Islamisme et antisémitisme : comment les digues ont lâché

Erwan Seznec, Michel Revol | 01 novembre 2023

Par cynisme ou idéologie, ils flattent les islamistes et refusent de voir l’antisémitisme de ceux qu’ils défendent. Le leader Insoumis et de nombreux intellectuels se complaisent dans l’erreur.

C‘est devant les choix historiques que l’on mesure la grandeur des âmes. Le 7 octobre s’est déroulé en Israël le premier pogrom du XXIe siècle. Si certains ont mis du temps à saisir la gravité de l’événement orchestré par le Hamas, d’autres n’ont jamais accepté cette réalité, préférant finasser devant le spectacle du sordide. Comment qualifier une organisation qui égorge, tue, fracasse et kidnappe des centaines de personnes parce que juives ? Un « mouvement de résistance », comme le revendique la députée LFI Danièle Obono ? Ou une organisation terroriste, comme l’exigerait la décence minimale ?

Refuser de nommer correctement les choses ne relève pas du manque de discernement, mais bien de la faute morale. Quel responsable politique faut-il être pour nier le réel et trouver tant d’excuses à un pogrom ? « Le salaud est celui qui, pour justifier son existence, feint d’ignorer la liberté et la contingence qui le caractérisent essentiellement en tant qu’homme », écrivait Jean-Paul Sartre dans La Nausée. On pourrait aussi relire Les Mains sales et mesurer à quel point la salissure morale d’une mauvaise foi sans limite ne relève pas de l’erreur mais d’une stratégie.

La période ne manque pas de salauds sartriens. On en croise de nombreux au sein des mouvements qui se trouvent chez LFI et à sa gauche, chez tous ceux qui entretiennent soigneusement la confusion entre le Hamas et le peuple palestinien, tributaire des choix funestes de l’organisation terroriste. Gaza est devenue une entité à défendre comme un tout. Le Fatah est plus prudent aujourd’hui dans ses déclarations que Houria Bouteldja, du parti des Indigènes de la République, par ailleurs cadre à l’Institut du monde arabe. Elle a assuré les tueurs du 7 octobre de sa « fraternité militante », louant les « conditions héroïques » dans lesquelles leurs milices ont égorgé femmes et enfants. Le NPA de Philippe Poutou a, de son côté, appuyé « les moyens de lutte » choisis par le Hamas, alors que Françoise Vergès, universitaire décorée de la Légion d’honneur, a salué un « combat légitime pour la libération » des Palestiniens… François Burgat, islamologue, ex-directeur de recherche au CNRS, a quant à lui relayé un tweet qui justifiait les horreurs du Hamas en ces termes : « Résister à un occupant est légitime. »

« Dingo fascisant ». Ces voix ne sont pas isolées. Plus de mille universitaires se disant spécialisés dans l’étude du Proche-Orient ont signé une pétition diffusée sur les réseaux sociaux. Là encore, elle témoigne d’un certain éloignement par rapport aux faits, dénonçant « la police de la pensée qui s’est installée dans le monde académique français depuis plusieurs années, dans la continuité de l’invention de l’islamo-gauchisme pour disqualifier certains discours scientifiques ». La pétition ne mentionne aucun exemple concret de censure. Il est pourtant facile de vérifier que nombre de ces signataires ont publié abondamment ces dernières années.

La crise palestinienne est le catalyseur d’ingrédients explosifs accumulés au fil du temps. À l’image des Insoumis, une part significative de la gauche occidentale considère qu’Israël est un allié indéfectible des États-Unis, donc du grand capital, donc un ennemi du peuple ; Tsahal maltraite les Palestiniens, comme la police française maltraite les Arabo-musulmans de France ; tout s’imbrique, tout fait sens. Nuance interdite. Ceux qui refusent d’admettre le grand complot sont aux ordres.

Avril 2016. Invité de C à vous, sur France 5, le député européen Jean-Luc Mélenchon traite le candidat Donald Trump de « dingo fascisant ». Au même moment, Sophia Chikirou se trouve aux États-Unis. Intime de Jean-Luc Mélenchon, elle est son envoyée spéciale chargée de suivre la campagne présidentielle américaine. Sur un blog dédié à ce voyage (aujourd’hui effacé), elle analyse cliniquement le succès de Donald Trump, que peu d’observateurs français prennent alors au sérieux. « Trump n’est pas là par hasard : il est dans l’air du temps », écrit-elle, refusant de le comparer à un Le Pen. « On le perçoit en France comme les médias ont bien voulu le caricaturer : un beauf », sans voir que « cet homme incarne une version du rêve américain » et qu’il sait parler à l’électorat. « Il propose des mesures protectionnistes pour les salariés américains », cite-t-elle, comme exemple parmi d’autres.

Le modèle Poutine. Après la victoire de Donald Trump, plus jamais Jean-Luc Mélenchon ne l’insultera. Bien au contraire. « L’élection de Trump concrétise l’ère du peuple », écrit-il sur son blog, le 14 novembre 2016. L’Ère du peuple est le titre d’un livre publié en 2014 par Jean-Luc Mélenchon et le nom de son association de campagne présidentielle en 2017. L’identification n’est pas loin. « Je me réjouirais de traiter avec un homme pareil », déclare-t-il, le 3 janvier 2017, sur France Inter, à propos de Trump.

C’est à peu près à cette époque que, comme l’ancien hôte de la Maison-Blanche, Jean-Luc Mélenchon prend ses distances avec les faits. « Il commence à avoir un rapport idéologique à la vérité, observe un ancien proche. Il prend modèle sur Poutine, pour lequel, par exemple, tous les Ukrainiens sont des nazis. C’est une confusion totale des termes. » Jean-Luc Mélenchon vient de perdre l’élection présidentielle et entend changer de braquet pour enfin vaincre. Il plaque sa grille de lecture idéologique du monde – les dominés contre le dominant, incarné par les États-Unis – sur toutes les situations, qu’importent les nuances. En France, le dominé habite dans les banlieues, peuplées en grande partie de Français de confession musulmane. « Ce n’est pas qu’un calcul électoral, c’est beaucoup plus grave : la défense des populations arabes et musulmanes dans les quartiers, c’est la traduction de sa vision du monde », explique Julien Dray, l’un de ses anciens compagnons de route.

Relativisme permanent. Le partage entre dominants et dominés s’incarne aujourd’hui, aux yeux de Mélenchon, à Gaza. Non pas que le sort des Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie l’ait, jusqu’alors, beaucoup tourmenté. Mais, en minorant depuis le 7 octobre les horreurs du Hamas, il vise Israël, à ses yeux le dominant. « Il reprend la dialectique maoïste et trotskiste de la contradiction principale et secondaire, analyse Jean-Christophe Cambadélis, ex-premier secrétaire du PS et lui-même ex-trotskiste. Si vous pensez qu’Israël est le responsable de la situation à Gaza, le reste, ici le soutien au Hamas, est secondaire. Ce que vise Mélenchon, c’est la dénonciation du dominant, c’est-à-dire Netanyahou et Israël. »

Chaque parole de Jean-Luc Mélenchon semble folle alors qu’elle est pesée. Il ose tout, mais après réflexion. Quand le leader des Insoumis accuse Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, de « camper » à Tel-Aviv, c’est une attaque millimétrée. « Il pensait sans doute aux camps d’extermination, mais surtout à l’envahisseur et au mythe du Juif errant. En ce sens, il fait la jonction avec la gauche d’avant l’affaire Dreyfus », explique Julien Dray. Un glissement qui se traduit aussi par ses allusions au peuple juif déicide, qui aurait crucifié le Christ, ou par son soutien au leader britannique Jeremy Corbyn, suspendu du Parti travailliste en 2020 pour sa complaisance envers des propos antisémites tenus par des membres du parti. Au-delà de ses allusions flirtant avec l’antisémitisme, Mélenchon joue un jeu dangereux avec la réalité. Il tord les faits pour qu’ils lui servent d’armes. « Il ne ment pas vraiment, il interprète. C’est un relativisme permanent », juge Cambadélis. L’assassinat d’un professeur d’Arras au cri d’« Allahou akbar », à Arras, c’est pour Mélenchon comme pour Mathilde Panot, la cheffe des députés LFI, une « attaque au couteau », non un acte terroriste. Mais quand un militant d’extrême droite attaque un Juif, Mélenchon ne prend plus de gants : l’attaque est terroriste.

Chaos. Chez les Insoumis, la vérité est secondaire. L’important, c’est de marquer les esprits. À cet effet, Jean-Luc Mélenchon grossit le trait sans scrupule. La « police tue » parce qu’on lui en donne le droit : la loi de 2017 réformant l’usage des armes à feu dans la police, c’est pour lui la loi « permis de tuer » ; l’exercice autorisé de la clé d’étranglement, c’est le « droit à étrangler ».

Jean-Luc Mélenchon, défait une nouvelle fois à l’élection présidentielle de 2022, est encore passé à une vitesse supérieure. « Depuis, il extrémise tous les sujets pour être visible et montrer que le compromis n’est pas possible », expose Cambadélis. Il joue le chaos en radicalisant sa base. Mélenchon le dit d’ailleurs dans son blog : il entend plus que jamais se fonder sur « l’énergie de la conflictualité »« Il se place en dehors du cercle de la raison, expose un de ses anciens amis. Jean-Luc Mélenchon pense qu’il n’y a plus d’idéologie. Son seul objectif est de rompre avec la pensée dominante. »

Abaya. En France, les intellectuels tombent dans le panneau, comme l’a montré le feuilleton de l’abaya. Dans la foulée des Insoumis, certains d’entre eux s’insurgent, mais avec une ligne foncièrement illogique. Ils affirment, parfois dans la même phrase, que l’abaya n’est pas un vêtement religieux et que son interdiction est islamophobe. L’écrivaine Annie Ernaux, le philosophe Frédéric Lordon et l’ex-actrice Adèle Haenel signent ainsi une tribune dénonçant une « offensive raciste, islamophobe, sexiste et patriarcale ».

Sans surprise, Jean-Luc Mélenchon en vient à dénoncer une presse sous influence. « L’assaut des médias, alignés sur la fachosphère française et israélienne, n’a été à aucun moment une surprise », écrit-il sur son blog, le 22 octobre. Un propos limpide, auquel son électorat adhère. Selon la radiographie de l’antisémitisme publiée en 2022 par la Fondapol et l’American Jewish Committee, 29 % des électeurs LFI pensent que les Juifs ont trop de pouvoir dans les médias.

Aux États-Unis, les contre-vérités de Donald Trump ont conduit Twitter et Facebook à suspendre les comptes du président américain. Une des rares voix qui se sont élevées pour protester dans la classe politique française était celle de… Jean-Luc Mélenchon.

Retrouvez l’article sur lepoint.fr

François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).

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