Absolutisme : gare aux idées reçues
25 juillet 2013
Absolutisme : gare aux idées reçues
Arlette Jouanna, Le pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté, Paris, Gallimard, 2013.
Dans son dernier livre, Arlette Jouanna, Le Pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté[1], s’inscrit dans la continuité de certaines réflexions sur le pouvoir et la royauté élaborées dans La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État, 24 août 1572[2]. L’auteur s’attaque avec brio à la notion de pouvoir absolu en dénonçant les fausses évidences quant à son émergence et en livrant une analyse iconoclaste qui intéressera tant les historiens et les politologues que les amateurs d’histoire soucieux d’étudier le phénomène absolutiste.
Sonder l’imaginaire politique
Les treize chapitres qui composent l’ouvrage sont avant tout l’illustration d’une méthode. Comme l’écrit Arlette Jouanna : « pour conduire une telle recherche, le rapport fluctuant et complexe entre les idées et les pratiques doit être scruté attentivement »[3], et un peu plus loin d’ajouter « le livre que voici[…]ne se veut ni une histoire évènementielle ni un traité institutionnel ;[…][mais consiste plutôt en une prolongation]de l’enquête naguère ouverte par Roland Mousnier : comment les Français voyaient et vivaient leur « constitution » »[4].
C’est ce programme de recherche qui définit pour l’auteur une investigation optimale de ce qu’elle appelle « l’imaginaire politique de la royauté ».Le but est, ici, de mesurer le point de rencontre entre les discours savants tenus sur le pouvoir – principalement par des légistes –, les pratiques destinées à mettre en œuvre ce pouvoir et la perception en retour de cette même pratique. C’est en établissant un lien constant entre la théorie et la pratique que l’auteur peut délimiter un champ d’investigation de la praxis du pouvoir royal.
Le pouvoir absolu, une idée reçue ?
L’auteur s’inscrit de manière extrêmement convaincante contre une vision téléologique de l’histoire du pouvoir royal où la Renaissance, suite à un renforcement progressif de ce dernier, verrait apparaître l’absolutisme qui caractériserait le roi pendant l’époque moderne (académiquement la période allant de 1492 à 1789) jusqu’à sa progressive remise en question au XVIIIe siècle.
L’auteur met en avant l’existence d’un autre courant de pensée, que l’on peut appeler « constitutionnaliste [JD1] » et qui constituerait une alternative au développement du pouvoir absolu du roi et même une réaction à ce dernier.
Outre cette mise en garde contre toute reconstruction a posteriori, l’auteur entend rendre compte des tâtonnements intellectuels, des allers et retours cognitifs des juristes et philosophes qui ont essayé de penser le politique. C’est ainsi une invitation à prêter une attention renouvelée à une chronologie fine du XVIe siècle. Là réside peut-être le principal apport de ce livre.
Une nouvelle histoire du « pouvoir absolu »
Contre la vision téléologique, l’auteur reprend le dossier du pouvoir des rois François Ier et Henri II. S’ils ont effectivement fait preuve d’autoritarisme, il semble difficile pour autant de parler à leur sujet d’absolutisme. Tant au niveau de leur pratique que de leur discours à son égard,les deux premiers monarques de la branche Valois-Angoulême ne semblent pas exercer leur souveraineté de manière révolutionnaire. Ce qui revient à nuancer les études qui font de l’époque moderne l’achèvement d’une construction du pouvoir royal.
Arlette Jouanna donne alors une importance nouvelle aux Guerres de religion. Ce dramatique conflit entraîna une rupture dans l’exercice de la souveraineté et corrélativement dans l’imaginaire politique des Français. Les troubles et les violences terribles furent l’objet d’une redéfinition tant du degré d’autonomie de la sphère temporelle que du pouvoir que le roi pouvait y exercer sans rencontrer d’obstacles.
Cette révolution aboutit au règne d’Henri IV et à la sacralisation de la personne royale alors qu’auparavant la sacralisation portait sur la fonction. Le XVIIe verra « l’aspiration à croire en la sacralité royale se transformer […] en adhésion quasi fidéiste à un dogme politique qui méritera vraiment le qualificatif d’absolutiste, dogme martelé comme un article de foi par des publicistes convaincus qu’ils faisaient œuvre de salut public en le diffusant largement »[5].
Un ouvrage majeur
C’est donc un très bel ouvrage que nous livre Arlette Jouanna. Servi par une prose limpide, efficace[6] et qui ne sacrifie pas à la clarté du propos l’élégance du style, ce travail est appelé à faire référence ne serait-ce que par les discussions et les recherches qu’il ne saurait immanquablement entraîner.
Jean Sénié
[1] Arlette Jouanna, Le pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté, Paris, Gallimard, 2013.
[2]Eadem, La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État, 24 août 1572, Paris, Gallimard, NRF « Les Journées qui ont fait la France », 2007. Sur ce point précis voir, Hélène Fernandez, http://www.laviedesidees.fr/Retour-sur-l-histoire-politique-et.html#nb7; Nathalie SZCZECH, http://www.nonfiction.fr/article-576-les_cles_du_mystere.htm ; Antoine Boulant, « Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État (24 août 1572) », Revue historique des armées, 254 | 2009, [En ligne], mis en ligne le 06 février 2009. URL : http://rha.revues.org/index6712.html. [Consulté le 20 mai 2013].
[3]Arlette Jouanna, Le pouvoir…, p. 19.
[4]Ibid., p. 19-20.
[5]Arlette Jouanna, Le pouvoir…, p. 321.
[6] Il faut souligner le souci pédagogique constant qui anime le raisonnement de l’auteur.
Aucun commentaire.