
Intentions de vote : Sarkozy creuse l'écart avec Marine Le Pen
Pascal Perrineau | 16 février 2012
La quatrième vague de l’enquête « Présidoscopie » montre une bipolarisation de la campagne.

Source :
Quatrième vague de l’enquête « Présidoscopie » réalisée en février 2012. LE MONDE
La quatrième vague de l’enquête « Présidoscopie » marque un sensible mouvement de bipolarisation autour des deux grands candidats de droite et de gauche, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui, à eux deux, gagnent cinq points aux dépens de nombre de petits et moyens candidats qui régressent sensiblement : – 1 pour Eva Joly, – 1,5 pour François Bayrou, – 1 pour Dominique de Villepin et surtout – 2 pour Marine Le Pen.
Cette dernière perte, couplée à la dynamique sensible que connaît Nicolas Sarkozy (+2), pourrait donner l’impression d’un simple phénomène de « vases communicants » où l’un récupérerait ce que l’autre a perdu. Comme toujours, les phénomènes de flux d’intentions de vote sont plus complexes et pluriels qu’on veut bien le croire.
Les changeurs qui ont quitté, de la troisième à la quatrième vague, Marine Le Pen l’ont fait au profit de quatre principaux candidats qui ont réussi chacun à capter 0,5 % d’électeurs transfuges : Jean-Luc Mélenchon, François Hollande, François Bayrou et Nicolas Sarkozy.
LE SCÉNARIO DE 2002 S’ÉLOIGNE
De la mi-janvier au début du mois de février, Marine Le Pen n’a attiré que 0,5 % d’électeurs et en a perdu 2,5 %. La perte est sévère et accroît l’écart qui la sépare de Nicolas Sarkozy. Cet écart était à la mi-janvier de cinq points (18 % d’intentions de vote pour Mme Le Pen, 23 % pour M. Sarkozy), aujourd’hui il s’est creusé et le candidat-président fait la course en tête avec neuf points d’avance sur la candidate du Front national (25 % contre 16 %).
Sans être remisé au magasin des accessoires, le scénario de 2002 s’éloigne et un espace, pour l’instant encore ténu, se libère pour une reconquête des droites par Nicolas Sarkozy. Un Front national fort allant de pair avec un éclatement des candidatures à droite contribuaient à contenir la candidature du président sortant.
Le renoncement déclaré de candidats de droite (Christine Boutin, Hervé Morin…) redonne de l’oxygène. Une érosion du capital électoral de Marine Le Pen peut laisser espérer à Nicolas Sarkozy une capacité à se réinscrire au cœur du dispositif de cette campagne présidentielle.
DÉBUT DE REDISTRIBUTION ÉLECTORALE
Même si l’érosion lepéniste a des conséquences bien au-delà de la seule droite, puisque la gauche et le centre montrent leurs capacités à en récupérer une partie non négligeable, pour l’issue électorale de la joute présidentielle, un combat essentiel se met en place au sein des droites entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. On sait l’importance de ce duel dans l’issue de précédents affrontements présidentiels. En 2007, c’est bien sûr la reconquête électorale de nombre d’électeurs lepénistes qui ouvrira le chemin de l’Elysée à M.Sarkozy.
Il est trop tôt pour dire si un scénario de ce type est en train de se mettre en place mais, pour la première fois depuis de longs mois, un début de redistribution électorale est à l’œuvre. Marine Le Pen a perdu, au cours des quatre dernières semaines, 2 % d’intentions de vote.
Cette érosion est sensible dans certaines catégories populaires (–3 chez les employés, – 3 chez les personnes vivant avec un revenu mensuel du foyer inférieur à 1200euros), chez les inactifs (–6) et dans des milieux qui gravitent aux confins des droites classique et extrême (–6 chez les électeurs qui avaient choisi Jean-Marie Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2007 puis Nicolas Sarkozy au second tour, – 19 chez les électeurs qui avaient voté en faveur de Philippe de Villiers en 2007).
IMAGE ÉVOLUTIVE
On sait que, dans le passé, le vote frontiste s’est nourri de la conjonction de deux courants : celui de la radicalisation politique d’une partie de la droite classique et celui de la protestation sociale d’électeurs populaires venant de tous les horizons. La vague 4 de notre enquête « Présidoscopie » montre qu’un léger mouvement de reflux est à l’œuvre dans ces deux milieux. Pourquoi ce mouvement de reflux?
Tout d’abord, la montée au créneau de M. Sarkozy sur des thèmes qui parlent à la « droite de la droite » a eu un écho : c’est parmi les électeurs qui considèrent que les questions les plus préoccupantes pour le pays sont aujourd’hui l’insécurité, le fonctionnement de la justice et l’immigration que l’érosion de Mme Le Pen est la plus forte et la hausse de M. Sarkozy la plus significative : – 5 et +4 pour les électeurs préoccupés par l’insécurité ou la justice, – 3,5 et +2 pour ceux qui mettent à l’agenda la question de l’immigration.
D’autre part, l’image des deux protagonistes de ce conflit au sein des droites est en train d’évoluer. La candidate enregistre une dégradation sensible de son image surtout sur le terrain des qualités « régaliennes » (compétence, capacité à tenir ses engagements, stature présidentielle), alors que M. Sarkozy améliore la représentation que les électeurs ont de lui.
DES FAIBLESSES SE FONT JOUR
Ces glissements comparés d’image trouvent leur source dans les limites qu’est en train de rencontrer le processus de « respectabilisation » qu’a connu Marine Le Pen depuis plusieurs mois. Contrairement à son père, la candidate ne fait plus l’objet du rejet profond que le caractère purement protestataire et tonitruant de son père activait et réactivait à souhait. Elle s’est efforcée de polir son image, de gommer les aspects les plus provocateurs et de se placer sur les terrains « respectables » de la République, de la laïcité, des services publics et de l’économie. Ce déplacement des thèmes et du ton a rendu sa candidature plus « admissible » que celle de son père.
Mais, en même temps, le niveau d’exigence de la part de ses soutiens éventuels a monté. Etre protestataire a ses limites mais aussi ses facilités. Etre gestionnaire peut vous ouvrir les portes du pouvoir mais comporte des exigences : celles du sérieux économique, de la capacité à diriger les affaires du pays, de la représentation de celui-ci sur la scène internationale… Au fond, au terme d’un mouvement de « dédiabolisation », Marine Le Pen s’est normalisée et on lui demande aujourd’hui d’être aussi crédible que les « grands candidats » sur les dossiers brûlants (crise, instabilité internationale…).
Et là, des faiblesses se font jour. Les entretiens réalisés auprès des électeurs changeurs qui ont quitté Mme Le Pen pour M. Sarkozy montrent que l’économie est une de leurs priorités et, qu’à leurs yeux, la candidate présente des carences et une bonne dose d’irréalisme sur le dossier. Enfin, les attributs de la capacité à gouverner – être entouré d’une équipe compétente et solide, être reconnu sur la scène internationale – lui sont contestés.
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Retrouvez les résultats de l’enquête Présidoscopie 2012 sur fondapol.org
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