Les think-tanks en ordre de bataille pour la campagne présidentielle

Marie Visot | 12 septembre 2021

ENQUÊTE - Dette, transition écologique, éducation, institutions… Les laboratoires d’idées, chacun à sa manière, seront des forces de propositions dans les semaines et mois à venir.

Institut Montaigne, Fondation Jean Jaurès, Terra Nova, Fondation iFrap, Institut de l’entreprise, Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)… Les think-tanks, ces laboratoires d’idées, sont sur le pied de guerre. Car, comme à chaque présidentielle, ils ont bien l’intention de soumettre au débat public leurs analyses et expertises, qu’elles soient de tendance libérale, progressiste ou socialiste. Aujourd’hui, ils sont nombreux. Mais, surtout, ils ont pris le marché des idées. « La place des think-tanks dans le débat public s’est accrue dans des proportions considérables, leur responsabilité aussi », relève l’ancien conseiller de DSK, Gilles Finchelstein, qui dirige la Fondation Jean Jaurès, proche de la gauche. « Les partis manquent de capacité à organiser une réflexion », analyse Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique, think-tank d’orientation libérale. « Non seulement il y a des sensibilités au sein d’un mouvement, a fortiori quand il y a multitude de candidatures à la candidature ; mais il n’y a pas eu, ni à droite ni à gauche, de projet travaillé depuis leur défaite respective en 2007 et 2012. Les candidats et futurs candidats ne savent pas sur quelle doctrine ils vont fonder leur action. Quant aux primaires, elles n’encouragent pas les idées, mais l’instrumentalisation des idées. Si vous retirez les think-tanks, il n’y a plus rien ! », insiste-t-il. Il y a une «paresse idéologique des politiques, prêts à tout pour se différencier les uns des autres, complète Laurent Bigorgne, à la tête de l’Institut Montaigne. Rendez-vous compte que deux des plus importants économistes du monde, Jean Tirole et Olivier Blanchard, viennent de rendre un rapport sur les grands défis économiques de la France et que cela ne suscite aucune réaction, ni chez En marche !, ni de LR, ni du PS ! ». À la tête de Terra Nova, proche de la gauche, Thierry Pech estime que « nous sommes dans un moment de grande confusion intellectuelle » et qu’il faut « donner de la clarté ».

Les think-tanks y travaillent donc. Tous sont composés d’une équipe plus ou moins étoffée de permanents, et d’illustres noms (experts, banquiers, avocats, hauts fonctionnaires ou anciens politiques) garnissent les rangs de comité scientifique, comité directeur et autre conseil de surveillance. Et tous font appel à des contributeurs extérieurs. Terra Nova a organisé un séminaire interne il y a quelques semaines pour mettre en ordre les idées à porter pendant la campagne. « Il est ressorti des échanges qu’il y a une nécessité d’inventer un nouveau récit, de tracer des perspectives longues qui manquent aujourd’hui car les socles idéologiques se sont effondrés », indique Thierry Pech. Pour lui, quelques points saillants ne doivent pas échapper à la réflexion, comme le capitalisme responsable ou l’invention d’un nouveau modèle de prospérité, neutre en carbone. « Il va aussi falloir être clair sur la relation entre l’État et le marché, une condition pour réussir à gérer les transitions qui viennent – qu’il faudra d’ailleurs piloter avec des formats de négociations et de discussions nouveaux, sinon on continuera à faire des expériences malheureuses », dit-il. Le think-tank prévoit de publier une dizaine de rapports et de notes (sur la politique du logement, la gouvernance de la transition écologique, sur les institutions…) d’ici au mois de février.

« Le déclassement de la France »

À la Fondation pour l’innovation politique, c’est la « notion de puissance » qui va guider les propositions. « Dans un monde devenu extraordinairement disputé, la France peut perdre sa toute-puissance si elle ne se pose pas la question de retrouver la capacité d’influencer », explique Dominique Reynié. Dans ce contexte, les enjeux sont importants sur les questions d’innovation et recherche, des biotechnologies, de l’intelligence artificielle, de l’autonomie énergétique ou encore de souveraineté numérique – « parce que ce qui nous est arrivé dans le domaine sanitaire peut arriver demain dans ce domaine aussi ». Et le politologue d’ajouter qu’il faudra s’interroger sur notre « principe de précaution, ce monopole français qui est inhibant », sur « l’attractivité française pour les candidats à la migration », sur la baisse de la pression fiscale pour renforcer le pouvoir d’achat des classes moyennes, etc.

À l’iFrap, Agnès Verdier-Molinié assume une tendance libérale. Dès ce mois-ci, le think-tank commencera, lui aussi, à publier des études ad hoc pour irriguer le débat sur les sujets qui lui tiennent à cœur, en prenant soin de les comparer avec ce qui se fait à l’international. « D’abord, sur la sécurité, indique Agnès Verdier-Molinié, parce que cela crée le climat dans lequel se déploiera l’économie. » Ensuite, la dette, sujet sur lequel il y aura de « grands écarts entre les candidats », anticipe-t-elle, et sur lequel se jouera « le déclassement de la France ». « Le déclassement sera effectivement au cœur de la campagne, mais pas sous un angle économique, considère à l’inverse le délégué général du libéral-conservateur Institut Thomas More, Jean-Thomas Lesueur. Ceux qui pensent qu ’elle peut se focaliser sur la manière dont on réduit de 3 points les dé penses publiques se trompent ! » Pour l’iFrap, pourtant, l’emploi « redémarrera quand on aura pris conscience du surcoût fiscal payé par les entreprises en France ».

Et les entreprises dans tout cela, justement ? « Elles ont un rôle de plus en plus important à jouer dans la société, elles sont pourvoyeuses de solutions, peuvent changer la donne sur de nombreux défis (environnementaux, emplois, formations, souveraineté technologique, insertion…), et les Français leur font de plus en plus confiance : il faut que les candidats en aient tous bien conscience », répond Paul Alübert, directeur général de l’Institut de l’entreprise. Pour peser dans le débat, il va, à partir de l’automne, organiser plusieurs dizaines d’ateliers avec des citoyens et des patrons. « Nous l’avons déjà fait plusieurs fois, et la méthode nous paraît porteuse », confie-t-il. L’objectif est d’élaborer collectivement des propositions concrètes avant la fin de l’année – sur le partage de la valeur, la formation et l’employabilité, la décarbonation, etc. – avant de les présenter aux différents candidats début 2022. Pour lui non plus, la question de l’endettement ne doit pas être écartée : « On ne peut pas investir sur les sujets importants (l’environnement, la formation, la santé, la sécurité…) si l’on a trop de dettes. Pour regagner en marge de manœuvre, les économies dans la dépense publique sont lentes et passent très mal dans l’opinion. La solution, c’est plus de croissance et plus de recettes fiscales. Dit autrement, développer les entreprises, c’est sortir par le haut de tous les problèmes qu’on a, y compris celui de l’emploi. » En cette rentrée, une task force va être mise en place, qui interviendra chaque semaine sur des grands sujets qui seront dans le débat public, via notamment les réseaux sociaux. Et la revue de l’Institut, Sociétal, consacrera son numéro de janvier à la présidentielle, via toute une série de points de vue.

Il y a, en tout cas, un sujet – avec le besoin de revivifier la démocratie – qui fédère tout le monde : celui de l’éducation et de la formation. À l’Institut Montaigne, on constate que « c’est l’inégalité de notre système éducatif qui crée les inégalités d’accès. Il faut vraiment insister là-dessus c’est là qu’un euro investi a le plus de rendement », souligne Victor Poirier, le directeur des publications. Chez Terra Nova, Thierry Pech insiste : « On continue à avoir un système éducatif qui laisse trop de monde sur le bas-côté. » Il estime qu’il faut « monter le niveau déformation de capital humain » et « jeter les bases d’une formation de la confiance, car il n’est pas normal qu’autant de jeunes arrivent sur le marché du travail en pensant qu’ils ne sont bons à rien ». Avec l’avenir du travail, la jeunes se sera également au cœur des réflexions de la fondation Jean Jaurès. « Sur ce sujet, comme sur d’autres, notre réseau composé aussi bien d’experts, d’universitaires, de responsables politiques, syndicaux, d’associations, de citoyens nous permet sûrement d’avoir un bon ressenti », note Jérémie Peltier, son directeur des études. Pendant la crise des « gilets jaunes », le think-tank avait étudié « La France du kebab » et « La France de la country » ; il prévoit maintenant de se pencher notamment sur « La France du bas de la classe moyenne » et « La France des crédits consommation ». Et partagera son analyse de la société et ses propositions via des notes, mais aussi des séminaires, colloques et autres podcasts.

« Nous ne soutenons personne »

Et puis, il y a les comparaisons des programmes. Pour cette campagne, Le Figaro s’est une nouvelle fois associé avec l’Institut Thomas More, qui passera aux cribles les propositions des candidats à la primaire de la droite d’abord et à la présidentielle en suite. « Compte tenu de l’éloignement de la jeunesse pour la “chose politique », il faut leur donner un éclairage démocratique dans une période qui en a infiniment besoin », insiste Jean-Thomas Lesueur.

Les équipes de l’Institut Montaigne vont, de leur côté, se pencher dès ce mois de septembre sur les évaluations chiffrées. Pendant les quelques semaines cruciales de la campagne, une trentaine de personnes, souvent des hauts fonctionnaires, évalueront au millier d’euros près les propositions. « Les candidats ont un droit de retour sur le chiffrage de leurs propositions. L’idée est d’interagir avec l’ensemble des équipes de campagne qui l’acceptent ; l’Institut tranche à l’arrivée », avant la mise en ligne des résultats en février ou mars, indique Victor Poirier. Comme à chaque fois, les candidats vont contester les montants, mais « il faut confronter leurs propositions à la réalité, que des acteurs comme nous challengent leur manière de préparer leurs programmes ». « Le devoir des think-tante est de remettre un peu de lucidité dans le débat », insiste Laurent Bigorgne. Le comparateur de programme de l’iFrap, lui, tente de répondre aux questions que se posent les citoyens : qui baissera les dépenses ? Et les impôts ? Qui fera reculer le plus le chômage ? Qui atteindra le meilleur taux de croissance ? « Tout ce qu’on publie est bien sûr regardé de près par les équipes », indique Agnès Verdier-Molinié. En 2017, l’iFrap affirmait que le programme économique de François Fillon était le plus efficace…

Tous le jurent : ils n’ont pas de candidats ! « il n’y a pas de littérature grise à la Fondation pour l’innovation politique, on ne fournit de notes à personne. Nous voulons être au cœur du débat, mais à l’écart des contraintes des politiques », relève Dominique Reynié. Thierry Pech insiste, lui aussi : « Ce qui compte pour nous, c’est la réflexion. Dans ce cadre, on peut être amené à proposer ou critiquer des propositions de candidats, mais nous ne soutenons personne. En cas de deuxième tour opposant un candidat républicain à un candidat qui ne le serait pas, nous nous rangerions derrière le candidat républicain. C’est ce qu ’on a fait en 2017. » Chez Jean Jaurès, on rappelle que, bien qu’ayant des sensibilités, les fondations d’utilité publique n’ont pas le droit de prendre parti pour un candidat.

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