Le RN et l'antisémitisme : histoire d’une dédiabolisation rêvée

Marylou Magal | 11 octobre 2023

Depuis 2011, Marine Le Pen s’attelle à laver le RN de ses procès en antisémitisme, malgré le refus persistant des organisations communautaires à traiter avec le parti.

En arrière-plan, la tour Eiffel, éclairée aux couleurs d’Israël. Devant, une poignée d’élus posent, leur écharpe tricolore ceinte sur le torse. Ils sont huit députés du Rassemblement national, ce lundi 9 octobre, à s’être rendus à la marche de soutien à Israël, à la suite d l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas. Des élus frontistes à une manifestation organisée par le Crif. Impensable il y a quelque temps. Qu’elles paraissent loin, les années 1970 où François Duprat, antisémite notoire et collaborateur de revues néonazies faisait partie des têtes pensantes du parti. Ou ces journées du 1er mai, quand le GUD ou l’Œuvre française dédiaient leurs cortèges à Jean-Marie Le Pen, scandant « Deauville, Sentier, territoires occupés ». Pendant des années, l’antisémitisme a gangrené la propagande politique du Front national. Pour réhabiliter le nationalisme français, le parti d’extrême droite faisait de la dénonciation de la « domination » ou de « l’Internationale juive » l’un de ses thèmes réguliers.

Quelques dizaines d’années plus tard, on retrouve les représentants de ce même parti accueillis à bras ouverts à une manifestation du Crif, pendant que des élus de gauche sont sommés de quitter les lieux. « Collabo », a-t-on notamment lancé à Olivier Faure, patron du Parti socialiste. Une réaction épidermique liée aux déclarations de La France insoumise, qui, à la suite des attaques, s’est refusée à les qualifier « d’acte terroriste », préférant les décrire comme « une offensive armée de forces palestiniennes ». Un positionnement qui a suscité l’indignation de plusieurs responsables politiques, et poussé certains à accuser le mouvement de Jean-Luc Mélenchon de « complaisance avec l’islamisme ».

L’antisémitisme, dernier verrou de la dédiabolisation

Un positionnement qui a aussi permis à Marine Le Pen, protégée par le paratonnerre LFI, de dérouler son argumentaire. « La France insoumise a définitivement choisi le camp antirépublicain », a-t-elle lancé mardi au micro de CNews et Europe 1. Et d’affirmer, une nouvelle fois : « Le Rassemblement national est, je le crois aujourd’hui, pour beaucoup de Français de confession juive, un bouclier contre l’idéologie islamiste. » Cette déclaration n’est pas la première du genre. Elle s’inscrit dans une longue stratégie de séduction entamée par Marine Le Pen dès 2011, date à laquelle elle succède à son père à la tête du Front national. La patronne frontiste estime alors qu’il s’agit là de la dernière barrière qui se dresse entre son parti et la dédiabolisation tant convoitée, et entend bien la mettre à bas.

Dès lors, elle s’emploie à un grand ménage débouchant notamment sur l’éviction de figures particulièrement sulfureuses comme Yvan Benedetti ou Alexandre Gabriac. En février 2011, dans une interview accordée au Point, la présidente du parti d’extrême droite affirme : « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie. Et, croyez-moi, cette barbarie je l’ai bien en mémoire. » Façon tacite de rompre avec les nombreux dérapages de son père, qui avait qualifié les chambres à gaz de « point de détail de la Seconde Guerre mondiale », ou s’adonnait régulièrement à des jeux de mots antisémites, comme le tristement célèbre « Durafour crématoire ».

Une vaste entreprise de séduction

Dès la campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen joue sur les deux tableaux, nourrissant son argumentaire contre une certaine conception de l’islam tout en tentant un rapprochement vis-à-vis de la communauté juive. Elle présente à plusieurs reprises le FN comme un rempart à « l’antisémitisme islamique ». En 2014, après des tensions ravivées par le conflit à Gaza et plusieurs actes de violences aux abords des synagogues de Paris et à Sarcelles, elle déclare : « Si la Ligue de défense juive existe, c’est parce qu’un grand nombre de juifs se sentent menacés. » Autant de signaux qui lui permettent de réaliser une progression, à partir de 2012, au sein de l’électorat juif où elle rassemble 13,5 % des voix – un score qui reste bien inférieur à la moyenne nationale de 17,5 %. Qu’importe, la brèche est entamée, et permet au parti lepéniste de faire sauter quelques verrous.

Ainsi, le 13 octobre 2022, les chasseurs de nazis Serge et Beate Klarsfeld se voient remettre une médaille par le maire frontiste de Perpignan, Louis Aliot, historique du parti. En décembre 2022, Sébastien Chenu, vice-président RN de l’Assemblée nationale est nommé vice-président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée. Ce mardi, Meyer Habib, député LR, ami du Premier ministre d’extrême droite Benyamin Netanyahou, déclare sur CNews que « le RN était entré dans le camp républicain ». Une aubaine, pour le RN, toujours en quête de respectabilité, qui s’empresse de dérouler son positionnement sur le conflit israélo-palestinien.

Les organisations communautaires refusent tout contact

Sur BFMTV, le 9 octobre, Jordan Bardella, président du parti, qualifie les attaques « d’attentat islamiste » et adresse sa solidarité « sans équivoque » à Israël, soutenant que la riposte israélienne est une réponse « légitime et normale ». Et d’enchaîner rapidement : « L’islamisme en France est la conséquence d’une politique d’immigration massive, qui a multiplié sur notre sol les enclaves étrangères et les Républiques islamiques en miniature ». Toujours marcher sur ses deux jambes. Marine Le Pen, elle, se garde bien de parler d’immigration. Au micro de CNews, le 10 octobre, elle s’aligne sur la position diplomatique française, et évoque la solution à deux Etats. « Je crois à la responsabilité et donc non, j’espère que la solution à deux Etats n’a pas été définitivement assassinée, elle aussi en quelque sorte, comme l’amélioration des relations entre Israël et des pays arabes. Je le souhaite mais c’est sûr qu’elle n’est pas d’actualité », soutient-elle.

Elle ne se rendra pas pour autant à la marche organisée par le Crif, assurant ne pas vouloir « politiser » l’événement. Et ayant en souvenir, peut-être, la marche blanche de 2018 organisée à la suite de l’assassinat de Mireille Knoll, dont elle avait été exfiltrée. Pas la bienvenue, à l’époque. Car certains ont la mémoire longue, et les principales organisations communautaires refusent toujours de traiter avec le parti d’extrême droite. C’est le cas du Crif, qui avait encore qualifié Marine Le Pen de « menace existentielle pour les Juifs », le 12 avril 2022. C’est le cas de l’UEJF, qui a organisé une manifestation au moment du second tour de la présidentielle, appelant à faire barrage à Marine Le Pen. C’est le cas de l’AJC Europe, qui refuse catégoriquement d’associer les élus frontistes à chacune de leur initiative. « Nous refusons et refuserons toujours tout contact avec le RN, assure Simone Rozan Benzaquen, responsable de l’organisation. C’est un parti qui est marqué par son histoire, qui reste entouré de personnes qui sont ce qu’elles sont, et dont la stratégie est exactement la même que tous les partis populistes d’extrême droite en Europe avec l’objectif de la cashérisation de leur passé et de ce qu’ils sont par pure stratégie électorale. Car dans leur tête, nous sommes le dernier obstacle qui les empêche d’accéder au pouvoir. »

Des stigmates d’antisémitisme

Car malgré les tentatives de séduction, certains restent rebutés par des stigmates persistants d’antisémitisme supposé. Parmi eux, le nom de Le Pen, mais aussi les liens qu’entretiennent encore avec le parti Frédéric Chatillon et Axel Loustau, proches de Marine Le Pen et anciens membres du GUD. Ou ce jour de 2018, lorsque Marine Le Pen invita à l’Assemblée le député égyptien Abderrahim Ali, antisioniste convaincu qui dénonçait régulièrement l’existence d’un « lobby juif » en Europe. Ou cette campagne législative de 2017, au cours de laquelle le média Buzfeed a épinglé plusieurs candidats frontistes pour avoir relayé des articles d’Emmanuel Ratier (auteur antisémite), jugé qu’un mémorial de la Shoah était « trop politisé » ou liké des photos sur lesquels un Juif embrassait Hitler.

Une récente enquête, publiée par la Fondapol en janvier 2022, faisait également état d’un antisémitisme particulièrement répandu parmi les Français proches du Rassemblement national. On y apprenait notamment que l’affirmation selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » était partagée par 39 % de l’électorat de Marine Le Pen et par 33 % des proches du Rassemblement national, contre 26 % de l’ensemble de la population. De quoi faire persister, au sein des principales organisations représentatives des institutions juives, un sentiment anti-Rassemblement national. Le 27 octobre prochain devait d’ailleurs avoir lieu un voyage Israël-Maroc sur les accords d’Abraham, organisé par l’American Jewish Commitee (AJC), où ont été conviés plusieurs membres du groupe d’amitié France-Israël. Aucun élu RN n’a été invité. Si les frontistes sont tolérés en manifestations, le chemin de la dédiabolisation du RN est encore long.

Retrouvez l’article sur lexpress.fr

Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié, François Legrand, Simone Rodon-Benzaquen, Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, Fondation pour l’innovation politique et American Jewish Commitee, janvier 2022.

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