Les jeunes Européens tentés par un pouvoir fort : « Il y a de la défiance à l’égard des institutions »

Henri Vernet | 19 mai 2019

Une étude menée par les think tanks Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et l’International Republican Institute fait état d’un affaissement généralisé, chez les citoyens, de l’attachement à la démocratie. Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, analyse les résultats du sondage.

Professeur à Sciences Po, auteur notamment des « Nouveaux populismes » (Pluriel, 2013), Dominique Reynié dirige la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Ce think tank d’obédience libérale a mené, avec l’International Republican Institute (IRI) et le sondeur Ipsos, une enquête dans 42 pays* sur les citoyens et la démocratie. À une semaine des élections européennes, le constat est alarmant. En Europe, « l’opinion selon laquelle la démocratie ne fonctionne pas bien domine », relève Dominique Reynié.

La démocratie n’a plus la cote ?

DOMINIQUE REYNIÉ. La démocratie est entrée dans une phase agitée de son histoire. Face à la globalisation, les États donnent le sentiment de moins pouvoir agir. Ce que souhaitent les citoyens, au moment des élections, a moins de chances de se réaliser.

Ce n’est donc pas le système qui est rejeté, mais ceux qui le mettent en œuvre ?

Oui, l’État, le personnel politique, sa compétence, son honnêteté… Notre étude ne révèle pas une préférence pour la dictature, mais une forme de mélancolie. L’attachement au principe de la démocratie, fondée sur l’élection de représentants, est massif. La mélancolie vient d’un doute sur la capacité des institutions. D’où la défiance à l’égard des institutions, des partis, liée à un scepticisme croissant sur l’efficacité de la puissance publique.

Scepticisme ?

On parle d’euroscepticisme. Mais il faut aussi inventer un mot pour qualifier le scepticisme des citoyens à l’égard de leurs autorités nationales. Une sorte d’« Étatoscepticisme », plus fort encore que l’euroscepticisme. On vote, et il n’arrive pas ce que nous avons exprimé, souhaité.

Les citoyens pensent que les cartes sont entre d’autres mains ? Lesquelles, les marchés, les multinationales, les Gafa, qui ?

Les gens voient que le monde est en train de changer, savent qu’un État n’est pas de taille à répondre, seul, aux défis climatique et terroriste, aux grandes crises financières, aux mouvements migratoires… Ils voient que les États sont en train d’être rapetissés, et se demandent, du coup, qui décide vraiment ? Dans notre enquête, l’opinion désigne les hommes et les femmes politiques en tant que tels, les riches, les puissances transnationales comme les grandes entreprises, les marchés financiers, etc. Seules 6 % des personnes interrogées disent que c’est le peuple qui détient le pouvoir ! C’est la grande déception démocratique de ce début de XXIe siècle.

C’est-à-dire ?

Le régime démocratique peut paraître inadapté à ce nouveau monde. D’ailleurs, les sondés évoquent, pour diriger, un collège d’experts ou un homme fort qui n’aurait pas à se préoccuper du Parlement ni des élections, une forme de dictature. C’est l’idée qu’il faut injecter de la puissance, de l’autorité. Cela annonce une demande d’autoritarisme.

On le sent plus fortement chez les jeunes ? Pourquoi ?

Il y a une « déconsolidation » démocratique, partout, chez les nouvelles générations. Elles prennent leurs distances à l’égard des principes et des valeurs de la démocratie. C’est sérieux. Les jeunes sont beaucoup plus nombreux que leurs aînés à aller vers un pouvoir autoritaire. Est-ce l’effacement de la mémoire ? Les derniers grands témoins disparaissent, la trace qu’apporte l’école est moins profonde que celle des témoignages directs. Les jeunes reviennent sur des modèles qui étaient des repoussoirs il y a dix ou quinze ans.

Cela a un impact électoral ? Aux prochaines européennes, par exemple ?

Quand elles ne s’abstiennent pas, les jeunes générations votent beaucoup plus pour les partis populistes, anti-système. Le Mouvement 5 étoiles séduit les jeunes Italiens, le Rassemblement national fait un carton chez les 18-24 ans, notamment les non-diplômés. Cependant, le plus massif, c’est l’abstention. Les trois quarts des jeunes ne vont pas aller voter aux européennes du 26 mai. Pour une élection assez nouvelle – datant de 1979 – portant sur le seul Parlement transnational au monde, cela souligne le phénomène de déconsolidation démocratique.

Aspect frappant de l’étude, le très haut niveau de confiance pour l’armée…

C’est un vrai glissement dans nos démocraties, cette confiance accrue dans les institutions d’ordre, armée et police. Elle s’explique par l’attente d’un système plus chargé d’autorité, plus efficace. Le sentiment d’un monde plus dangereux, aussi, avec le terrorisme qui a joué un rôle majeur. On se réarme psychologiquement et moralement. C’est le signe d’un passage à un nouveau monde, on sort du confort existentiel, la paix civile n’est pas garantie. Le poids des réseaux sociaux se fait sentir : on est exposé comme jamais, surtout les jeunes, à la violence du monde.

Il faut être pessimiste ?

Je tiens pour certain que la démocratie n’a aucune raison d’être persuadée de durer. Si les démocraties ne font pas la preuve de leur efficacité à mener leurs politiques publiques, la tendance autoritariste aboutira à l’installation de tels pouvoirs. Ils pointent leur nez en Europe, au Brésil, dans l’Amérique de Trump…

*Les 28 pays membres de l’Union européenne, plus Norvège, Suisse, Ukraine, Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Serbie, Australie, Brésil, Canada, États-Unis, Israël, Japon, Nouvelle-Zélande.

 

Lisez l’article leparisien.fr.

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