peut être un candidat si le président Macron se trouve dans une situation épouvantablement compliquée et ne peut se présenter. Si on prend l’hypothèse d’Emmanuel Macron candidat avec Marine Le Pen en face, quel est l’effet de l’entrée dans le jeu électoral de Xavier Bertrand ou de Bernard Cazeneuve à gauche ? Prendrait-il des voix au RN ? Je ne crois pas. Ils les prendraient à Emmanuel Macron. Du coup, les deux candidats, Macron et Bertrand, très proches et opposants à Marine Le Pen, s’affaibliraient mutuellement pour un second tour. Sauf si l’usure du pouvoir fait surgir un candidat de la modération face à Marine Le Pen.

 

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