Autriche. Programme et stratégies du FPÖ pour la conquête du pouvoir
Patrick Moreau | 14 octobre 2025
Le congrès national du FPÖ de Salzburg du 27 septembre 2025
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Le congrès du FPÖ du 27 septembre 2025 était attendu avec impatience, tant par la presse que par les partis concurrents. Les observateurs attendaient de cette grand-messe les réponses à plusieurs interrogations centrales pour l’avenir du système politique autrichien. La première portait sur la stratégie de conquête du pouvoir du FPÖ dans les deux années à venir. Le parti allait-il se donner un programme rénové, tenant compte aussi bien de la guerre en Ukraine et le trumpisme, que de la situation économique nationale et internationale, de la crise sécuritaire, du malaise collectif des Autrichiens que soulignaient les sondages, de l’immigration et des problèmes de sécurité publique ? Les observateurs venaient également évaluer l’état du parti, la force réelle d’Herbert Kickl, ses capacités de contrôle de l’appareil et des cadres dirigeants. L’espoir était qu’après son refus de devenir chancelier dans le cadre d’une alliance avec l’ÖVP et la mise en place d’une coalition tripartite ÖVP, SPÖ et NEOS, une opposition interne se soit formée œuvrant à la chute de Kickl. Ce « nihiliste » contraint à la retraite laisserait alors la place à un FPÖ nouveau, « déradicalisé » et capable d’une alliance avec des formations démocratiques. Le moins que l’on puisse dire au lendemain du congrès est qu’« Herbert » a choisi la voie du conflit et qu’il tient le FPÖ d’une main de fer.
Un contexte de crise favorable au FPÖ
L’intérêt pour le FPÖ fut renforcé par la publication de sondages négatifs pour la coalition démocratique au pouvoir. Toutes les enquêtes d’opinion concordaient pour en faire le premier parti en Autriche. Le FPÖ était à 35/36% des intentions de vote, l’ÖVP à 21/22% ; le SPÖ à 18/19% ; les Verts à 10/11% ; les NEOS à 9/10%, le KPÖ à 3,1%. Ces données permettaient encore une majorité pour la coalition en place. Par rapport à l’élection au Conseil national de 2024, le FPÖ gagnait 6/7 points de pourcentage, les Verts 3, les NEOS 0,2 alors que l’ÖVP perdait 5 points et le SPÖ 3.
Plus inquiétant pour l’avenir était la percée de Kickl en termes de capacités à devenir chancelier d’Autriche. Le baromètre politique Heute le plaçait en tête. Il détrônait le chancelier Christian Stocker (ÖVP) désormais quatrième, derrière la ministre des Affaires étrangères, Beate Meinl-Reisinger (NEOS). Les résultats du chef du SPÖ, Andreas Babler, étaient désastreux. Avec 51% d’opinions négatives, le vice-chancelier se retrouvait lanterne rouge derrière Kickl (45%).
La capacité des principaux leaders politiques à être chancelier (en %)

Source :
Clemens Oistric, „Kickl jetzt ganz vorne – aber SPÖ-Minister überrascht”, Heute, 19 septembre 2025 [en ligne].
L’Österreichischer Rundfunk (ORF), ou « Radiodiffusion autrichienne », est une fondation de droit public en Autriche chargée d’assurer les services de radio et de télévision.
Si l’on peut supputer que ce sondage renvoie à une semaine de zizanie au sein de la coalition au pouvoir, la montée en puissance de Kickl reste un signal du malaise collectif que les sondeurs de l’institut OGM ont mesuré.
Ils ont pris comme base d’analyse les débats estivaux de l’ORF1 qui virent les chefs de partis décliner leurs politiques futures et leur vision de l’avenir. Les réponses des personnes interrogées étaient ventilées en trois catégories : « convaincantes », « crédibles » et « sympathiques ». Andreas Babler (SPÖ) fut jugé le moins « convaincant » et a également terminé dernier en matière de crédibilité. En termes de sympathie, il s’est classé devant Kickl, à l’avant-dernière place. C’est le chancelier fédéral Christian Stocker (ÖVP) qui obtenait les meilleurs résultats en matière de sympathie (59% contre 35% d’opinions négatives). Herbert Kickl enregistrait ses meilleurs résultats dans les catégories « convaincant » (68% « d’accord » contre 25% « pas d’accord ») et « crédible » (63% des personnes interrogées contre 30%). En revanche, il terminait dernier en matière de sympathie.
En conclusion, si les progrès du FPÖ dans les sondages et les gains personnels de Kickl sont incontestables, le FPÖ est encore loin des 40% comme d’une éventuelle majorité absolue. Le chef du parti sait de toute évidence convaincre, mais il manque de chaleur humaine.
Les 36% d’intentions de vote actuelles pour le FPÖ font écho aux frustrations des Autrichiens suscitées par le travail du gouvernement. Les causes sont un moral collectif en berne, une économie poussive, une inflation pesante, une peur face à l’avenir. Le sondage Lazarsfeld du 2 septembre 2025 le montrait clairement.
Le jugement porté sur l’action du gouvernement (en %)

Source :
„Umfrage : Fast 50% sind mit der Ampel unzufrieden“, OE24, 6 septembre 2025 [en ligne].
„EU-Befürwortung in Österreich auf zweitniedrigstem Wert seit 1995“, DerStandard, 28 décembre 2024 [en ligne]. Le graphique, ci dessous, montre que les partisans de l’adhésion de l’Autriche à l’UE sont en moyenne à 70%, alors que le nombre de ceux qui préfèrent une sortie de l’UE s’élève à 22%. « Le taux d’approbation le plus élevé de l’adhésion à l’UE a été enregistré à l’automne 1999 (82%), dans une période de développement économique positif, ainsi qu’à l’été 2002, année de l’introduction physique de l’euro ». Le souhait le plus fort de sortie de l’UE a été enregistré à l’été 2008 (33%), à la suite du « non » irlandais au traité de Lisbonne et du débat politique interne qui s’en est suivi en Autriche, ainsi qu’à l’été 2015, alors que l’afflux de réfugiés vers l’Europe s’intensifiait et que l’UE était également prise au dépourvu par la décision des Britanniques de quitter l’UE »; „Weltlage und Wirtschaftsschwäche drücken die heimische EU-Stimmung, Die 12 Sterne der EU Flagge sind in einem Quadrat in dunkelblau abgebildet, welches auf einer Spitze steht“ ; Österreichische Gesellschaft für Europapolitik, 20 septembre 2025 [en ligne].
À la vue des sondages, la presse a intensifié ces derniers mois, sa campagne anti-FPÖ. Les élections de Vienne de 2025 en furent un moment fort, mais aux résultats paradoxaux 2. En effet, au fil des articles, les journalistes énuméraient les déficits des partis démocratiques et dénonçaient, à juste titre, l’apparition d’un climat particulièrement favorable à la propagande du FPÖ.
Une première dimension était la perception de l’Europe politique. L’Union européenne, mais aussi l’ensemble de l’Europe, est entrée dans une zone de turbulences provoquée par la guerre en Ukraine et les risques d’extension du conflit entre la Russie et l’Otan. L’Autriche qui n’a rejoint l’UE qu’en 1995 a toujours abrité un courant eurosceptique au nom du principe de neutralité. En décembre 2024, 60% seulement des Autrichiens étaient encore « pro-européens » 3.
Le soutien des Autrichiens à l’Union européenne (en %)

Source :
„EU-Befürwortung in Österreich auf zweitniedrigstem Wert seit 1995“, DerStandard, 28 décembre 2024 [en ligne]. 1 : À partir de février 2000, les sanctions de l’UE contre l’Autriche ; 2 : Juillet 2002, fin de l’alliance ÖVP-FPÖ et débat sur l’introduction de l’Euro ; 3 : Juillet 2008, débats sur le traité de Lisbonne ; 4 : Juillet 2016, Brexit ; 5 : Décembre 2017, mise en place gouvernement Kurz (ÖVP-FPÖ) ; 6 : Février 2020, début de la pandémie ; 7 : Juin 2024, victoire du FPÖ aux Européennes.
Le sondage du début septembre 2025 de la Société autrichienne pour la politique européenne (ÖGfE) montrait que 54% des sondés jugeaient négativement l’accord douanier conclu entre les États-Unis et l’UE (27% seulement d’opinions positives sur le thème « a permis d’éviter une nouvelle guerre commerciale » ; 19% pas de réponse, ne sait pas). Les Autrichiens étaient également divisés sur la question du soutien européen à l’Ukraine. Au total, 46% considéraient qu’il est « très » ou « plutôt important » (23% dans les deux cas), tandis que 43% sondés estimaient que la solidarité de l’Europe avec Kiev n’est « plutôt pas importante » (18%) ou « pas importante du tout » (25%). Depuis 2023, les sondages montrent que l’opinion publique n’a guère changé sur ce point4. Un rapport de force que Kickl allait aborder lors du congrès.
De toute évidence, le moral des Autrichiens est en berne. L’institut Ipsos dans le sondage « What Worries the World » dresse un tableau des raisons de ce mécontentement et des peurs collectives5. L’analyse du discours de Kickl montre combien, à l’occasion du congrès, il allait coller aux données empiriques disponibles.
Les préoccupations des Autrichiens

Source :
Ibid.
„Verbraucherpreisindex, Inflationsentwicklung in Österreich und Europa”, WKO, 23 juin 2025 [en ligne].
Le sondage Ipsos montre que l’immigration, l’inflation et la santé sont les principales préoccupations des Autrichiens. La question migratoire, avec 36%, recule certes d’un point par rapport à octobre 2024, mais reste le problème le plus important pour la population autrichienne. L’immigration mal contrôlée, malgré les nombreuses mesures de la coalition au pouvoir, et les défis qui en découlent pour la société et l’État social suscitent une vive l’inquiétude au sein de la population. Ce thème est suivi de près par l’inflation (33%)6 et la dégradation du système de santé (30%)7. La criminalité et la violence (28%) sont jugées préoccupantes et corrèlent, dans le discours FPÖ, avec la question de l’immigration8. Les Autrichiens s’inquiètent également de la pauvreté (21%) et de la corruption financière ou politique (19%). Comme partout en Europe, le changement climatique (14%), toujours très présent dans la presse, perd encore du terrain (-4 points) par rapport à l’enquête 2024.
Accompagnant l’inflation, la crainte d’une augmentation des impôts (16%) est à nouveau plus présente dans la population. 13% des personnes interrogées ont peur d’une montée de l’extrémisme, une diminution par rapport à l’enquête de 2024 et un recul à la 10ème place contre la 6ème auparavant. Parallèlement, les inquiétudes liées à la criminalité diminuent, mais restent dans le top 5 des préoccupations (28%).
Le regard porté sur la situation économique actuelle (en %)

Source :
op.cit. [en ligne].
Ibid.
La situation économique est jugée mauvaise par 85% des sondés. 74% de la population estiment que l’Autriche va mal. Seules les personnes âgées sont un peu plus optimistes, 36% d’entre elles estimant que l’Autriche est sur la bonne voie9.
L’Autriche va-t-elle dans la bonne direction ? (en %)

Source :
Ibid.
Statista, „Inflationsrate in Österreich von September 2024 bis September 2025”, Septembre 2025 [en ligne].
„Inflation in Österreich doppelt so hoch wie im Euroraum, FPO Die soziale heimatpartei”, 17 septembre 2025 [en ligne]. Compte Instagram udo_landbauer, Instagram, 23 septembre 2025 [en ligne].
„Wirtschaftsleistung im 1. Quartal 2025 leicht positive”, Statistik Austria, 6 juin 2025 [en ligne]; „Österreich kehrt langsam auf den Wachstumspfad zurück”, WIFO, 26 juin 2025 [en ligne].
Fondapol, note de Patrick Moreau (2024), « Le FPÖ au défi de l’Europe : radicalité idéologique et contrainte électorale en Autriche», octobre 2024 [en ligne].
Fpo, Die soziale heimatpartei, „FPÖ – Belakowitsch: „Arbeitslosigkeit steigt weiter – wann setzt Schumann endlich ein echtes arbeitsmarktpolitisches Signal?“, 1er Juillet 2025 [en ligne].
FPO Die soziale heimatpartei, „Wirtschaft und Industrie brauchen sichere Perspektiven und Regierung, die Strukturreform kann”, 13 juin 2025 [en ligne].
Statista, „Anteil der Bevölkerung mit Migrationshintergrund in Österreich nach Bundesländern im Jahr 2024”, mars 2025 [en ligne].
Statista, „Anzahl der Einwanderer nach Österreich von 2014 bis 2024”, mai 2025 [en ligne]. Les ressortissants allemands formaient le groupe le plus important, 240.000 personnes, les Roumains avec environ 160.000 personnes et les Turcs avec un peu plus de 124.000 personnes.
Pour apprécier les chances d’une arrivée au pouvoir du FPÖ dans un proche avenir, il faut analyser la réalité de ces peurs. L’Autriche connait-elle une profonde crise économique et selon les termes de Kickl une « désindustrialisation » massive ? L’immigration est-elle incontrôlée ? Les prix des produits de la vie quotidienne sont-ils impayables ? De fait, le bilan global n’est pas bon, mais loin d’être désastreux.
En août 2025, le taux d’inflation en Autriche grimpait à 4,1%, soit une hausse par rapport à juillet 2025 (3,6%)10. Un chiffre assez bas si l’on se rappelle que l’inflation en 2022 était de 8,6% et de 7,8% en 2023. En 2024, elle tombait à 2,9% alors que pour l’année 2025, un taux supérieur à 3% est attendu11. Ces taux élevés de la période Corona eurent plusieurs causes, qui n’ont pas disparu en 2025. En 2022 et 2023, les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont mené à une baisse de l’offre et une hausse des prix qui se poursuit. La guerre en Ukraine a entraîné à partir de 2022 des problèmes supplémentaires liés aux chaînes d’approvisionnement agricoles. Enfin, sur l’ensemble de la période, on observe une augmentation significative des coûts énergétiques. L’énergie bon marché venue de Russie s’est rarifiée, puis tarie depuis novembre 2024 (gaz)12.
L’inflation a eu un fort impact psychologique et nourrit la mauvaise humeur collective. Les sondages montrent que nombre de personnes interrogées ont le sentiment que l’inflation est plus forte que ne l’indiquent les chiffres officiels. Néanmoins, le renchérissement des services, des denrées alimentaires, de l’énergie et des loyers est réel, ce qui amène les Autrichiens aux revenus modestes à d’importantes restrictions dans leur vie quotidienne13. Ce que dénonce le FPÖ dans sa propagande, en particulier pour les retraités14.
Le bilan est clair : l’économie autrichienne a connu une longue période de récession, qui aboutira à une stagnation probable du PIB en 2025, peut-être à une légère augmentation15. La croissance reste nettement inférieure à celle de la zone euro, un effet de la longue crise de l’industrie, mais aussi de la faiblesse de la consommation.
Le FPÖ attire tant aux consultations régionales que nationales nombre de chômeurs et d’ouvriers ou de travailleurs peu qualifiés menacés par le chômage16. Le parti se présente comme le seul défenseur de ces électeurs17. De fait, la situation de l’emploi et du marché du travail est difficile. Le chômage augmente actuellement (7,5% attendus) et les projections pour 2026 sont faiblement optimistes (7,3%)18. Les économistes attendent certes une modeste croissance de l’emploi dans le secteur des services en 2025 et 2026, tandis que le secteur secondaire (industrie et construction) enregistrera un recul. Le FPÖ dénonce cette situation et propose de renforcer la compétitivité de l’Autriche.
Il évoque enfin une désindustrialisation du pays19 et réclame des mesures structurelles comme l’abandon de la politique climatique et le retour à l’énergie bon marché d’origine russe20. À l’occasion du congrès, Kickl proposait, pour rendre à l’Autriche sa compétitivité, de réformer l’économie en recourant à des investissements publics et privés massifs, la libérer des contraintes bureaucratiques, réduire le taux d’imposition pour les entreprises et les salariés, garantir des emplois, et enfin prendre des mesures efficaces contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
Le FPÖ veut naturellement privilégier les Autrichiens de souche pour l’accès aux emplois. L’immigration de travailleurs non-qualifiés est refusée et la politique souhaitée est la construction d’une « forteresse Autriche » et le recours à une « remigration » systématique.
Ce qui a frappé les observateurs lors du congrès national est la quasi-absence de ce thème dans le discours de Kickl. La raison en est que la coalition en place a phagocyté les exigences passées du FPÖ, dans le vain espoir de lui couper l’herbe électorale sous le pied. Les mesures prises ou en cours d’adoption sont extrêmement nombreuses et semblent avoir ralenti l’immigration légale21. Le fonds de commerce anti-migratoire du FPÖ s’est réduit.
Si l’on fait le bilan migratoire de l’Autriche depuis 1983, on voit qu’il est positif. En 2024, 27,8% des habitants de l’Autriche étaient issus de l’immigration. Vienne avec 50,5% d’étrangers tenait le record22. En 2024, 178.574 personnes immigraient en Autriche, une baisse sensible par rapport au chiffre record de 2022 (261.937)23. 21.891 personnes furent naturalisées en 202424.
Les demandeurs d’asile, 2015-2025

Source :
Statista, „Anzahl der Asylanträge in Österreich von 2015 bis 2025”, septembre 2025 [en ligne].
Le nombre des demandeurs d’asile s’est fortement réduit depuis 2024, mais les chiffres de l’immigration illégale restent inconnus.
Cette double immigration est naturellement instrumentalisée par le FPÖ qui, pour légitimer sa demande de remigration, évoque le malaise d’une large part de la population. De fait, un sondage réalisé en mars 2024 montre que 61% des personnes interrogées jugent « mauvaise » la cohabitation entre les Autrichiens et les immigrés.
Comment évaluez-vous la cohabitation entre les Autrichiens et les immigrés ?

Source :
Statista, „Wie bewerten Sie das Zusammenleben zwischen Österreichern und Zuwanderern in Österreich? ”, avril 2024 [en ligne].
„Wie die Österreicher zu Russlands Angriffskrieg und zur Ukraine-Hilfe stehen”, Kurier, 7 mai 2025 [en ligne].
„80 Jahre Frieden – aber die Angst wächst: Mehr als die Hälfte fürchtet neuen Weltkrieg”, integral, 1er mai 2025 [en ligne]. Le sondage est confirmé par l’étude qui voit 55% des sondés avoir peur d’une prochaine guerre en Europe.
Max Stepan, Jakob Pflügl, Thomas Mayer, „FPÖ will Neutralität als Verfassungsprinzip – EU-rechtlich wäre das heikel », DerStandard, 10 février 2025 [en ligne].
Daniel Kosak, „Österreichs Neutralität ist kein Relikt der Geschichte”, Die Presse, 18 août 2025 [en ligne]; op.cit. [en ligne]; „Neutralität in neuem Spannungsfeld, Afp3, 16 mars 2025 [en ligne].
Rechtsinformationssystem des bundes, Bundesrecht konsolidiert: Gesamte Rechtsvorschrift für Neutralitätsgesetz, Fassung vom 03.10.2025 [en ligne]. La neutralité autrichienne trouve son fondement juridique dans la loi sur la neutralité et stipule que l’Autriche n’adhère à aucune alliance militaire et n’autorise pas l’établissement de bases militaires d’États étrangers sur son territoire. L’article 23j de la Constitution autrichienne (B-VG) a créé une base juridique spécifique pour la participation à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE. En vertu de la « clause irlandaise » (article 42, paragraphe 7, du traité UE), l’Autriche peut décider elle-même de la manière dont elle apporte son aide en cas d’attaque contre un État membre de l’UE.
De toute évidence, la coalition en place doit, pour résister à la pression politique du FPÖ, impérativement prendre des mesures dans de nombreux domaines : réduire l’inflation et faire baisser les prix, construire des logements, dynamiser la production industrielle, combattre la criminalité, contrôler l’immigration. En cas d’échec ou d’impuissance, le FPÖ exploitera le mécontentement actuel.
Le discours de Kickl lors du congrès national a laissé beaucoup de place à la question d’une possible guerre en Europe, même si le mot Russie ne fut que rarement prononcé. De fait, il s’agit d’une préoccupation des Autrichiens, qui renvoie à la question de la neutralité.
Le sondage de market-Institut du 23 au 28 avril pour le compte de la Société autrichienne pour la politique européenne (ÖGfE) est révélateur25.
64% des Autrichiens sont « très inquiets » (20%) ou « plutôt inquiets » (44%) quant à une extension de la guerre d’agression menée par la Russie à d’autres pays européens (« moins inquiets » 22% ; « pas du tout inquiet » 10%)26. La confiance des Autrichiens envers les États-Unis s’est parallèlement effondrée. En 2023, 34% des sondés estimaient que les États-Unis étaient un partenaire fiable pour l’Autriche contre 15% seulement en avril 2025. La confiance envers la Russie est de 8% (2023 : 9%), tandis que 75% des sondés ne partagent pas cet avis. 22% des personnes interrogées seulement pensent que l’Ukraine est un partenaire digne de confiance pour l’Autriche (6 points de moins qu’en 2023). 55% sont sceptiques (avril 2023 : 50%). Enfin, 63% des sondés s’opposent à l’élargissement de l’UE à de nouveaux pays au cours des cinq prochaines (21% y sont favorables et 16% n’ont pas d’opinion). Une dimension positive était que 42% des personnes interrogées sont favorables à un approfondissement de la coopération au sein de l’Union européenne. 18% d’entre eux jugent le niveau actuel adéquat et 27% souhaitent une coopération moins intense. Une option que rejette avec vigueur le FPÖ qui réclame une Europe des patries indépendantes.
Un cheval de bataille du FPÖ est la question de la neutralité27 et de sa préservation dans le contexte d’une possible guerre en Europe28. Quasiment tous les partis politiques autrichiens défendent le principe de la neutralité29. Par-delà ce mantra politique, l’Autriche se voit aujourd’hui contrainte de tenir compte de la menace russe et de son engagement européen.
Neutralité. Question : Comment l’Autriche doit-elle se comporter en cas de conflit armé concernant un autre État de l’UE (en %) ?

Source :
Mona Harfmann „EU-Aufrüstung und Neutralität”, OrfTopos, 16 mars 2025 [en ligne].
Parlament Österreich, „Was macht die österreichische Neutralität aus? ”, 3 octobre 2025 [en ligne].
Journal officiel de l’Union européenne, Traité sur l’Union européenne (version consolidée), 26 octobre 2012 [en ligne].
Le fait d’élever quelqu’un ou quelque chose au rang de modèle, de référence, d’autorité incontestable.
Hermann Fröschl, „Salzburgs FPÖ-Chefin Svazek trauert Kickls vergebener Regierungschance nach: “Müssen parteiintern reden””, Salzburger Nachrichten, 6 mars 2025 [en ligne].
Le dirndl (vêtement bavarois, issu du vieux haut allemand diorna, signifiant « fille ») est une robe traditionnelle inspirée du costume porté autrefois par les paysannes des régions alpines.
„Andreas Gabalier wehrt sich gegen Nazi-Vorwürfe – und äußert sich zu FPÖ-Nähe”, Kölnifche Rundfchau, 21 juillet 2025 [en ligne].
La neutralité autrichienne est soumise actuellement à de fortes tensions30. Au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique, la politique de neutralité de l’Autriche était considérée comme acquise et l’éventualité d’une guerre en Europe comme invraisemblable. Tout a changé avec la guerre en Ukraine à partir de 2022. À juste titre, on parle d’une « repolitisation » de ce thème au sein de la société civile autrichienne. Elle s’interroge d’ailleurs sur les limites de la neutralité et sur la « clause irlandaise » régie par l’article 42 du traité de Lisbonne31.
L’enquête de 2024, résumée dans le tableau, montre que la solidarité avec un autre État membre de l’UE victime d’une agression militaire est faible : 58% des sondés souhaitent invoquer la neutralité et 69% se limiter à des mesures humanitaires. Cette étude montre aussi que 57% des personnes interrogées veulent un maintien de la neutralité sous sa forme actuelle, et près des deux tiers des personnes interrogées sont contre l’adhésion à l’alliance militaire de l’OTAN. L’étude montre enfin que 80% des sondés considèrent la neutralité comme faisant partie de l’identité de l’État. Une thèse que Kickl défendra devant les délégués de son parti.
La canonisation32 d’Herbert Kickl
À priori, la réélection de Kickl n’était qu’une une formalité, en l’absence de candidats adversaires. Néanmoins, ce rituel était observé par tous les acteurs politiques, car le résultat de ces élections est un bon indicateur du soutien dont bénéficiait Kickl au sein du FPÖ.
Herbert Kickl sait que, même si le parti dans son immense majorité le soutient, il existe une opposition larvée et que des cadres dirigeants du parti ne l’apprécient guère. Certes, cette opposition resta invisible à Salzbourg, ce qui explique le choix de cette localisation pour le congrès. Au lendemain du refus de Kickl de se coaliser avec l’ÖVP, la fédération de Salzbourg fut ouvertement la plus critique33. Il fallait, à l’occasion du congrès, la neutraliser. Marlene Svazek, présidente de la fédération, fut qualifiée de « charmante maîtresse de maison » et Kickl évoquait sa possible succession à la tête du FPÖ au cas où « quelque chose lui arriverait ». Manfred Haimbuchner (fédération de Haute Autriche), considéré comme le principal concurrent de Kickl, jouait le jeu et le soutenait. Kickl le remerciait : « Je te tiens en très haute estime ». En clair, la direction du parti faisait tout pour suggérer l’existence d’une profonde harmonie politique. L’ultime démonstration fut un résultat électoral de 96,94% en faveur de Kickl, 698 délégués élisaient Kickl à la tête du parti, 3,06% (25 délégués) ne le faisait pas.
Le 35e congrès du FPÖ aurait dû se tenir en juin à Kitzbühel, mais il avait été reporté en raison de l’attentat dans une école de Graz et du deuil national qui a suivi. Il a fait l’objet d’une préparation intense, car il doit devenir de rampe de lancement de l’offensive politique du FPÖ. Le parti choisissait d’organiser une grand-messe à l’américaine, hyperconcentrée en quatre heures et totalement fixée sur la personnalité de Kickl. Chaque mouvement ou prise de parole des participants avait été prédéfini, et les délégués vivement appelés à voter à 100% pour lui et à s’abstenir de toute question iconoclaste. Ce qui fut le cas. En échange, on offrait aux délégués un spectacle de « Pom-pom girl » en dirndl34, d’acrobates en culotte de peau, le tout accompagné de la musique du barde autrichien et – on le susurre dans la presse – du sympathisant de l’AfD Andreas Gabalier35.
Le congrès fut protégé par un déploiement de forces policières exceptionnel. L’extrême-gauche avait bien tenté de se mobiliser et de bloquer l’arrivée des délégués. Quelques centaines de manifestants seulement répondaient à l’appel. Sur les pancartes brandies, on trouvait des slogans comme « FPÖ : Fan club Poutine Autriche », « Kickl, Poutine, Trump, allez tous vous faire foutre ». Un petit succès médiatique des manifestants fut la descente en rappel à l’entrée du hall d’exposition de deux manifestants tenant deux drapeaux du mouvement LGBTIQ et un drapeau palestinien36. Les quelque 1000 délégués, cadres et sympathisants parvenaient sans encombre dans la salle du congrès. Les mots paix, liberté, progrès, équité s’affichant en lettres géantes sur l’écran, furent ensuite complétés par « Défendre la liberté, permettre le progrès, vivre l’équité, préserver la paix ». Le slogan « Cinq bonnes années », connu depuis la campagne électorale pour le Conseil national, est désormais décliné sous une forme modifiée : « De bonnes années. Seulement avec lui. » Dans la salle illuminée de bleu, le congrès est inauguré par un numéro de danse sur la musique de « Let’s Get Loud » de Jennifer Lopez. Les délégués ayant pris place et les cadres dirigeants du parti installés à la tribune sous un écran, le cérémonial commençait.
Les présidents régionaux du parti furent accueillis individuellement et invités à monter sur scène. Kickl accueillait chaque fonctionnaire en lui serrant la main. La phase des hommages au « leader – Führer – de cordée (une formule du président du Conseil national, Walter Rosenkranz) fut ouverte par l’hôtesse du congrès, Marlene Svazek, cheffe de la fédération FPÖ de Salzbourg et vice-gouverneure du Land. Elle louait la « perspicacité analytique » de Kickl et « le courage nécessaire pour maintenir le cap là où d’autres vacillent depuis longtemps. Il est l’architecte de notre succès et notre boussole ». De fait, Kickl a remporté depuis son accession à la tête du parti victoires sur victoires.
Les scores du FPÖ sous la direction d’Herbert Kickl – juin 2020-2025 en %

Source :
Bundesministerium Inneres „Geschichte der Nationalratswahlen”, [en ligne].
Compte FPÖ TV, „Grandiose Rede von Herbert Kickl beim FPÖ-Bundesparteitag 2025!”, 27 septembre 2025 [en ligne].
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Philipp Aichinger, „Donald Trump und die „Hölle“ Österreich: Wie viele Straftäter Ausländer sind”, Die Presse, 24 septembre 2025 [en ligne].
Ibid.
Laruelle Marlène, La quête d’une identité impériale. Le néo-eurasisme dans la Russie contemporaine, Paris, PETRA éditions, 2007.
„Kickl hofft immer noch auf die Kanzlerschaft und lobt Trump”, DerStandard, 26 septembre 2025 [en ligne].
„Antifa“-Gewalt stoppen – Konsequenzen gegen linksextreme Gewalt gefordert”, FPO, 20 septembre 2025 [en ligne].
Annika Fischer, „Liebesgrüße aus Moskau: Wie Verbindungen der FPÖ zu Russland Europas Sicherheit bedrohen, Treffpunkteuropa”, 19 mai 2025 [en ligne]; Oliver Das Gupta, „Kickl und das»trojanische Pferd Russlands«”, Spiegel Austalnd [en ligne].
„Kickl will blauen “Joker” für Bundespräsidenten-Wahl”, Tiroler Tageszeitung, 26 septembre 2025 [en ligne].
Rechnungshof Österreich, „Parteispenden an die Freiheitliche Partei Österreichs im Jahr 2025” [en ligne] ; Österreichischer Rechnungshof, „Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) – Die Freiheitlichen” [en ligne].
Sebastian Fellner, Maximilian Werner, „Rechenschaftsberichte deuten auf mehr als 1000 Jobs in Parteiapparaten hin”, DerStandard, 28 septembre 2025 [en ligne]. ; Klaus Knittelfelder, Daniel Bischof, „Herbert Kickls zweite Reihe: Wer den Apparat der FPÖ stützt”, Die Presse, 18 février 2024 [en ligne].
Sebastian Fellner, Maximilian Werner, „Der FPÖ fehlen zahlende Mitglieder in Wien und Niederösterreich. Zumindest auf dem Papier”, DerStandard, 27 septembre 2025 [en ligne].
Annika Fischer, „ Liebesgrüße aus Moskau: Wie Verbindungen der FPÖ zu Russland Europas Sicherheit bedrohen”, Treffpunkeuropa, 19 mai 2025 [en ligne]; Stephan Löwenstein, „Russisch Blau”, Frantfurter Allgemeine, 14 mars 2024 [en ligne].
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Au final, les principaux présidents des fédérations FPÖ feront l’éloge d’Herbert. Autre moment fort : Le rapport d’activité d’Hubert Fuchs, responsable fédéral des finances du FPÖ qui proclamait la bonne santé financière du parti (voir infra). La commémoration des défunts était célébrée avec pathos et accompagnée par la chanson „Amoi seg ma uns wieder » d’Andreas Gabalier.
Le discours de Kickl
Le FPÖ projetait d’abord une vidéo aux délégués montrant l’image que le parti a de lui-même, une sorte de « best of » des discours des congrès précédents, accompagnés d’une musique tonitruante. Les termes de « courage » et de « fidélité » résonnaient et une voix off affirmait : « Herbert Kickl est l’un des nôtres, cela ne changera jamais » ou « Herbert Kickl a pris les devants, non pas pour lui-même, non pas pour le pouvoir, mais pour nous ». À la fin de la projection, Kickl est ovationné debout et monte à la tribune37.
Kickl allait faire un excellent discours et montra des talents oratoires certains. Il commençait par remercier l’assemblée de l’avoir accueilli si chaleureusement et évoquait un « océan d’énergie positive ». Il faisait ensuite référence à la forteresse de Hohensalzburg, qui n’a « jamais été conquise » au cours de son histoire et qui est le modèle pour la « forteresse Autriche » qu’il veut bâtir.
Kickl est conscient qu’il doit justifier devant les délégués sa décision de février 2025, lorsqu’il a décliné la proposition de devenir chancelier dans le cadre d’une coalition avec l’ÖVP. Il commence par réaffirmer ses ambitions de devenir « chancelier du peuple », une promesse « qu’il aurait adorer tenir ». Selon lui, c’est l’ÖVP qui porte la responsabilité de cet échec (voir infra). « L’ÖVP n’a pas négocié avec nous, mais contre nous. » Il a donc refusé de « vendre l’âme freiheitlich » pour un poste gouvernemental. Mais l’avenir lui appartient. « Notre prochaine grande mission ne peut être que le changement d’époque, le grand changement de système ».
« Ce n’est pas ce système qui nous brisera, mais nous qui briserons ce système injuste » et mettront en place les « fondements d’une troisième république »38. Un slogan qui sera au cœur de l ́offensive FPÖ.
Pour Kickl, les valeurs occidentales ne sont pas défendues en Ukraine, mais bel et bien dans le cadre des nations. Le chef du FPÖ réclame une « redémocratisation » de la République et présente le FPÖ comme « le plus grand projet de démocratisation du pays ». Il va alors recourir à une citation inventée de l’ancien président américain Thomas Jefferson. Celui-ci aurait dit qu’il existe deux types de personnes : « celles qui craignent le peuple et celles qui lui font confiance ». Ce que fait au quotidien le FPÖ aux dires de Kickl : « Nous allons à la rencontre de la population, nous nous immergeons dans celle-ci, nous l’écoutons – c’est ainsi que nous comprenons le peuple. »
Kickl veut instrumentaliser la religion. Il se présente comme un chrétien croyant, cite la « Lettre de Paul aux Corinthiens » et son credo « Foi, amour, espérance » qu’il veut placer au cœur de sa politique (voir infra). L ́orateur passe ensuite en revue tous les groupes d’électeurs qu’il veut convaincre et tous les thèmes des prochaines campagnes (voir infra). Il évoque la défense de la neutralité autrichienne et la recherche de la paix avec la Russie. Il critique l’Ukraine, la politique de Bruxelles et l’OTAN, dénonce les ONG et le « communisme climatique », le fonctionnement de l’État et les mesures économiques du gouvernement, la situation financière des retraités, la désindustrialisation du pays39.
Pour Kickl, le parti est « plus grand, plus fort et plus déterminé que jamais ». Les autres partis qui tentent « de nous perturber, de nous critiquer, de nous délégitimer et de monter la population contre nous » sont condamnés à l’échec, car rien n’est « plus fort qu’une idée dont l’heure est venue ». « Et cette idée, c’est la chancellerie populaire »40.
À l’attention des délégués, il dresse le plan de bataille pour l’avenir. Il évoque notamment les batailles d’Hannibal et les « courageux combattants » dans les rangs freiheitlich. « Nous sommes toute une armée » et « nous avons même une garnison à Bruxelles. » Un ordre est donné : « en avant toute ! » La priorité sera donnée aux élections régionales de Haute-Autriche et de Carinthie qu’il faudra gagner (voir infra). Si la coalition au pouvoir éclatait, le parti serait prêt pour les élections nationales.
Ce n’est que relativement tard dans son discours que Kickl aborde le thème de l’immigration. Il cite Donald Trump, qui avait déclaré qu’aucun autre pays n’avait autant de migrants en prison que l’Autriche41. Mener la lutte contre l’islam politique, « l’arrêt des demandes d’asile et la remigration », une « tolérance zéro » à l’égard des « migrants criminels » sont les mesures à prendre pour « trancher le nœud gordien ».
À la fin de son discours de plus de 90 minutes, Kickl appelle les délégués à intérioriser une phrase : « Tu peux faire bien plus que tu ne le penses ». Le public et les cadres sur la scène applaudissent debout avant de passer à l’élection de Kickl. 96,94% des délégués le confirment à la tête du parti, un résultat record. En 2021, il avait succédé à Norbert Hofer avec 88,24% des voix des délégués et fut réélu en 2022 à Sankt Pölten avec 91% des voix. La proclamation des résultats fut accompagnée d’un « show-act » en dirndls et la musique « Volks-Rock’n’Roller » d’Andreas Gabalier chantée en Allemand.
La motion programmatique
Les délégués trouvaient dans leur dossier d’information un document intitulé « motion principale » rédigé par la direction du parti et intitulée « Liberté. Progrès. Équité. Paix. » Ce texte fondamental allait être adopté en quelques minutes par tous(!) les délégués sans discussion ou question sur les choix politiques effectués42.
L’analyse du texte permet de préciser le cadre idéologique actuel du FPÖ et sa perception de l’ordre du monde. La motion comme le discours de Kickl comme montre un positionnement anti-EU, neutraliste, trumpien et pro-poutine, sécuritaire et xénophobe, antimoderne, néo-conservateur et totalitaire. Le modèle économique était certes interventionniste, mais en définitive libéral.
La motion principale débute par une citation du vice-président américain JD Vance : « Je suis préoccupé par le risque interne que l’Europe puisse renoncer à certaines de ses valeurs fondamentales, des valeurs qu’elle partage avec les États-Unis »43. Toujours sur la ligne Vance, le FPÖ décrit l’état du monde : « Ce ne sont pas des ennemis extérieurs comme la Chine ou la Russie qui menacent la liberté de l’Europe, mais des forces internes : des institutions et des réseaux politiques qui, au nom d’un prétendu progrès, privent les citoyens de leur autonomie, vident l’ État-nation de sa substance et réduisent la liberté à une simple formule creuse. Ce sont les élites politiques, les réseaux idéologiques et les structures supranationales qui sapent insidieusement les fondements de notre société. » La société autrichienne connait une crise dramatique parce que nombreux sont ceux qui « orientent leur drapeau selon le vent mondialiste »44.
Une guerre menace l’Europe. Selon Kickl, ce n’est pas Poutine le responsable : « La paix en Europe n’est pas menacée par des agresseurs extérieurs, mais par l’establishment politique, qui pousse les peuples à entrer en conflit, divise les sociétés et subordonne les intérêts nationaux à la volonté de puissances étrangères. » Le FPÖ est le seul recours à la « faiblesse d’esprit » régnante qui mène l’Europe à son déclin : « Notre société doit se défendre contre une façon de penser et d’agir qui, par ses effets destructeurs, ruine systématiquement ses propres valeurs et traditions. Elle doit se défendre contre la prévalence d’une faiblesse d’esprit présentée sous le nom de progrès ou de modernité, avec laquelle l’Europe finit par se détruire ».
Le vocabulaire utilisé dans ces citations est celui du national-socialisme et des conspirationnistes. Il se situe dans la tradition « des protocoles des sages de Sion » et autres pamphlets antisémites ou encore dans la dénonciation des élites apatrides et sans racines de la « côte ouest des Etats-Unis ». Une comparaison avec les textes de l’idéologue Dougine montre que le FPÖ a aussi intériorisé nombre de ses thèses45.
Le FPÖ dénonce l’existence d’un « affaiblissement intellectuel » qui « confond liberté et pensée assistée, progrès et surveillance ». Le règne de la bêtise « confond équité et accueil de migrants du monde entier et, sous le couvert de la paix, continue d’attiser les conflits et les guerres dans le monde. » Le remède passe par une réforme du système éducatif du pays : « L’endoctrinement politique sous forme d’idéologie du genre et de culte woke précipite notre société dans l’abîme intellectuel. Tous les établissements d’enseignement, mais en particulier les universités détournées par l’esprit du temps de gauche, doivent redevenir des lieux d’apprentissage et de science et non plus d’uniformisation idéologique. » En conclusion, le FPÖ promet alors un « avenir où notre pays nous appartiendra à nouveau » en recourant à « une politique de courage, de clarté et de loyauté envers le peuple et la patrie ».
Au fil des pages, le FPÖ énumère les revendications que contiendra son programme électoral à venir : défense la neutralité, abandon de Sky Shield, plus de démocratie directe, aucune surveillance des réseaux sociaux, refus de la monnaie bitcoin européenne et protection de l’argent liquide, un contrôle de l’immigration et des prestations en nature pour les demandeurs d’asile, une remigration massive, des aides aux entreprises, une meilleure sécurité publique, etc.
En conclusion, ce texte propose un vaste programme de transformation radicale du pays, débouchant sur un système illibéral ou totalitaire rappelant la Hongrie d’Orbán ou la Russie actuelle.
Ce constat impose d’analyser ce que le trumpisme apporte au FPÖ. Kickl connait les faiblesses physiques et mentales de l’homme, et n’est pas un fan. Ses préférences iraient plutôt à Vance, dont il partage de nombreuses idées politiques, culturelles et sociétales. Néanmoins, l’Autriche dont rêve Kickl ne ressemble pas à l’Oklahoma, mais plutôt à l’Empire Austro-Hongrois ou au Lichtenstein. Kickl n’a aucune volonté de puissance, ni de désir expansionniste (à l’exception peut-être le Tyrol du Sud). Sa xénophobie (peut-être est-il antisémite ?) ne ressemble pas au racialisme nazi. Son germanisme est certes pesant et potentiellement totalitaire dans les domaines éducatifs, culturels et linguistiques, mais il sait que l’Autriche ne pourra survivre qu’en coopération avec le reste du monde.
Cette énumération permet de comprendre pourquoi il n’est pas fasciné par Trump tout en tentant de récupérer certaines méthodes de pouvoir du président des États-Unis et divers aspects de sa vision du monde. Kickl veut s’inspirer de de la guerre culturelle que Trump mène actuellement pour transformer la société américaine et la démocratie. Il apprécie sa lutte contre l’islam politique, l’expulsion systématique des clandestins, ainsi que ses efforts de paix entre la Russie et l’Ukraine. « La politique est toujours appelée à réagir au grand malaise de la population. Et Donald Trump l’a très bien compris. En ce qui concerne le culte arc-en-ciel, le wokisme, etc., nous sommes confrontés à une sorte de fléau social destructeur qui se fait passer pour un progrès afin de se camoufler. Je trouve positif qu’il y ait maintenant un mouvement contraire, où le centre de la société, les gens tout à fait normaux qui font vivre ce pays, se défendent également contre le fait qu’on leur impose quelque chose dont ils ne savent que faire. Cela vaut tout particulièrement pour le domaine de l’asile. »46
Cette motion montre que Kickl rêve de rassembler tous les oppositionnels, déçus et critiques de la situation actuelles, ceci indépendamment de leur encrage politique. Une sorte de front activiste du refus, avec un discours spécifique destiné à la jeunesse. Les Identitaires sont appelés à être le bélier de ce mouvement de révolte des jeunes47.
Le FPÖ a instrumentalisé l’assassinat de Charlie Kirk. Dans un communiqué, Kickl déclarait que l’attentat était « une lâche attaque contre la liberté d’expression et un signal terrible pour toutes les démocraties occidentales (…) La diabolisation et l’exclusion des personnes qui pensent différemment constituent le terreau idéologique des auteurs d’attentats ». Le FPÖ affirmait qu’en Autriche aussi, « nous assistons à un rétrécissement dramatique de l’espace d’expression par l’establishment politique, où tous ceux qui osent s’écarter du courant dominant sont qualifiés de destructeurs de la démocratie »48. L’ultime avatar de cette instrumentalisation fut le lancement d’une campagne contre les « dangers de l’extrême-gauche »49.
Il est beaucoup plus difficile de savoir ce que Kickl pense de Poutine. S’il soutient sa politique et se montre hostile à l’Ukraine, s’il veut se fournir en pétrole et en gaz russe, il reste extrêmement prudent sur le sujet. Il sait que nombre de ses sympathisants sont pacifistes, mais qu ́ils pensent que Poutine est l’agresseur et que la Russie a des vues expansionnistes sur les pays baltes, voire sur l’ensemble de l ́Europe. Enfin, les contacts du parti avec les Russes ont défrayé la chronique et nourri l’image d’un parti aux ordres de Moscou50.
Au vu des récentes violations de l’espace aérien européen par des drones russes, le chef du FPÖ a mis en garde la Communauté européenne. « Je ne peux que conseiller à l’Europe de ne pas se précipiter dans une contre-mesure qui pourrait alors déclencher une escalade totale. Les chefs d’État devraient s’inspirer de l’ancien président américain Kennedy et de son approche raisonnable lors de la crise de Cuba. La position de l’Autriche doit en tout cas être de renforcer et de développer sa propre neutralité. »
De manière générale, Kickl plaide en faveur d’une autre approche vis-à-vis de la Russie. Le désintérêt de Trump pour l’Europe offre actuellement « une fenêtre d’opportunité pour tenter un rapprochement entre l’Europe et la Russie. (…) L’objectif devrait être une architecture de sécurité commune plutôt qu’une nouvelle guerre froide, voire une troisième guerre mondiale. Et nous sommes tout simplement dans une situation où nous partageons le même continent que la Russie. Ainsi, la Russie ne va pas disparaître », déclare Kickl. « C’est une tentative. Elle sera peut-être bien accueillie, peut-être pas. Mais je pense qu’il serait vraiment imprudent de se laisser reprocher de ne pas avoir essayé. »51
Rapport financier
Lors de la présentation du rapport d’activité, Hubert Fuchs, responsable fédéral des finances, a dressé un bilan très positif, mais vague, de la bonne situation financière du FPÖ. Sa série de victoires électorales jusqu’en 2023 a rempli les caisses et le parti n’a pas de dettes. Il dispose en 2025 d’une réserve importante pour les prochaines campagnes électorales, comme le montrent les rapports financiers 2022 et 2023 à la Cour des comptes52. Les succès de 2024 devraient encore renforcer la solidité financière du parti. Un de ses atouts est que le parti est économe et dispose d’un petit appareil très professionnel53. L’analyse par le journal Der Standard des ressources du FPÖ montre toutefois des zones d’ombre54.
La scène internationale
Pendant de nombreuses années, le FPÖ a été isolé sur la scène internationale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sous la direction de Kickl, le parti est devenu un allié précieux des formations national-populistes en Europe actives dans la fraction et le parti Patriotes pour l’Europe. Ses contacts avec la Russie sont anciens et se sont intensifiés à la suite de la guerre en Ukraine55. Il en va de même avec le président Trump et le vice-président Vance. Les premiers contacts avec le Parti républicain américain sont antérieurs à 2017, avant que Trump ne devienne président. Ils furent gérés par Harald Vilimsky, élu au Parlement européen depuis 2014. Une délégation du FPÖ, dont faisaient partie Vilimsky, la présidente de la fédération de Salzbourg Marlene Svazek et l’actuel gouverneur de Styrie Mario Kunasek, furent invités à participer à la victoire électorale de Trump en 2016 à la Trump Tower. En janvier 2025, Kickl fut invité à l’investiture de Trump, ce qu’il déclinait56. Les contacts avec les conservateurs américains et Orbán se sont intensifiés depuis 2023 dans le cadre des réunions internationales de la « Conservative Political Action Conference – CPAC ». En mai 2025, à l’occasion de la rencontre de Budapest, Kickl diffusait un communiqué faisant l’éloge d’Orbán et de la Hongrie. Le pays serait « l’incarnation même de l’inflexibilité, de la fermeté et de la conscience nationale ». Un pôle de résistance à la « politique centralisatrice menée depuis Bruxelles »57.
À l’occasion du congrès de Salzburg, le FPÖ diffusait des salutations du Premier ministre hongrois Victor Orbán et de Marine Le Pen qui allait louer le courage et la fidélité de Kickl. Le ministre italien des Transports de la Ligue, Matteo Salvini et Alice Weidel, présidente de l’AfD évoquaient l’intensité des liens existants entre les partis, côte à côte, « dans l’Europe des patries ». « Nous vous admirons », a déclaré Mme Weidel, au sujet du rôle de modèle politique que le FPÖ a eu pour l’AfD58.
Tout n’est cependant pas sans tensions entre les partenaires. Le FPÖ, au risque de froisser Salvini, s’est proclamé « puissance protectrice du Tyrol » du sud et se montre très critique de la politique d’italianisation de cette province italienne59.
Stratégies
Le congrès du parti avait une fonction première : désigner les ennemis futurs. De toute évidence, il s’agit de l’ÖVP et du chancelier Christian Stocker. Dès le début de son discours, Kickl les a attaqués. Il parle des anciens chanceliers Alexander Schallenberg, Karl Nehammer et Christian Stocker comme d’un « triumvirat » (qui n’est pas légitimé démocratiquement). « Partout, des pseudo-conservateurs s’allient à la gauche. Le résultat est le même partout : « Un désastre ! ». « La population se demande donc à juste titre : Pourquoi participer au vote si c’est pour qu’au final, le résultat ne corresponde pas à notre choix ? » Kickl concluait : « Ce pays doit être redémocratisé, et ce, à partir du sommet ! » De plus, lors des négociations de coalition avec le FPÖ, l’ÖVP « n’a pas négocié une seule seconde pour l’Autriche, mais uniquement pour elle-même ». Commentant son refus d’une alliance avec l’ÖVP, Kickl affirmait : « Il n’est jamais responsable de choisir d’adopter une position erronée pour faire partie du système. Celui qui le fait se rend coupable de trahison – et je ne suis pas un traître ! »60
Herbert Kickl fait de sa lutte contre « le système » l’ultima ratio de son action61. « Notre prochaine grande mission ne peut être que le tournant historique, le grand changement de système. Pour cela, il faudra mettre fin au « chaos de la coalition » au pouvoir, ériger une « forteresse autrichienne », trancher le « nœud gordien du remplacement de population » et mettre un terme au « culte de l’arc-en-ciel ». Seul un Kickl « chancelier du peuple » pourra y parvenir. « En avant toute, nous réorganisons les rapports de force dans ce pays. » Car « ce n’est pas ce système qui nous brisera, mais nous qui briserons ce système erroné. »
Quelle démarche suivre pour atteindre cette refonte de la société et du système politique ?
Le FPÖ a développé en 2025 au lendemain de son refus de s’allier avec l’ÖVP une stratégie complexe, articulée autour de plusieurs campagnes. Kickl annonçait vouloir participer aux élections présidentielles en recourant à un mystérieux « Joker »62. Lors de la dernière élection présidentielle fédérale en 2022, le candidat du FPÖ, Walter Rosenkranz, n’avait obtenu que 18% des voix et avait été nettement déclassé par Alexander Van der Bellen (57%). Kickl doit donc trouver un candidat d’un type nouveau pouvant créer la surprise.
Kickl fut un lecteur attentif de Mao Tsé-toung. Il sait qu’une majorité absolue est invraisemblable et qu’il lui faudra contraindre l’ÖVP (voir le SPÖ) à s’allier avec le FPÖ. Les NEOS et les Verts étant jugés incompatibles avec les idéaux freiheitlich63, il reste à trouver une méthode pour affaiblir les résistances internes des partis démocratiques. Kickl veut encercler Vienne depuis les Bundesländer. En 2025, les élus du FPÖ dirigent ou sont membres des gouvernements de cinq Bundesländer (Vorarlberg, Haute-Autriche, Basse-Autriche, Salzbourg et Steiermark). Sur ce modèle, le parti veut s’imposer politiquement dans les autres Bundesländer, ce qui lui permettrait de contrôler la Chambre Haute – Bundesrat – et indirectement la politique des partis démocratiques. Affaibli, l’ÖVP n’aurait d’autre choix que d’accepter le projet antisystème de Kickl. La bataille à venir en Carinthie joue dans cette stratégie un rôle essentiel, d’abord parce que Kickl est carinthien, mais aussi parce qu’il estime que son parti pourrait parvenir à donner un président freiheitlich à ce Land. Pour ce faire, il a abandonné toute critique de Jörg Haider qui redevient un modèle politique.
Parmi les campagnes périphériques, on trouve une intensification des attaques contre les minorités sexuelles et la « Globohomo-Ideologie »64. Dans son discours aux délégués, Kickl parle des « gens normaux », des familles avec « un père et une mère » qui sont la seule base d’une Autriche rénovée, en clair purifiée. Une campagne de 2023 semble cependant avoir disparu, la recherche des francs-maçons dans l’appareil d’Etat65.
Centrale pour l’avenir du parti est son rapport à la religion. Dans l’ensemble de l’Europe, le cas français est emblématique66, on observe que nombre de militants nationaux-populistes ou extrémisme de droite redécouvrent le catholicisme fondamentaliste ou le protestantisme rigoriste. Le FPÖ a été très longtemps hostile à une église catholique qui n’a pas hésité à le critiquer. Sous Strache, le prédécesseur de Kickl à la tête du parti, on avait pu observer une instrumentalisation du catholicisme pour des raisons utilitaires : lutter contre l’Islam67. Kickl a continué cette campagne et voir dans le catholicisme un moyen d’étendre l’influence idéologique et électorale du FPÖ, surtout aux dépens de l’ÖVP.
Von Elisalex Henckel, „Österreichs Rechte machen Politik mit dem Kruzifix”, Welt, 28 mai 2009 [en ligne].
„Herbert Kickl schaut jetzt harmos aus und plakatiert ein gebet”, DerStandard, 23 août 2024 [en ligne] ; „Strategischer Messianismus”, Communio [en ligne].
Universität wien, „Fazit aus der Pandemie: “Krisenpolitik muss alle miteinschließen”, 5 mars 2025 [en ligne].
La presse a longuement commenté un certain nombre de provocations religieuses de Kickl comme les affiches électorales arborant le slogan « Que ta volonté soit faite », une phrase tirée du Notre Père, ou « Que Dieu m’aide »68. Le parti organisait aussi ses meetings électoraux pour les élections nationales de 2024 et municipales de Vienne sur la Stephansplatz au grand dam de l’archevêché. La réponse de Kickl à l’église fut elle aussi l’objet de critiques. Il affirmait que cette place appartenait à tous les Viennois, et en direction du curé, qu’il souhaitait « que nous trouvions parfois une alliance pour cet Occident chrétien », une démarche vouée à l’échec parce que « les représentants de l’Église sont partout, sauf dans leur propre religion ». À l’occasion du congrès du parti, Kickl soulignait qu’il était un « chrétien croyant », ce dont qu’il ne « fait pas mystère ». Il rappelait la lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens dans la Bible, dans laquelle il cite « la foi, l’espérance et l’amour » comme vertus qu’il souhaite redonner à la population.
Il est impossible aujourd’hui de mesurer l’impact de cette campagne sur les futurs comportements électoraux des électeurs conservateurs catholiques. Le principal obstacle pour Kickl est la déchristianisation de la société autrichienne et l’affaiblissement des pratiques religieuses. Cette « théorie de la croisade » se heurte aussi au scepticisme des tenant de la « troisième voie » de sensibilité national-allemande actifs dans le FPÖ, qui ont toujours été anticléricaux.
Le FPÖ est le seul parti autrichien qui tente aujourd’hui d’instrumentaliser l’épisode du Covid-19 pour dénoncer la gestion de l’épidémie69. Le parti a multiplié les questions parlementaires et s’attaque à l’OMS. Kickl se réjouissait « du travail de la commission d’enquête sur le coronavirus. Et je vous promets que tout sera révélé au grand jour. Nous resserrons (ainsi) nos liens avec la population. » De fait, la pandémie a laissé des traces dans la perception par les Autrichiens de ce qu’est la science70. Un scepticisme évident s’est répandu et nourrit sur les réseaux sociaux une pseudo-médecine à laquelle Kickl croit71. La portée de cette stratégie semble cependant limitée. Comme les sondages le montrent (voir infra), la Covid-19 ne fait plus vraiment peur.
Conclusion
Contrairement à la démarche de partis européen ayant choisi la voie de la dédiabolisation et ou de la coopération avec les partis démocratiques, Kickl croit aux vertus de la radicalité et de la provocation. Les résultats électoraux régionaux et nationaux semblent lui donner raison. Son parti gagne du terrain dans les esprits et il sait convaincre. Aujourd’hui, aucun analyste ne voit de plafond de verre électoral à ce parti. Il peut arriver au pouvoir, mais à notre avis pas seul. Tout se joue dans le camp conservateur, mais aussi du côté du patronat. Les difficultés économiques de l’Autriche rendent la tentation russe – surtout énergétique – attractive. Une victoire de la Russie rendrait la reconstruction de l’Ukraine sous l’égide russe un marché intéressant pour l’Autriche. Dans le milieu conservateur, il existe aussi une forte ligne pro-russe, critique de Bruxelles et hostile à l’OTAN. Une tentation trumpienne – encore très marginale – s’est formée qui vise à rechercher un accord autonome avec les États-Unis. Néanmoins, la pulsion illibérale de Kickl fait encore peur. Mais pour combien de temps ?
Patrick Moreau est docteur en Histoire, docteur d’État (FNSP) en sciences politiques, CNRS, spécialiste des partis extrémistes en Europe.