
"Alléger le fardeau de la dette par le retour de la croissance"
Emmanuel Combe | 16 novembre 2011
Fallait-il un second tour de vis budgétaire, après celui du mois d’août ? A l’évidence oui, compte tenu de la révision à la baisse – de 1,75 % à 1 % – des perspectives de croissance pour 2012, qui compromet l’objectif d’un déficit public à 4,5 % l’année prochaine et à 3 % en 2013. Notre pays n’a donc d’autre choix aujourd’hui que de poursuivre sur la voie du sérieux, s’il veut encore espérer sauver son triple A, calmer les tensions sur les taux d’intérêt et éviter ainsi d’entrer, comme l’Italie, dans la spirale auto-réalisatrice de la défiance.
Que penser du contenu de ce second plan ? On peut certes regretter qu’il ne fasse pas la part plus belle à la réduction des dépenses publiques (1,8 milliards sur 7 milliards pour 2012) par rapport à la hausse des recettes (5,2 milliards d’euros), dans un pays où le taux des prélèvements obligatoires avoisine déjà les 43 %. A contrario, on peut se féliciter que la majoration de l’imposition des sociétés épargne nos PME, véritable poumon de la croissance et de la création d’emplois. De même, le coup de rabot sur les niches fiscales va dans le bon sens, sachant qu’une partie d’entre elles sont à la fois inefficaces et coûteuses.
Ce nouveau plan de rigueur va-t-il plomber une croissance française déjà atone ? Rien n’est moins sûr. Certes, la hausse implicite de l’impôt via la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune, le relèvement des taux réduits de TVA vont affecter la consommation des ménages, principal moteur de la croissance française. Mais a contrario, le fait de dessiner une trajectoire claire et ambitieuse de réduction pluriannuelle (2012-2016) des déficits envoie un signal crédible à l’ensemble des acteurs économiques – non seulement les marchés financiers mais aussi les entreprises et les ménages. Cette réduction peut inciter en retour les ménages à consommer et ce d’autant que les mesures de rigueur portent principalement sur les classes moyennes et aisées, qui peuvent diminuer leur épargne de précaution. Les politiques menées en Suède ou au Canada dans les années 1990 nous ont démontré à cet égard que l’austérité budgétaire pouvait paradoxalement favoriser… la relance de l’activité, surtout lorsque les mesures portent sur la réduction des dépenses publiques, la dépense privée prenant alors le relais.
Plus fondamentalement, le prix de la rigueur n’est pas tant à rechercher dans son impact conjoncturel, probablement limité, que dans les réformes à venir que la France va devoir engager. Depuis le début des années 1980, nous n’avons cessé d’utiliser la dépense publique pour autre chose que ce pour quoi elle est faite, à savoir investir dans les biens collectifs (santé, éducation, recherche-développement, infrastructures), relancer l’activité quand tout va mal. La preuve en est que notre budget a toujours présenté un solde déficitaire depuis le milieu des années 1970 ; nous avons fait du déficit structurel et pas seulement conjoncturel : même en période de forte croissance, comme durant les années 1998-2002, nous n’avons pas été capables d’avoir un budget à l’équilibre, alors que c’est durant les périodes d’abondance que l’on constitue les réserves pour affronter les temps de disette.
UNE POLITIQUE DE CROISSANCE
La dépense publique a été utilisée pour remettre à demain la résolution de nos problèmes. Prenons l’exemple de l’emploi : plutôt que d’instaurer une vraie flexi-sécurité et mettre fin au dualisme de notre marché du travail, nous avons multiplié les contrats aidés, financièrement couteux et inefficaces sur le plan économique. Prenons l’exemple des marchés des biens et services : plutôt que de mener des réformes pro-concurrentielles, qui suppriment les barrières artificielles à l’entrée, stimulent la productivité et l’emploi, nous avons amorti financièrement les conséquences de notre malthusianisme économique. La dépense publique a servi à gérer les conséquences indésirables de nos immobilismes, pour mieux éviter de s’attaquer à leurs causes. Mais retarder la résolution d’un problème structurel ne le résout pas pour autant ; pire, il ne fait que l’amplifier dans le temps.
Le fardeau de la dette ne sera véritablement allégé que par le retour de la croissance, dont les principaux leviers sont à rechercher du côté de l’offre. En particulier, il est urgent de restaurer notre compétitivité, qui s’est continuellement dégradée depuis une décennie, avec un déficit commercial abyssal. Sur ce sujet, nous devons opérer une montée en gamme de toute notre production industrielle vers les segments à forte valeur ajoutée, en misant davantage sur la qualité totale, sur l’innovation sous toutes ses formes, sur les PME de croissance, sur la créativité, comme ont su le faire les Allemands.
La solution durable au fardeau de la dette ne réside pas seulement dans des ajustements budgétaires – aussi nécessaires soient-ils à court terme – mais dans une politique de croissance. La rigueur ne constitue pas l’horizon ultime et indépassable de notre politique économique. Nous sommes aujourd’hui au pied du mur, celui de la dette. Et c’est peut être là notre chance, celle de transformer la contrainte en opportunité : continuons à nous réformer en profondeur, pour retrouver les chemins de la prospérité.
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