
Victor Delage: «Pourquoi les pays nordiques de l'Union européenne basculent à droite»
Victor Delage | 25 avril 2023
Les récentes victoires de formations de droite lors des élections législatives finlandaises et suédoises traduisent une évolution des préoccupations des électeurs, analyse le responsable des études à la Fondation pour l'innovation politique. Et d'un malaise identitaire profond dans ces pays.
L’hypothèse d’une droitisation des pays nordiques de l’Union européenne, historiquement à dominante sociale-démocrate, se confirme à la lumière des récents résultats électoraux. Le 4 avril dernier, en Finlande, le Parti de la coalition nationale de droite est arrivé en tête des élections législatives, avec 48 députés, talonnée par le Parti des Finlandais, une formation populiste, anti-immigration et eurosceptique qui a réalisé le meilleur score de son histoire, avec 46 sièges. Les sociaux-démocrates, au pouvoir depuis quatre ans, n’arrivent qu’en troisième position, avec 43 députés. Dans la foulée de sa nomination, le premier ministre, Petteri Orpo, chef de la coalition de droite, a déclaré ne pas exclure une alliance avec le Parti des Finlandais pour gouverner.
Ces résultats font écho aux élections législatives suédoises de septembre 2022, où le bloc de droite l’a emporté face à la coalition de gauche dirigée par Magdalena Andersson, la première ministre sortante. Bien que les Démocrates de Suède, le parti national-conservateur devenu la première force de droite, n’aient pas intégré le gouvernement, ils le soutiennent en échange d’une politique restrictive en matière d’immigration.
Le basculement à droite de ces deux démocraties scandinaves consolide davantage l’hégémonie des droites en Europe : vingt-deux États membres sur vingt-sept sont dirigés par des partis libéraux/conservateurs ou par des coalitions de droite. Parmi les cinq pays rescapés où la gauche est aux commandes, le cas du Danemark, autre contrée nordique, est singulier : les sociaux-démocrates, réélus en 2022, forment une coalition avec le centre droit, assumant, au nom de l’État providence, un tournant en ralliant la politique de limitation drastique des flux migratoires, initiée il y a une vingtaine d’années par la droite de gouvernement sous la pression des populistes du Parti du peuple danois.
Outre les résultats électoraux, les croyances individuelles et les préoccupations des électeurs, aussi bien conjoncturelles que structurelles, renseignent sur les ressorts de leur possible inclinaison à droite.
Tout d’abord, les pays du Nord n’échappent pas à la hausse des prix de l’énergie et à la forte inflation, alimentant une inquiétude croissante chez les citoyens. Dans ce contexte, la bonne gestion des comptes et la maîtrise de la dette publique, auxquelles les Danois, les Finlandais et les Suédois sont très attachés, occupent une place centrale dans les débats. Lors de la dernière campagne électorale finlandaise, la droite a vivement dénoncé la politique dispendieuse de la gauche qui se solde par une hausse de la dette publique de 10 points du produit intérieur brut en quatre ans, et qui menacerait le modèle nordique de protection sociale.
Par ailleurs, l’invasion de l’Ukraine par la Russie nourrit le retour d’une angoisse obsidionale et d’un réflexe nationaliste. Les Finlandais – qui partagent avec leur voisin russe 1 340 km de frontières – et les Suédois ressentent le vif besoin de se réarmer et d’être protégés militairement. Les dernières données de l’Eurobaromètre Standard (février 2023) confirment que la situation internationale, le coût de la vie et, dans une moindre mesure, la conjoncture économique, constituent les principales préoccupations des populations nordiques.
À la situation délétère du moment s’ajoute un malaise identitaire profond, dont la montée en puissance des droites populistes est l’une des conséquences. À partir des années 1980, des décennies de libéralisation couplées à l’arrivée de flux migratoires extra-européens ont profondément modifié l’architecture de l’État providence et le marché du travail, façonnant une société de plus en plus inégalitaire et divisée. Les recherches de Robert D. Putnam montrent que dans des peuples ethniquement homogènes, comme c’est le cas des démocraties nordiques, une forte augmentation de l’immigration entraîne de facto un multiculturalisme au risque de perturber les codes culturels et sociaux de la solidarité nationale. Au fil des ans, les craintes liées à l’immigration sont devenues de plus en plus prégnantes, tout comme le sentiment d’insécurité suscité par la hausse de la criminalité et de la délinquance, avec une surreprésentation des immigrés, particulièrement en Suède. Les données des enquêtes de l’Eurobaromètre sont implacables : entre 2017 et 2022, l’hostilité à l’égard des migrants a fortement augmenté au Danemark (+7 points), en Finlande (+6 points) et plus encore en Suède (+12 points).
Les politiques migratoires des pays scandinaves divergent fortement depuis le début des années 2000. Le Danemark déploie la même politique d’immigration, indépendamment de l’orientation de la majorité au pouvoir : accès à la nationalité et au regroupement familial difficiles, programmes d’intégration très exigeants et, désormais, volonté de recourir à un pays tiers extra-européen pour les demandes de visa. L’un des effets notables est l’effondrement électoral du Parti du peuple danois.
En Suède, la situation est inversée : le succès des Démocrates de Suède découle surtout du décalage entre l’opinion suédoise, favorable à la réduction du nombre d’immigrés depuis les années 1980, et le conformisme de la classe politique. La part des migrants non occidentaux est passée de 2 % en 1980 à plus de 20 % aujourd’hui. À tel point que lors des dernières élections finlandaises, la Suède était régulièrement citée comme l’exemple à éviter en matière de politique d’immigration.
Ainsi, la conversion des démocraties nordiques à la droite s’observe autant dans les urnes que dans l’opinion. L’idée selon laquelle les prestations sociales devraient être limitées aux «autochtones» s’est installée dans le débat, les politiques et les préoccupations en Finlande, plus encore au Danemark, et bientôt en Suède. Si dans les années 1970 la démocratie sociale scandinave fut érigée en modèle, la nouvelle alliance nordique reposant sur la préservation de l’État providence, la préférence nationale, la sauvegarde de l’identité et la «soutenabilité» des comptes publics, pourrait s’imposer aux Européens, particulièrement en France, à l’heure où la pression migratoire risque encore de s’accentuer et où l’état des finances publiques combine dette record et déficit majeur.
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