Autopsie du déclin français

Fondapol | 24 juillet 2014

24.07.14 -3Autopsie du déclin français 

« En France, nous sommes à la fin de l’été et l’hiver nous fait peur ». Non sans une pointe d’ironie, Jean d’Ormesson signe ici l’épitaphe d’une France comme hypnotisée par son passé, pétrifiée par le présent et tournant le dos à l’avenir. Au sein d’une mondialisation effrénée, la « grande Nation » semble aujourd’hui se perdre dans la spirale infernale du déclin. Bien que la flèche du fatalisme ne parvienne à trouver d’accroche dans ces quelques lignes, un certain spleen en irrigue néanmoins l’encre à peine sèche. À l’origine, un sombre constat : la France apparaît tutoyer l’hier mais bégayer face au lendemain.

La théorie du déclin hexagonal n’est pourtant pas récente. Comme le souligne l’historien Alain Chaffel, dès les prémices du XIXème siècle, Chateaubriand pointait déjà du doigt les « symptômes de décadence » du pays des Lumières. La défaite face à la Prusse ainsi que les deux guerres mondiales, couplées à la décolonisation, n’eurent de cesse selon Chaffel de renforcer ce sentiment de profond malaise. Plus récemment, des intellectuels comme Raymond Aron, Jacques Attali ou Nicolas Baverez ont épousé les thèses déclinistes qu’une grande partie des Français partage. Selon un sondage Ipsos réalisé en 2006 (soit avant la crise), 52% des Français estiment en effet que notre pays décline, contre seulement 8% considérant a contrario qu’il progresse. Un véritable désenchantement.

Des statistiques sans appel

Chiffres à l’appui, la « déclinophilie » prend une ampleur vertigineuse. La croissance française, tout d’abord, demeure atone dans un contexte mondial de reprise économique. Avec seulement 0,3% en 2013, elle figure à la remorque de la moyenne de la zone OCDE culminant à 1,3%. Et les récentes projections de l’INSEE et du FMI sont loin de dissiper les craintes portant sur l’entreprise France. Sur le front des déficits et de la dette, les inquiétudes s’amoncellent également. Malgré les oukases de Bruxelles et une inflexion sensible des dépenses publiques ces dernières années, le déficit public tricolore s’est fixé à 88,8 milliards d’euros en 2013 soit 4,2% du PIB, encore bien au-delà des prescriptions de Maastricht. Parallèlement, la dette nationale n’a cessé de suivre une tendance haussière, atteignant l’an passé 92% du PIB avec près de 2 000 milliards d’euros. Un record. Conséquence de cet endettement gargantuesque, la charge d’intérêt de la dette représentait 51,1 milliards d’euros en 2013. Une gabegie dont la responsabilité échoira inexorablement aux générations futures. Une dette morale vient alors s’ajouter aux dettes financières.

S’il en était besoin, d’autres indicateurs alarmants pleuvent sur l’Hexagone. En tête, le taux de chômage, épée de Damoclès au-dessus de tous gouvernements. Avec 10,1% au premier trimestre 2014, soit deux points de plus que la moyenne des pays de l’OCDE, il est parmi les plus élevés de la zone. Dès lors, le régime d’assurance chômage a accusé en 2013 un déficit de 4 milliards d’euros, alourdissant une dette déjà abyssale établie à près de 18 milliards d’euros. Parallèlement, le déficit de la sécurité sociale s’est quant à lui porté à 12,5 milliards d’euros l’année passée tandis que celui de notre régime de retraites devrait se hisser à hauteur de 18,8 milliards en 2017. Des profondeurs qui donnent le tournis.

Côté entreprise, le portrait n’est guère plus réjouissant. Au bord de l’asphyxie fiscale, les entreprises françaises sont parmi les plus imposées d’Europe avec un taux systématiquement supérieur à la moyenne de la zone euro et de l’Union européenne. En conséquence, leur taux de marge se classe parmi les plus bas du Vieux continent, atteignant difficilement 29,7% en 2013. Un record historique qui mine par ricochet les investissements et obère, ce faisant, la compétitivité de l’économie hexagonale. Au-delà de ce millefeuille fiscal (trois fois supérieur à celui de l’Allemagne selon la Fondation iFRAP), les entreprises françaises sont également corsetées par près de 400 000 normes et 85 codes, dont 4 de plus de 2 500 pages. Un record mondial dont les acteurs économiques se seraient bien passés.

Du sang et des larmes nécessaires

Face à cette avalanche de statistiques inquiétantes, la classe politique française est loin d’être exempte de responsabilités. En préférant vivre à crédit depuis trente ans, nos gouvernements ont perdu toute marge de manœuvre pour conduire la politique économique permettant à la France de renouer avec la croissance et, concomitamment, de préserver son modèle social et son indépendance. Parce que la gauche et la droite ont toutes deux refusé de mener les réformes structurelles dont notre pays a besoin, elles le conduisent inéluctablement vers les abîmes du déclin.

En amont, c’est le discours politique qu’il est d’abord nécessaire de repenser dans son entièreté. Dans un contexte économique et social aussi difficile, il apparaît impérieux de parler vrai aux Français. Afin qu’elle ne devienne pas une langue morte, la parole publique doit redorer son blason en retrouvant de sa véracité, et ce en présentant aux Français le diagnostic exact dans lequel se trouve le malade France. C’est ainsi seulement que ces derniers accepteront les effets secondaires de la thérapie de choc qu’il est aujourd’hui nécessaire de lui administrer. « Choc de simplification », « Pacte de compétitivité et de solidarité », « Travailler plus pour gagner plus », toutes ces formules magiques linguistiques – simples outils de communication politique – semblent dépecer de leurs chairs les vraies réformes et masquer – peu subtilement – l’incapacité des gouvernements successifs à les mener à bien. Adepte de la procrastination, la classe politique hexagonale doit – à la manière de Winston Churchill dans un contexte certes bien différent –dire aux Français la vérité sur l’état de la France, la marge de manœuvre dont elle dispose pour se réformer et les sacrifices auxquels nous allons devoir tous consentir. À force de repousser sans cesse les réformes structurelles, nous courons un grand danger. En mettant des mots sur nos maux, les responsables politiques pourront, à cette aune, établir un contrat avec les Français pour mettre en place les réformes dont nous avons besoin. Avant que celles-ci – venues d’ailleurs – ne s’imposent à nous.

Face au miroir – navrant – de notre classe politique, se tient bien évidemment la population. Corps intermédiaires ou simples citoyens, nous partageons également tous une responsabilité dans le déclin français. Les syndicats, primo, qu’ils soient de salariés ou patronaux, doivent sortir des discours binaires et des postures dogmatiques d’un autre temps pour emprunter le chemin du progrès. Le dialogue social ne doit pas être réduit à un bégaiement louvoyant où les intérêts corporatistes se disputent à l’intérêt général. Sur le modèle allemand et au mépris d’une certaine tradition française, il apparaît nécessaire de faire du dialogue entre partenaires sociaux le socle de politiques réformatrices. Les citoyens, secundo, doivent à leur tour prendre conscience que des sacrifices vont devoir être opérés par tous et s’extraire du syndrome « NIMBY » (« not in my backyard », « pas dans mon arrière-cour ») selon lequel on évite de s’appliquer à soi-même les changements que l’on exige des autres.

Avec ses comptes publics dans le rouge foncé, la France au pied du mur n’a plus les moyens de faire l’impasse sur les réformes structurelles. Et de se préparer à une baisse programmée des dépenses publiques dans la décennie à venir, impactant de facto les retraites, les transferts sociaux, le logement social, les investissements, l’ensemble de nos services publics, etc. Signe des temps, l’État – via le ministère du Budget, son porte-flingue à Bercy –  se doit désormais de ponctionner des deniers publics partout où il est possible d’en trouver : réseau des chambres de commerce et d’industrie, caisses des chambres d’agriculture, 1% logement, CNC, INPI, etc. La liste est longue et ne devrait pas se tarir de sitôt.

De nouveaux modèles vont devoir être inventés. Nous en sommes aujourd’hui très loin. Championne d’Europe du pessimisme, la France porte en elle les germes du fatalisme, signes avant-coureurs de nuits noires aux accents révolutionnaires. Comme le disait Mirabeau, célèbre parlementaire de la Révolution, « le malheur n’accorde jamais de temps ». Il y a donc urgence à enrayer notre déclin. Auquel cas la France finira au Panthéon de ces grandes nations éblouies par leur passé et aveugles face à l’avenir, et dont les couleurs ont peu à peu fané sous les lumières trop vives de l’évolution du monde.

 

Anthony Escurat

Crédit photo : Jérémy Vandel

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