Alice à l’ombre des merveilles
Chloé Lourenço | 19 avril 2017
Truffaut, Hitchcok, Fellini… tous ces noms sonnent à l’oreille du cinéphile. C’est moins le cas d’Alice Guy-Blaché première Française à avoir conquis le grand écran. Femme indépendante, talentueuse et incroyablement avant-gardiste, elle est la première femme réalisatrice et productrice au monde. Fin XIXème, elle avait réussi à se faire une place au sein du gotha très fermé du cinéma naissant. Mais un revers de fortune l’a faite sombrer dans l’oubli tout aussi rapidement. Gros plan sur une pionnière oubliée.
Une ascension fulgurante
Alice Guy-Blaché voit le jour à Saint-Mandé en 1873. Cinquième fille –probablement illégitime- d’un éditeur, elle cherche très vite à s’émanciper de cette famille qui ne la reconnaît pas à sa juste valeur. Elle apprend la sténodactylographie –alors, un domaine réservé aux hommes- et se fait embaucher en 1894 par un certain Léon Gaumont. A l’époque, le cinéaste ne voit pas le potentiel du cinéma, mais se borne à vendre des caméras et des appareils photo.
En 1895, Alice a une révélation lorsqu’elle voit son premier film sur invitation des Frères Lumières. Loin de la vision scientifique qu’avaient les Pères du cinéma, elle comprend que l’on peut raconter des histoires grâce à l’animation des images. Elle s’essaye à l’exercice l’année suivante, avec l’autorisation de Léon Gaumont, qui n’y voit pas d’inconvénient « tant que son courrier est bien fait ». Son premier film, La Fée aux choux raconte la légende bien connue selon laquelle les garçons naîtraient dans les choux et les filles dans les roses. Elle n’a alors que 23 ans, mais sa carrière est déjà lancée.
1 000 films à son actif
Entre 1900 et 1906, elle réalise pas moins d’une centaine de film, des courts-métrages pour la plupart, dans lesquels elle cumule les casquettes de scénariste, productrice et réalisatrice. Avec les moyens techniques de l’époque, elle se débrouille pour faire des trucages et les premiers effets spéciaux sont à mettre à son actif.
Alice Guy-Blaché se familiarise avec le 7ème art en produisant de très nombreux phonoscènes (l’ancêtre du vidéo-clip). Pionnière en la matière, elle filme d’abord la scène avant d’y incruster au montage la bande son. Elle réalise alors le prodige de mettre du son dans les films… 30 ans avant l’apparition de celui-ci au cinéma. Elle décide même de coloriser ses négatifs, technique reprise par l’industrie cinématographique bien des années plus tard. L’année 1906 voit la consécration de son talent : elle tourne La Vie du Christ, la première superproduction de l’histoire, mobilisant plus de 300 figurants et environ 25 décors dont certains en forêt de Fontainebleau pour une durée totale de 30 minutes. Pour l’époque, c’est un miracle.
En 1907, elle épouse Herbert Blaché et déménage aux Etats-Unis la mort dans l’âme, convaincue que son mariage mettra un terme à sa carrière. Elle arrive pourtant à se faire une place au soleil : aux Etats-Unis, en 1920, il y avait plus de femmes réalisatrices et productrices qu’aujourd’hui. Mais dès que le cinéma est devenu lucratif, cet univers s’est beaucoup masculinisé. Elle lance alors sa propre société de production, la Solax Films, avec laquelle, en 28 ans de carrière, elle produira au total plus de 1000 films.
Clap de fin
Son ultime réalisation, Une âme à la dérive, porte malheureusement un titre prémonitoire. Sa société de production est fortement concurrencée par Hollywood, et suite à la mauvaise gestion de son mari doublé d’un divorce en 1922, elle est contrainte de vendre. Elle rentre en France ruinée, avec 2 enfants à charge, espérant retrouver la place qu’elle avait quittée. Il n’en sera rien : son nom a été effacé des mémoires françaises. Elle ne retrouvera jamais de travail, car dans la France de l’entre-deux guerres, une femme –à moins qu’elle ne soit de petite vertu- n’exerce pas dans le milieu du cinéma.
En 1953, elle reçoit la Légion d’Honneur, mais rien ne pourra jamais la réhabiliter aux yeux des spectateurs. Certains de ses films de ses débuts ont même été attribués à tort à d’autres réalisateurs –masculins. D’autres iront jusqu’à dire qu’une femme ne pouvait être à l’origine de ces films.
Dans ses mémoires, publiés après sa mort en 1976, elle expliquera d’ailleurs que ce qui l’avait fait le plus souffrir, surtout en vieillissant, avait été de ne pas voir son talent artistique reconnu. Elle meure dans l’anonymat total dans le New Jersey, à 94 ans, oubliée de tous et reléguée au statut de « secrétaire particulière » de Léon Gaumont.
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