A la recherche du bien commun
Fondapol | 12 août 2011
François Flahault, Où est passé le bien commun ?, Fayard, « Essais Mille et une nuits », février 2011, 252 pages, 14 euros
Loin d’être l’apanage de la philosophie et des sciences sociales, la problématique du bien commun suscite un débat récurrent. Est-elle une référence morale ou un principe juridique ?
Directeur de recherche émérite au CNRS, François Flahault s’est notamment illustré par des travaux originaux et passionnants sur les scènes de ménage ou l’importance du visage dans les relations humaines. Il revient ici plus classiquement sur les fondements juridiques et moraux des droits de l’homme, pour proposer une nouvelle approche du bien commun.
Partant du principe que la sphère politique est dominée par les enjeux économiques, Où est passé le bien commun ? est une invitation à repenser une notion complexe.
Un bien commun bousculé par la mondialisation libérale ?
L’ouvrage de François Flahault est l’occasion de s’interroger sur un concept a priori classique, voire familier. Le bien commun, n’était certes pas seulement synonyme de bien-être individuel à l’époque de l’Europe médiévale ou moderne, mais il semble avoir pris aujourd’hui une toute autre signification.
Au-delà de toutes références datées aux régimes communiste et totalitaire, la pensée politique et économique contemporaine, en adoptant l’individualisme et une conception utilitariste de l’être humain comme de la société, aurait en effet vidé la notion de bien commun de sa substance « traditionnelle ».
Nouveau contenu pour notion ancienne
François Flahault récuse d’abord l’idée, d’inspiration lockéenne, selon laquelle la société est le fruit de l’association d’individus libres, chacun étant juge de son bien et se réalisant dans la poursuite de son intérêt.
L’ambition de son livre consiste donc à proposer un nouveau contenu pour cette notion ancienne de bien commun.
Les droits de l’homme : un « faux » idéal de bien ?
Premier bien commun de substitution dont notre époque aurait « accouché » : il s’agit des droits de l’homme.
Elaborés en réponse au nazisme puis au totalitarisme, les droits de l’homme constituent la formulation politique, et la concrétisation juridique d’un seuil minimal de protection auquel chaque individu a droit. Leur fonction est de pallier les lacunes de la morale pour donner valeur juridique à des principes qui se veulent « transculturels ».
Mais François Flahault insiste sur « ce qui manque aux droits de l’homme pour penser le bien commun ». Il conteste aux grands textes fondateurs en matière de protection des libertés individuelles, individuels, comme la Magna Carta Libertatum de 1215 ou l’Habeas Corpus de 1679, toute fonction sociale.
En clair, faute qu’un idéal du bien commun leur soit adjoint, ces textes ne suffiraient pas à assurer la coexistence pacifique entre les hommes et la justice.
Les avancées scientifiques, reflet du « vivre-ensemble »
Faute d’avoir trouvé dans les droits de l’homme un nouvel idéal de bien commun, François Flahault examine ensuite ce que la science contemporaine nous enseigne sur l’homme. Il juge que les récentes avancées en paléonanthropologie, primatologie et psychologie du développement appellent des conséquences pratiques en termes de morale… Cette morale qui ferait défaut au droit naturel et aux droits de l’homme.
Or, les révolutions scientifiques des dernières années démontreraient selon lui que « l’état de nature est un état social ». L’observation des singes révèlerait de façon empirique que la relation sociale est l’essence de l’existence, grâce à l’empathie et l’attachement -ce qui n’est pas sans rappeler Aristote.
En somme, la coexistence – premier bien commun des personnes – aurait précédé les existences individuelles, puisque la réalisation de soi passe par l’interdépendance à autrui.
Le bien commun est-il nécessairement l’affaire de l’Etat ?
Existe-t-il un devoir moral et politique de veiller au bien commun ?
La réponse n’est pas évidente. François Flahault essaie d’abord de déterminer la place du politique par rapport au bien commun. C’est au politique que revient selon lui la charge de veiller sur toutes les formes de biens communs en assurant l’intégration de chacun dans le bien commun premier, la coexistence et les relations sociales.
Au politique, donc… à l’Etat, car François Flahault identifie presque parfaitement ces deux notions, d’une manière typiquement française.
Les pouvoirs économiques et le bien commun ?
Il croit même pouvoir avancer que le fonctionnement actuel de l’économie mondiale est nécessairement menaçant pour toute idée de bien commun.
François Flahault n’utilise l’histoire économique que pour tenter de démontrer que la croissance économique s’est substituée à l’intérêt général. Or, l’accroissement de la richesse ne saurait constituer, selon lui, un idéal en soi, puisqu’ il mobilise des logiques faussement rationnelles.
Tout juste l’auteur d’Où est passé le bien commun ? reconnaît-il que la prospérité est une des composantes du bien commun qu’il recherche. Mais comment faire autrement ?
L’avenir des biens communs
Plus concrètement, François Flahault s’inquiète de ce que les biens communs, manifestations concrètes de la notion de bien commun, seraient remis en cause par la société de consommation : « au bal de la consommation, les biens communs [feraient] tapisserie ».
Un livre très… français
Les thèses de François Flahault ne brillent pas toujours par leur originalité : il est ainsi de bon ton, en France, de penser que la mondialisation libérale porte en elle des logiques profondément déshumanisantes… Et de se tourner vers la puissance publique dès qu’il s’agit d’améliorer la vie d’une communauté et de chacun de ses membres.
Ces raisonnements méconnaissent une première évidence : c’est que de nombreuses entreprises n’ont pas attendu l’Etat pour intégrer à leur réflexion et à leur fonctionnement des principes écologiques ou de responsabilité sociale.
Pourquoi ne pas rappeler, ensuite, que la prise en charge du bien commun par l’Etat serait susceptible de menacer les libertés individuelles. La puissance publique doit-elle défendre une conception unique de la « vie bonne » en intervenant dans la sphère privée, ou au contraire, laisser chacun en déterminer la substance ? L’équilibre entre la mission sociale de l’Etat et la protection des libertés individuelles est fragile : il serait bon de le rappeler !
Le désarroi de l’humanisme
Il n’est donc pas interdit de considérer ce livre comme un symptôme, un de plus, du désarroi d’un certain humanisme occidental. A travers la notion de bien commun, c’est en effet la coexistence pacifique des êtres au sein d’une même société et leur communion dans un idéal commun que désigne François Flahault.
Il regrette implicitement un temps où l’homme formait le mètre-étalon de toute politique, de toute évolution. Mais ce temps a-t-il jamais existé ? Est-on sûr que nos contemporains vivent moins bien aujourd’hui qu’autrefois ? Qu’ils sont moins heureux ? Moins en paix ?
Ces interrogations invitent, on l’aura compris, à rompre avec la facilité de certains constats de départ, qui sont à l’origine d’une pensée discrètement pessimiste sur l’avenir de l’homme… Non, il est donc pas d’interdit de croire à une société où les hommes seraient plus libres, donc plus heureux !
Marine Mathé
Crédit photo : Google Images, domaine public
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