Aminata ou le printemps d’une femme arabe
Fondapol | 15 septembre 2011
Dans la peau d’Aminata
Kant et la petite robe rouge est le troisième roman de Lamia Berrada-Berca. Cette romancière et ancienne professeur de lettres, aux racines familiales multiples, nous livre un beau portrait de femme : celui d’Aminata, une jeune femme musulmane obligée de porter la burqa. Sous la forme d’un huis clos intérieur, le texte nous plonge, le temps de quelques mois, dans le quotidien de cette jeune épouse et mère. Il se positionne à la croisée de mondes et de cultures différents : le poids des traditions de là-bas et les us et coutumes d’ici. L’empathie avec l’héroïne est totale. De l’acceptation du dogme à l’indignation et révolte intérieure, nous la suivons pas à pas. Annoncés dès le titre, deux objets émancipateurs, une petite robe rouge et l’ouvrage de Kant Qu’est-ce que les Lumières ?, lui ouvrent la voie du désir et de l’entendement. Mais jusqu’où ?
Cet obscur objet du désir
« Elle est passée devant d’abord sans la voir » (p.5). C’est ainsi que le lecteur pénètre dans le livre. Ce qu’elle, l’héroïne, n’a d’abord pas vu, c’est une petite robe rouge. Qu’est ce que cette petite robe rouge, si ce n’est cet objet culte, symbole de l’Eternel féminin ? Le panthéon des grands couturiers en serait conquis. Une petite robe, à l’image de celle créée par Coco Chanel pour permettre aux femmes de se mouvoir plus librement. Une robe de couleur rouge, dont le célèbre couturier Valentino disait qu’elle incarnait l’essence de la féminité. A priori, on peut trouver cette opposition entre la longue burqa noire informe et la petite robe rouge fluide trop facile. En même temps, les termes du débat sont indirectement posés par la juxtaposition de ces deux objets, en tant qu’ils renvoient, par métonymie, à deux réalités diamétralement opposées. C’est ce que recherche Aminata : se confronter au regard de l’autre et surtout à son propre regard. Et c’est avec dextérité que l’écrivain traite de ce duel : rester invisible ou devenir visible ?
Sapere aude !
Cette citation de Kant fonctionne comme un cri de ralliement. « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » Plus fort que le désir d’une robe, c’est le désir d’apprendre, de réfléchir et d’accéder à la Vérité. Si l’auteur a tendance à jouer sur les jeux d’opposition, que ce soit entre le dedans et le dehors, le dogme et la réflexion, le mâle et la femelle, dont la « guerre sans bruits ne laisse pas de trace » (p.59), elle nous entraîne subtilement dans la quête de Vérité d’Aminata. Par delà la question de la burqa, elle ouvre la voie à des questions existentielles sur le bonheur et la vie en général. Il n’est plus question d’impératifs, mais de sagesse personnelle. Le livre donne alors l’impression d’un conte, dans lequel deux objets magiques, une petite robe rouge et un ouvrage de Kant, permettent, comme la clef d’or d’Alice aux Pays des Merveilles, de transformer la vie.
Des lendemains qui chantent ?
Ecrit avec subtilité et poésie, il ne s’agit ni d’un pamphlet féministe agressif, ni d’un essai apodictique, mais plutôt d’un hymne à la condition féminine. Traitant d’un sujet dur et délicat, l’auteur sait éviter les écueils et dogmes, dont il est d’ailleurs question. La manière dont le texte évoque le trajet de l’héroïne rappelle celle du roman d’apprentissage, puisque nous voyons Aminata prendre progressivement conscience de l’absurdité de sa situation : absence de bonheur, dogmatisme omniprésent… D’ailleurs, l’originalité du livre vient du fait que la critique de la burqa n’est pas extérieure, par exemple celle d’un occidental à la culture différente, à la perception autre des réalités, mais elle est intérieure, celle d’une porteuse de burqa qui a toujours accepté cette situation en pensant qu’il s’agissait de la norme. Le lecteur pénètre la conscience d’Aminata pour suivre son questionnement intérieur, sa prise de conscience que cette norme n’est peut-être pas celle qui lui convient. D’une histoire particulière, celle d’une jeune femme en quête d’apprentissage et de vérités, on en vient à une histoire aux résonances plus universelles : que désire-t-on vraiment ? L’auteur réalise un tour de force, dans la mesure où, tout au long du huis clos, l’atmosphère n’est en rien oppressante, étouffante. Elle est au contraire libératrice, dirigée vers des lendemains meilleurs…
Généalogie de la femme
Le personnage d’Aminata renvoie vers d’autres héroïnes de la littérature francophone. Elle semble descendre de Lol V. Stein, une des héroïnes de Marguerite Duras. D’ailleurs, l’écriture de Lamia Berrada-Berca rappelle parfois celle de Duras, tant par le style (omniprésence de la métonymie) que par la thématique. Si cette dernière s’attaquait à la femme au foyer des années 50-60, une époque où l’ouvrage La Femme mystifiée de Betty Friedan devenait culte pour toute jeune femme désireuse de se libérer du carcan des traditions, Lamia Berrada-Berca s’inscrit directement dans cette lignée en s’attaquant aux formes nouvelles d’oppression psychologique de la femme au foyer d’aujourd’hui. Aminata est astreinte chez elle, prisonnière de l’hectare de rues qui l’entourent. Le voile a remplacé le corset.
Néanmoins, puisqu’il est question de voile, nous ne vous en dévoilerons pas la fin…
Capucine Goyet
Crédit photo : Flickr, CharlesFred
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