Asie centrale, l’autre Asie
Bayram Balci | 11 mars 2015
Asie centrale, l’autre Asie
Par Bayram Balci, docteur en science politique, chercheur au CERI (Sciences-Po)
Apparue sur la scène internationale en 1991 après la dislocation de l’Union soviétique, l’Asie centrale a donné un cruel démenti aux analystes et aux responsables politiques occidentaux qui prédisaient qu’elle risquait bien de céder aux sirènes des fondamentalismes religieux et de sombrer dans le chaos. Près de vingt-cinq ans après, force est de constater que ces prophéties et mauvais augures n’ont pas eu lieu.
Au contraire, les cinq Républiques ont su, non seulement préserver, mais encore consolider leur sécularisme malgré la proximité turbulente de l’Afghanistan des Taliban et en dépit de l’arrivée dans leurs cités et leurs villages de courants fondamentalistes originaires de la péninsule arabique ou du sous-continent indien.
L’échec du radicalisme religieux
Les menaces de radicalisme religieux ont été réelles, mais ont échoué à rassembler une assise populaire au sein des sociétés locales façonnées par plusieurs décennies de traditions séculaires et attachées à un renouveau islamique avant tout mystique. En effet, et on a bien tort de l’oublier, les meilleurs éléments de la civilisation islamique, la science d’Avicenne et de Fârâbî, la sagesse de Nakshibendi et d’Al Boukhari, sont nés au cœur de cette Asie centrale dont l’ouverture et la redécouverte permettent à ces peuples – qui ont su, malgré toutes les difficultés qui s’abattaient sur eux, éviter les écueils des islamismes – de retrouver, aujourd’hui, la place qui leur revient dans la civilisation universelle.
Dominée par un islam traditionnel et mystique modéré, l’Asie centrale est aussi une zone stable dans un environnement régional particulièrement agité. À l’exception de la guerre civile tadjike qui a endeuillé le pays entre 1992 et 1997, la région n’a pas connu de conflit majeur comparable à ceux qui se sont déroulés dans le Caucase et encore moins à ceux qui déchirent actuellement les pays du Moyen-Orient. Et exception faite aussi du malheureux conflit interethnique qui a agité Och, en juin 2010, les nombreuses communautés qui peuplent chacun de ces pays multiethniques vivent en paix et en harmonie. Pour ne donner qu’un seul exemple, le Kazakhstan, composé d’une centaine de nationalités, a su faire de sa diversité ethnique et confessionnelle un atout majeur pour son rayonnement sur la scène internationale.
Une zone convoitée
Au carrefour de plusieurs civilisations et convoités par les grandes puissances internationales que sont la Chine, la Russie, les États-Unis et l’Union Européenne, les pays d’Asie centrale, tout en demeurant ouverts à des projets de coopération et de partenariat, n’en demeurent pas moins attachés à leur indépendance et à leur souveraineté retrouvées. Ainsi, restent-ils sourds aux discours incandescents des nouveaux « grands frères » turc ou iranien, circonspects face au retour en force de la Russie et prudents envers l’intérêt nouveau que leur portent la Chine ou les Etats-Unis, tout en prenant soin de bien choisir, diversifier et équilibrer leurs partenariats. Conformément aux règles de base de la bienséance internationale, que ce soit l’offre de coopération américaine autour de la question afghane ou l’invitation à se joindre à l’Union eurasienne initiée par Vladimir Poutine, leur exigence conditionnelle et préalable à tout engagement est le respect absolu de leur souveraineté, de leur spécificité et de leur identité nationale.
Ce vaste espace de rare stabilité sur la scène internationale qu’est l’Asie centrale présente aussi de nombreux atouts de coopération économique, essentiellement des richesses énergétiques et minières au Turkménistan, au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Ce dernier est également un partenaire stratégique important pour l’Europe tout comme le Tadjikistan, en qualité de base arrière pour l’Afghanistan. Le Tadjikistan et le Kirghizistan, les pays les plus ouverts, constituent aussi une porte d’entrée dans la région pour divers projets de coopération.
À l’occasion de la sortie du hors-série « Asie centrale, une région stratégique d’avenir ? », un petit-déjeuner débat est organisé sur le thème « Asie centrale, une autre Asie ».
Visiter le site de l’institut Jean Lecanuet et de France Forum.
Crédit photo : Christophe Chenevier
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