2017 : la République remise « en marche » ?

Vincent Feré | 09 juin 2017

legislatives-qui-sont-les-candidats-de-la-republique-en-marche-dans-l-ouest_3Nul ne peut nier que la recomposition politique ne soit « en marche ». Le processus ne fait certes que commencer mais déjà les analystes, conscients de l’ampleur des changements à l’œuvre, osent un parallèle avec 1958. Toutefois, la comparaison avec l’émergence de la République des républicains dans les années 1880 permet sans doute mieux d’en mesurer l’importance et peut-être d’en apercevoir les limites.

Recomposition politique

Au moment du vote des lois constitutionnelles en 1875, un jeune député venu de la gauche, Léon Gambetta, a saisi la nécessité d’une recomposition politique. Il a compris en effet qu’une entente est possible entre les républicains, pourvu qu’ils modèrent certains de leurs principes, et une fraction de la droite d’autant que celle-ci est profondément divisée entre orléanistes, légitimistes et bonapartistes. Gambetta entend ainsi attirer du côté de la République une partie de la droite orléaniste, lasse des atermoiements des monarchistes et sans grande sympathie pour leur politique d’ordre moral. Opération réussie : la droite se scinde, des orléanistes adoptent la forme républicaine du régime et rallient le camp républicain soudé, à partir de la crise du 16 mai 1877, autour des valeurs qui vont le définir pour longtemps, la laïcité et le parlementarisme. La question sociale est oubliée et d’ailleurs selon Gambetta « il n’y a pas de question sociale », la question nationale aussi : « la Revanche, pensons-y toujours, n’en parlons jamais » disait le même Gambetta. Le régime, socialement conservateur, saura se défendre contre l’extrême gauche socialiste et, culturellement libéral, contre la droite cléricale et nationaliste. Le socle politique et idéologique de la République est appelé à durer, la droite monarchiste est marginalisée, l’extrême gauche se rallie ou pèse peu.

En 2017, à l’âge de Gambetta dans les années 1870, Emmanuel Macron, héritier – ou fossoyeur ? – d’un socialisme en ruines a réussi à regrouper derrière lui et son parti la gauche réformatrice et une partie de la droite libérale autour de la construction européenne et des valeurs du libéralisme. Macron, comme Gambetta avant lui, a compris la nécessité d’acter la disparition de certains clivages d’un autre âge. Du coup, comme dans les années 1880, la conjonction des centres est de nouveau d’actualité et la République en marche, le parti du Président, pourrait bien jouer le rôle de « parti pivot » (S. Berstein) jadis dévolu au parti radical et radical socialiste. Au passage la Cinquième République, après six décennies de bipolarisation gauche/droite, fait une fois encore la preuve de sa faculté d’adaptation. Mais l’orléanisme étant au pouvoir la question sociale est oubliée comme sous la Troisième République, abandonnée aux extrêmes, la question identitaire aussi.

La synthèse politique macronienne n’est donc pas sans rappeler la synthèse gambettiste et comme le souligne Laurent Bigorgne, « Emmanuel Macron ne doit pas son élection à un accident » (1). Aura-t-elle pour autant la même postérité que celle de son illustre aîné ?

                                              Recomposition sociologique

Gambetta et les républicains opportunistes en fondant la République ont, pour reprendre la thèse de François Furet, terminé la Révolution. Celle-ci, selon la célèbre formule de Prévost-Paradol avait certes « fondé une société mais elle cherchait encore sa forme de gouvernement ». Or, la grande habileté des républicains c’est non seulement d’avoir bâti un modèle politique acceptable par les Français en mettant de côté certains de leurs dogmes, ce qui leur a valu leur surnom d’opportunistes, mais de lui avoir donné une assise sociologique solide : la France rurale, majoritaire jusqu’en 1931, bientôt protégée par les tarifs Méline et celle des classes moyennes urbaines, professions libérales ou fonctionnaires. A ces deux France, la République promet, par l’école, l’ascension sociale et c’est en ce sens qu’il n’y a pas pour Gambetta de question sociale; à ces deux France, la République apporte l’ordre social et la paix, non sans une solide culture patriotique, ciment de la nation. Mieux, Léon Gambetta lui-même, dans son discours de Grenoble en 1872, annonce l’arrivée au pouvoir de « couches sociales nouvelles » – il était fils d’épicier – et la Troisième République a été celle des avocats avant d’être celle des professeurs. L’élite dirigeante est le miroir de la base sociologique du régime. Le « modèle républicain » de la Troisième République analysé par Serge Berstein, c’est donc la rencontre cohérente d’un système politique et d’une société.

Or, en 2017, si l’on voit bien l’habileté politique et l’opportunisme d’Emmanuel Macron, on ne voit guère en revanche, pour l’instant, l’arrivée de « couches sociales nouvelles » au pouvoir ; plutôt le maintien en place d’une élite technocratique, un monde fermé et peu représentatif de la « France dans ses profondeurs » (de Gaulle). On ne voit pas davantage où se situe la base sociologique du régime ou plutôt la France qui joue ce rôle semble circonscrite à celle des métropoles ; la « France périphérique » (C. Guilluy), laissée de côté, ne s’y retrouve guère. Plus grave, l’orléanisme au pouvoir théorise même parfois son abandon – en 2011, un rapport de Terra Nova, un think tank proche du Président, préconisait l’oubli par la gauche de gouvernement des classes populaires -.

Une chose est sûre, la « Révolution » promise par le président de la République a peu de chances d’être pérenne si elle n’entraîne par la majorité du peuple dans son sillage. Remettre les institutions en marche n’a en effet pas grand sens si la majorité des citoyens ne s’y reconnaissent pas. Pour retourner la formule de Prévost-Paradol, la France macronienne a peut-être trouvé sa forme de gouvernement, il lui reste à fonder une société nouvelle qui concilie modernité et solidarité. Une tâche sans doute autrement plus ardue.

 

Vincent Feré

 

(1) Le Monde du 24 mai 2017

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