
Face aux conflits, il faut repenser la gouvernance du monde
Laurence Daziano | 06 août 2014
Article de Laurence Daziano dans Les Echos paru le 6 août 2014.
Nous connaissons, au cours de l’été 2014, un regain de conflits militaires et de tensions politiques : Ukraine, Crimée, exclusion de la Russie du G8, conflits en mer de Chine, guerres au Proche-Orient, défaut de paiement de l’Argentine… Le monde semble pris, un siècle après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, d’un accès de fièvre géopolitique, où les nouvelles puissances émergentes sont sur le devant de la scène. De ce point de vue, le risque majeur semble redevenu géopolitique, et plus exclusivement économique, pour trois raisons.
En premier lieu, le monde émergent, très largement hétéroclite, se rassemble autour d’une vision commune du monde. Les pays émergents considèrent que les pays occidentaux ont, trop longtemps, dominé l’économie mondiale et imposé leur vision au reste de la planète. La mise sous tutelle de la Chine après les guerres de l’opium, la colonisation européenne puis la domination américaine, symbolisée par la suprématie monétaire du dollar, ont laissé des traces. Les BRICS se rejoignent sur la remise en question de cet ordre mondial issu de 1945. Désormais, la Chine et le Brésil agrègent de nouvelles puissances (Afrique du Sud, Nigeria, Indonésie, Mexique, Vietnam…) à leur contestation récurrente de la suprématie occidentale. La prochaine conférence climatique, qui se tiendra à Paris en décembre 2015, sera un terrain d’affrontement privilégié entre les pays riches, qui veulent diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et la Chine, qui, tout en conduisant la délégation des pays « non alignés » du G77, défend le droit à se développer librement.
En deuxième lieu, la formidable croissance des BRICS dans la décennie écoulée, notamment l’accession de la Chine au rang de deuxième économie mondiale, a renversé l’ordre économique. Désormais, les réservoirs de croissance et de liquidités se trouvent dans les pays émergents. A l’exception des Etats-Unis, qui présentent des spécificités propres (une population qui continue de croître, un dollar comme monnaie de référence mondiale et un lieu où on invente pour le reste du monde, à l’instar du Gafa – Google, Amazon, Facebook, Apple), le monde occidental vit un déclin relatif de sa situation économique, démographique et géopolitique. La banque centrale de Chine dispose de 2.500 milliards de dollars de liquidités, prêtes à être investies dans le monde ou à soutenir, quasiment sans fin, la croissance économique chinoise. Inversement, les pays occidentaux sont soumis à une dette souveraine explosive qui obère lourdement leurs perspectives de croissance.
En troisième lieu, l’arrivée des pays émergents sur le devant de la scène internationale se traduit, dix ans après, par l’accumulation de risques géopolitiques qui forment une « guerre fraîche », à défaut d’être totalement froide. Cette guerre fraîche des pays émergents présente une double spécificité. D’une part, elle présente des lignes de fracture fondamentales à l’intérieur même des pays émergents : le conflit en mer de Chine, entre la Chine et le Vietnam, ou les guerres de religion entre les sunnites et les chiites au Moyen-Orient le prouvent. D’autre part, cette guerre fraîche se déroule avec la mondialisation en toile de fond, ce qui implique que les BRICS affrontent les pays occidentaux sur le terrain économique et financier, à l’instar de la création de la Banque de développement des BRICS, décidée au sommet de Fortaleza au Brésil en juillet, pour concurrencer le FMI et la Banque mondiale.
Le monde connaît, à la faveur de la crise financière commencée en 2008, un changement profond. La réalité est qu’il ne suffit plus d’essayer de « colmater des brèches », mais bien d’inventer un nouveau monde dans lequel l’ascension des puissances émergentes est une donnée cardinale. La question de « l’organisation » du directoire mondial est désormais posée. En ce sens, une initiative pourrait être prise pour réfléchir à la création d’une organisation chargée des biens publics mondiaux comme notamment l’eau et le climat. Cette organisation serait constituée, à l’origine, par les membres du G20, ainsi que par les pays associés. Elle pourrait faire l’objet d’un accord de fond avec les nouvelles puissances émergentes sur les questions globales que sont l’OMC, la monnaie et le climat. Plus que jamais, l’Occident doit être inventif pour construire un directoire mondial avec les pays émergents et éviter ainsi une « guerre fraîche » entre le Nord et le Sud.
Laurence Daziano
Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences po à Paris, est membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique.
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