
Populismes : la pente fatale ?
Dominique Reynié, Francis Brochet | 29 novembre 2011
Le 24 novembre, Dominique Reynié était interviewé par Francis Brochet dans Le Progrès.
Le populisme est-il vraiment notre « pente fatale » ?
C’est un risque majeur. Il est facile de lister des problèmes très lourds, dont chacun est capable de produire des effets puissants. En premier lieu la globalisation, subie et non voulue, avec des Européens qui ont l’impression qu’elle les fragilise, qu’elle déstabilise leurs repères culturels, identitaires. Deuxième facteur, le vieillissement démographique, qui provoque des réflexes de repli, de crainte. Enfin, la crise des finances publiques, qui affaiblit les outils classiques permettant d’atténuer les tensions entre groupes sociaux. Cela débouche sur ces discours sur les riches qui ne paieraient pas assez d’impôts, les Français moyens qui en paieraient trop, les Français paresseux qui profiteraient des aides sociales, et qui ne sont parfois même pas français…
>> En résumé, d’un côté des classes moyennes exploitées, de l’autre des profiteurs en bas et en haut de l’échelle sociale…
Il y a en effet chez les classes moyennes ce sentiment croissant d’injustice sociale contre un Etat providence qui fonctionne mal, ou au profit de personnes qui devraient ne pas y avoir droit – parce qu’elles sont paresseuses (jugement moral) ou pas françaises (critère xénophobe). Mais ce sentiment, il faut le souligner, se développe aussi dans les milieux populaires.
>> Pouvez-vous donner une définition simple du populisme ?
Le populiste est un entrepreneur politique qui cherche à mobiliser la colère populaire pour arriver à ses fins sur le plan politique, électoral. Le populisme est un discours qui s’efforce de représenter une colère publique, et qui se combine systématiquement avec une contestation des élites.
>> Et si on inversait : le populisme est un mot des élites pour discréditer le peuple ?
Cela fonctionne aussi… Le discours populiste traite les élites d’incompétentes ou de corrompues, souvent les deux. Les élites au sens large : les élus, les patrons, les journalistes, les experts… Tous ceux qui auraient une richesse due à une relation inégale avec le peuple. C’et pourquoi le populisme s’affaiblit dans les périodes de croissance économique, où peut s’opérer une bonne redistribution de la richesse produite. Ce fut le cas en France jusqu’en 1975 grâce à la croissance, et ensuite grâce à l’endettement, malgré la crise. Mais à partir de la crise financière de 2008, quand on ne peut plus recourir à l’endettement, l’on voit monter le mécontentement de la population.
Car il faut bien dire que le populisme peut aussi recouvrir une colère fondée, justifiée, contre une injustice sociale ou contre la corruption des élites.
>> Le populisme est donc justifié en France, puisqu’il y a de la corruption et des inégalités…
Bien sûr… Et quand, dans ces cas-là, certaines élites dénoncent le populisme, elles s’abritent derrière ce que j’appelle le « bouclier moral » : une disqualification du populisme pour essayer en fait de disqualifier des accusations légitimes. Elles refusent ainsi de reconnaître que la dénonciation populiste peut être saine, en servant de rappel à des principes qui ne sont pas respectés.
>> Et quand le pouvoir tient lui-même un discours populiste, quand les élites dénoncent les élites – on ne s’y retrouve plus…
Dans les périodes de grande crise économique et sociale, le pouvoir essaie toujours d’intégrer une partie de la colère publique, pour ne pas être emportée par elle. Le président américain Barack Obama l’a fait, en dénonçant les banquiers… Il s’agit pour les gouvernants de montrer aux gouvernés qu’ils font partie du même monde, qu’ils éprouvent les mêmes sentiments.
>> En France, des responsables politiques se revendiquent maintenant populistes. C’est nouveau ?
La première occurrence, c’est Jean-Marie Le Pen en 1996. C’est significatif d’un moment où l’on commence à voir émerger des partis populistes sur le continent européen, et Le Pen a, comme souvent, l’intuition de ce changement. Sa fille a ensuite complètement intégré le modèle. Et à gauche, on peut citer Jean-Luc Mélenchon, qui s’affirme populiste.
>> Le populisme n’est donc pas forcément de droite ?
Le populisme a plusieurs caractéristiques. Il s’affirme d’abord au-delà des classes sociales : il y a le peuple d’un côté, les élites de l’autre. Ensuite, il fustige la démocratie représentative, au profit de la démocratie directe. D’où le modèle de la démocratie directe de la Suisse pour tous les populistes européens de droite, ou à gauche les constituantes de Mélenchon. Enfin il rejette la distinction gauche –droite, comme Marine Le Pen quand elle dénonce « l’UMPS », le « global party », et comme à un degré moindre Jean-Luc Mélenchon quand il moque François Hollande et son pédalo, manière de dire qu’il n’a pas de projet, et surtout pas un projet de gauche qui serait différent de celui de Sarkozy. On voit que le populisme est politiquement porté par des acteurs politiques périphériques.
>> Sauf quand il est au pouvoir : Nicolas Sarkozy entretient un discours anti-élites…
Oui, mais… Je dirais que le discours anti-élites existait avant lui. Jacques Chirac a par exemple dénoncé les patrons-voyous. Et depuis 2008, la crise économique et financière a poussé tous les chefs d’Etat et de gouvernement à emprunter ce discours, justement pour contenir la pression populiste : en généralisant le discours populiste, on lui enlève sa singularité… Le choix des gouvernants face au populisme n’est pas simple. Soit ils en font un peu, poussant l’adversaire à se radicaliser jusqu’au rejet, et c’est Sarkozy en 2007 avec un Le Pen en recul. Soit ils le refusent absolument, courant le risque d’en laisser le monopole aux vrais populistes – et cela donne le 21 avril 2002, où Le Pen, avec Mégret, fait autant de voix que Chirac… Je pose cette question d’un usage nécessaire du populisme, en reconnaissant que la réponse est difficile… Le problème est : aujourd’hui, que peuvent faire les gouvernants pour réduire les souffrances, les difficultés de la population ? Peu de chose. Donc ils font du discours populiste. C’est l’absence de résultats concrets qui crée le terrain favorable au discours populiste.
>> Les indignés, c’est du populisme ?
Potentiellement… Les calicots, les dazibaos des indignés sont très variés, mais ils peuvent en relever.
>> Si l’on vous comprend bien, l’accentuation de la crise ne peut donc que renforcer le populisme ?
Bien sûr, et c’est pourquoi je parle de « pente fatale » : la décennie qui vient est très favorable au populisme, en France et en Europe. Une sorte de course vitesse est engagée. La montée du populisme pourrait être contenue par la démonstration qu’une puissance publique est capable de protéger le destin des Européens dans la globalisation. Mais où est cette puissance publique ? Pouvoir répondre à cette question, ce serait fournir un début de réponse au populisme – sinon c’est l’explosion… Les Européens doivent arriver à construire une puissance publique supplémentaire, européenne, qui s’ajoutera puissances publiques nationales, pour mieux protéger les Européens. Le problème est que les populistes, qui sont profondément nationalistes, ont en commun leur hostilité à l’Europe. Et comme ils montent en puissance dans tous les pays, ils exercent une pression sur les gouvernements et les amènent à adopter des postures moins européennes, voire anti-européennes, rendant ainsi plus difficile l’émergence d’une puissance publique européenne. Ils peuvent alors affirmer : puisqu’il n’y a pas de puissance européenne efficace, replions-nous sur le national.
>> A vous entendre, il va falloir faire cette Europe contre le peuple…
Tous ceux qui gouvernent aujourd’hui les nations d’Europe ont été choisis par le peuple, ils sont légitimes. Mais ils doivent très vite apporter la démonstration que le pouvoir qui leur a été transmis est mis à profit pour créer cette puissance publique protectrice qu’attendent les Européens. Ils doivent apporter la preuve de son efficacité, et lui donner ensuite une légitimité politique par un référendum organisé à l’échelle de l’Union, en même temps dans tous les pays. Cela rendra impossible à un pays de bloquer tous les autres.
>> Cela suppose de « vendre » du neuf, une Europe différente de celle qui existe…
Absolument. Il faut expliquer aux Européens : ce que nous avons fait jusqu’ici était légitime, cela a marché, mais ça ne marche plus – il faut donc vite faire autre chose. Une course de vitesse est engagée: ce sera ou bien plus d’Europe, ou bien un retour au national. Car on ne peut pas demander aux personnes qui se sentent exposées de rester dans cet entre-deux inquiétant.
Dominique Reynié interviendra le lundi 5 décembre au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon, dans le cadre des débats publics « Au peuple ! » organisés par la Villa Gillet. Renseignements : 04 72 07 49 49 et www.villagillet.net
Les députés Régis Juanico (PS, Loire) et Philippe Meunier (UMP, Rhône) s’exprimeront également sur cette thématique dans le journal Le Progrès du 5 décembre 2011.
A lire : « Populismes : la pente fatale » de Dominique Reynié (Plon)
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