
« Le succès des Démocrates de Suède est indexé sur le déni de l’immigration »
Eugénie Bastié, Tino Sanandaji | 20 septembre 2022
ENTRETIEN - En Suède, une coalition réunissant la droite traditionnelle et les Démocrates de Suède (populistes) a remporté de justesse les législatives. Pour le chercheur suédois Tino Sanandaji, la politique d’immigration qu’avaient menée les partis traditionnels au nom du multiculturalisme n’avait jamais été soutenue par les électeurs.
Tino Sanandaji est un économiste irano- suédois, docteur de l’université de Chicago. Il est l’auteur de la note « Les Suédois et l’immigration » (Fondapol, 2018).
LE FIGARO.- Comment expliquer le succès des Démocrates de Suède?
Tino SANANDAJI.- Le succès des Démocrates de Suède est presque entièrement dû au mécontentement de la population à l’égard de la politique d’immigration dans le pays et au politiquement correct qui entoure ce sujet. Pendant longtemps, la Suède a été le pays européen qui a accueilli le plus de demandeurs d’asile par rapport à sa population. De nombreuses années, le taux d’immigration a été plus rapide que le record américain lors de l’immigration transatlantique des années 1890. La Suède était un pays homogène et, quand on y accueillait des migrants, ceux-ci venaient principalement d’autres pays européens. Mais, en raison d’une politique excessive, la part des migrants non occidentaux de première et de deuxième génération est passée de 2 % en 1980 à environ 20 % aujourd’hui. Le taux d’immigration a un peu diminué à l’heure actuelle, mais il reste très élevé.
Or, cette politique qui a transformé le pays n’a jamais eu le soutien d’une majorité ou même d’une grande part de l’opinion publique suédoise. Les sondages annuels réalisés depuis les années 1980 en science politique montrent que l’opinion suédoise, dans chaque enquête, était favorable à la réduction du nombre de réfugiés. Dans le même temps, des enquêtes ont montré que l’élite politique de gauche et de droite a soutenu cette politique migratoire laxiste et l’a aggravée.
Les Démocrates de Suède (DS) ont commencé à se développer dans un climat politique où 60 % à 70 % des électeurs qui se sont exprimés préfèrent réduire l’immigration des réfugiés alors que 0 % des partis traditionnels proposait ce choix aux électeurs. Ils poussaient plutôt à encore plus d’immigration, motivés par une ferveur idéologique pour le multiculturalisme. Lorsque les DS ont été élus au Parlement, en 2010, le premier ministre de centre droit s’est joint au parti Vert de gauche pour encore augmenter le niveau d’immigration, affirmant qu’il avait fait cela pour montrer aux électeurs que voter pour les DS conduirait à l’effet opposé. Alors que les DS ne cessaient de monter en 2014, les partis traditionnels ont créé un cartel afin de les exclure du pouvoir et de maintenir les politiques migratoires laxistes du pays, malgré l’opposition populaire.
Ignorer la volonté populaire s’est cependant avéré insensé, à mesure que les problèmes causés par l’immigration devenaient plus évidents, et le seul parti qui proposait la politique exigée par la majorité de la population n’a cessé de progresser. Les DS passent de 0,1 % en 1991 à plus de 20 % aujourd’hui – comme en symétrie de la progression de la part de la population d’origine non européenne. Si les DS n’avaient pas eu une histoire sordide avec plusieurs membres qui avaient des sympathies néonazies, ils seraient montés encore plus rapidement.
Est-ce le retour de bâton du politiquement correct?
Pendant longtemps, toute personne normale qui critiquait les politiques migratoires risquait d’être traitée de nazi ou de raciste. Cela a provoqué du ressentiment et une perte de confiance dans les médias et les élites politiques, perçus comme ayant menti à l’opinion et intimidé la dissidence. Pour cette raison, même si les sociaux-démocrates et les partis de droite traditionnels promettent maintenant de réduire l’immigration et d’être durs envers la criminalité, de nombreux électeurs récompensent les DS. Beaucoup de leurs électeurs sont d’anciens sociaux-démocrates, et la stratégie de les qualifier de nazis s’est avérée contre-productive, car les électeurs protestataires, qui ne voulaient peut-être qu’envoyer un signal, quittent définitivement le parti social-démocrate.
La Suède est un pays où l’identité de classe reste importante pour voter
Tino Sanandaji
Peut-on qualifier les DS de populistes?
Oui. D’une part, eux et leurs électeurs critiquent souvent les élites. D’autre part, les DS, contrairement aux partis de centre droit, soutiennent l’État-providence et séduisent les électeurs de la classe ouvrière. C’est aussi pourquoi ils sont tant montés. La Suède est un pays où l’identité de classe reste importante pour voter. Les partis politiques suédois de droite sont tous des partis bourgeois dans leur culture et leur histoire, et suscitent un attrait limité des classes ouvrières.
La Suède se distingue par le recours aux statistiques ethniques. Celles-ci ont-elles permis de lever le tabou sur l’immigration?
En Suède, il était devenu tabou de simplement mentionner les statistiques sur l’immigration, alors même que la Suède a été le pays qui a inventé les statistiques démographiques modernes en 1749 et possède donc la plus longue série de statistiques démographiques du monde. Le tabou de la compilation de données ou de leur disposition en libre accès s’est renforcé en 2010, lorsque les DS sont entrés au Parlement. Bien sûr, la raison pour laquelle les données sont devenues taboues est qu’elles ont montré les effets économiques et sociaux négatifs de l’immigration, alors que l’opinion politiquement correcte exprimée par gouvernement et médias était que l’immigration des réfugiés était bénéfique pour la Suède et n’affectait pas la délinquance. Les statistiques ne sont jamais devenues illégales, mais un langage orwellien a été utilisé pour décourager ou réprimer leur usage. Par exemple, le ministre social-démocrate de la Justice a affirmé que des statistiques actualisées sur la délinquance des immigrés n’étaient «pas nécessaires» puisque la recherche avait déjà prouvé que celle-ci était causée par la pauvreté et que l’immigration n’avait rien à voir. Les chercheurs qui ont analysé des données ou fait des recherches sur des questions telles que le viol et l’immigration encouraient le risque d’être licenciés ou harcelés, avec l’argument selon lequel ils faisaient le lit du racisme.
La Suède, cœur de la social-démocratie, se déplace vers la droite. Est-ce un symbole pour d’autres pays européens ?
Le fait que la Suède suive le Danemark et se déplace vers la droite sur les questions migratoires peut avoir un effet symbolique pour d’autres pays européens. La Suède a une influence disproportionnée par rapport à sa taille puisqu’elle a longtemps été considérée comme un modèle par la gauche internationale. En outre, la Suède a mené la politique migratoire la plus excessive d’Europe, et l’augmentation de la criminalité et de la pauvreté dans les zones d’immigration a été observée au niveau international, de sorte que, en Norvège, par exemple, la droite utilise l’expression «conditions suédoises» pour désigner un contre-exemple à fuir. Alors que la Suède a été un modèle positif du point de vue de ses politiques sociales et de son État-providence, elle est devenue un repoussoir en raison de ses politiques migratoires et de son modèle multiculturaliste.
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Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration, fin de l’homogénéité ? (1), Fondation pour l’innovation politique, août 2018.

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