A-t-on raison de chercher en Macron le Trudeau français ?
Antoine Durand | 24 mai 2017
Emmanuel Macron fraîchement élu, les observateurs de la scène politique internationale n’ont pas tardé à se lancer dans des parallèles sur le fond et la forme avec le Premier Ministre canadien Justin Trudeau. La comparaison est tentante : en détrônant Trudeau à la place de plus jeune chef d’Etat des pays du G7, il a attiré l’attention sur une série de ressemblances avec le libéral Canadien, élu il y a maintenant 562 jours. C’est donc tout naturellement que la comparaison s’est faite, aussi bien dans la presse française que canadienne et internationale, pas toujours à juste titre cependant. A-t-on raison de voir en Emmanuel Macron le Trudeau français, et potentiellement la confirmation d’une tendance politique à l’échelle internationale ?
En premier lieu, les journalistes de part et d’autre de l’Atlantique se sont empressés de lister les similitudes les plus évidentes. Bien sûr, Emmanuel Macron et Justin Trudeau se font représentants d’une nouvelle génération de chefs d’Etats, encore rare parmi leurs homologues, dont la moyenne d’âge mondiale (chefs d’Etats ou de gouvernement selon les pays) est de 62 ans[i]. Elle veut promouvoir la fin d’un carriérisme politique fortement critiqué, au profit d’un parcours atypique et touche-à-tout justifié par des allers-retours entre public et privé. En termes de stratégie politique, cette nouvelle génération démontre sa maîtrise d’une communication moderne et efficace. En France, la brèche générationnelle apparaît clairement dans les méthodes de campagne. Quand Jean-Luc Mélenchon pense frapper les esprits avec un hologramme faisant figure de gimmick, Macron consolide une campagne déjà robuste par des meetings au ton informel, encourageant le dialogue et l’intervention du public. Au Canada, Trudeau est le produit promu par un marketing politique d’une efficacité redoutable, inondant de sa présence l’ensemble des réseaux sociaux, avec maîtrise.
Leur jeune âge s’accompagne de manière inhérente d’une certaine inexpérience politique au moment de leur élection, tout du moins aux yeux des commentateurs. Elle est cependant à nuancer, car ni l’un ni l’autre ne sont sortis de nulle part. Justin Trudeau était depuis 2007 élu député fédéral, et avait accédé en 2013 à la tête du Parti Libéral Canadien. Il disposait donc déjà de deux mandats d’élus, contrairement à ce que Gérard Collomb affirmait[ii] en voulant pousser la comparaison entre les deux hommes politiques (et son père avait été Premier ministre également). En France, l’inexpérience d’Emmanuel Macron était l’un des arguments récurrents de François Fillon contre son adversaire[iii], que ce dernier a lui-même fini par revendiquer lors d’un discours à Londres[iv]. Bien que jamais élu, il jouit pourtant du bagage apporté par son passage à l’Inspection des finances et à l’Elysée et par un poste de ministre de l’Economie. Inexpérience réelle ou apparente, elle n’a dans aucun des deux cas été rédhibitoire à leur élection, preuve peut-être d’un changement dans les critères électoraux et dans la mentalité des électeurs.
S’il est aisé de trouver des rapprochements sur la forme, leurs grands axes politiques sont-ils pour autant comparables ? Leur positionnement politique à tous deux en faveur d’un libéralisme modéré incite à chercher des analogies dans les points clés de leurs programmes électoraux, mais aussi dans leurs tactiques politiques.
Pour Trudeau comme pour Macron, la création d’emplois est le déclencheur sur lequel il est nécessaire d’agir pour résoudre la plupart des problèmes sociaux, via une meilleure intégration sociale. Ce point commun a été mis en exergue par la déclaration du Premier Ministre canadien à l’annonce de l’élection d’Emmanuel Macron[v], qui s’est dit impatient de « créer de bons emplois pour la classe moyenne des deux côtés de l’Atlantique ». Dans son discours aux Français de Londres en février 2017, Macron précisait sa position :
« Ce que je veux, c’est de la liberté pour celles et ceux qui veulent faire, qui veulent créer de l’emploi. […] [Ce] n’est pas un projet libéral ou ultra-libéral au sens où beaucoup l’entendent. C’est un projet libéral au sens classique du terme. Moi, je l’assume, cette volonté de redonner de la liberté. C’est un projet anti-conservateur. Parce qu’un conservateur, il a déjà bien réussi et il ne veut pas qu’il y en ait d’autres qui réussissent. »
En outre, tous deux favorisent en apparence les grandes intégrations géographiques plutôt que les particularismes locaux ou culturels : on va jusqu’à comparer le fédéralisme canadien de Trudeau à l’Europhilie de Macron. Attention toutefois à ne pas ignorer les spécificités géographiques et historiques des deux pays. Au Canada, on peut voir depuis longtemps Justin Trudeau affirmer son opposition au nationalisme Québécois, de la même manière que son père Pierre Elliott Trudeau s’était constamment montré hostile au Parti Québécois qu’il disait « prisonnier de sa pensée nationaliste »[vi]. Pour Trudeau, le Québec est avant tout canadien, et l’expression d’une nation québécoise n’est rien d’autre qu’une volonté rétrograde de repli sur soi. D’autres tensions viennent s’y ajouter : la cohabitation avec les « First Nations » en est un exemple. L’enjeu est évidemment différent pour Macron : là où le Premier Ministre Canadien cherche à préserver l’unité de son pays – à la tradition multiculturelle forte – et éviter la sécession culturelle d’une partie de celui-ci, la tâche principale de Macron est de renforcer une intégration économique beaucoup plus complexe, dans un pays beaucoup plus ancien.
Enfin, on a trop souvent mis sur le même plan les deux hommes en comparant leur « disruption » des formes politiques en place depuis des décennies. Certes, Trudeau gouverne depuis un parti de centre-droit en allant piocher plus que d’ordinaire dans les idées de la gauche, tandis que Macron ambitionne de transcender les partis politiques. Mais vouloir aller plus loin dans la comparaison, c’est oublier que Trudeau a le soutien d’un appareil déjà largement ancré dans le paysage politique canadien : le Parti Libéral du Canada (PLC). De son côté, Macron doit construire le sien de toutes pièces puis rallier à lui tant bien que mal des acteurs politiques issus des partis traditionnels. Une tâche bien plus conséquente, donc, d’autant plus qu’il n’hérite pas d’un nom qui résonne politiquement, comme Trudeau.
En somme, voir en Trudeau et Macron des siamois politiques que seul l’Atlantique sépare est excessif, malgré d’évidentes similitudes. Un libéralisme rassembleur, un pragmatisme de gouvernement et une maîtrise parfaite des subtilités d’une campagne politique moderne sont les attributs communs des deux hommes politiques. Mais dans sur bien des aspects la comparaison s’arrête là, le contexte géographique l’emportant sur la ligne politique. Au-delà, on peut supposer que les deux hommes sont seulement les premiers représentants d’une nouvelle manière de faire de la politique, moins partisane, plus inclusive et au reposant sur un marketing politique efficace !
[i] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/745971/carte-age-dirigeant-monde
[ii] http://sites.arte.tv/28minutes/fr/gerard-collomb-en-marche-28minutes
[iv] https://en-marche.fr/article/meeting-macron-londres-discours
[vi] Claude Couture. Pierre Elliott Trudeau et le libéralisme canadien : la loyauté d’un laïc. L’Harmattan, 1997, p.42-43.
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