Aux côtés des détenus, Un avocat contre l’Etat

14 janvier 2014

14.01.2014Aux côtés des détenus, Un avocat contre l’Etat

Etienne NOËL, Manuel SANSON, Aux côtés des détenus, Un avocat contre l’Etat, François Bourin, mars 2013, 188p, 20 euros

Etienne Noël, avocat spécialiste du droit pénitentiaire, et Manuel Sanson, journaliste indépendant, portent dans cet ouvrage un regard cru et sans détour sur les conditions actuelles de détention dans les prisons françaises. Les auteurs ont fait le choix d’un mélange permanent de récit initiatique à la première personne et de pamphlet à l’encontre de l’administration pénitentiaire. Quelques mois après les conclusions de la Conférence de consensus et les intenses débats qui l’ont suivie,  Aux côtés des détenus reste brûlant d’actualité.

Du droit des affaires au droit pénal

Etienne Noël fait état d’un parcours pour le moins atypique. Issu d’une famille rouennaise bourgeoise et catholique, et après une maitrise en droit des affaires, il passe le bureau sur le tard, peu après trente ans. C’est un client commis d’office, un certain Rodolphe, qui le fera passer du droit des affaires au droit pénitentiaire. Violé et battu trois semaines durant, le prisonnier révèle à l’avocat les atrocités du milieu carcéral. Ce dernier découvre alors l’administration pénitentiaire et ses vicissitudes : fonctionnement opaque et arbitraire, violation des droits d’individus certes condamnés mais avant tout citoyens.

La narration de cet épisode précis est particulièrement efficace d’un point de vue littéraire : l’introduction du lecteur dans le monde des « taules » est progressive, ce qui l’amène à partager l’horreur et l’indignation de l’auteur face au fonctionnement des prisons et à la froideur de l’administration.

Pour un renouveau du métier d’avocat et de juge

La posture idéologique la plus féconde de l’ouvrage est certainement celle-ci : Etienne Noël milite pour une refonte de la conception du métier d’avocat. Regrettant que son rôle s’arrête trop souvent à l’annonce du jugement aux Assises, il milite pour un suivi plus long des clients -qui puisse se poursuivre jusqu’entre les murs de la prison- et pour que son action porte sur les conditions de détention, la liberté conditionnelle, etc. Cette modification profonde serait à même de répondre au double rôle de la prison : à la fois punir, mais aussi réinsérer.

Concernant les juges, l’avocat invite à réformer leur formation en les rapprochant des prisons. Nombre d’entre eux n’y ont jamais mis les pieds et ignorent tout de leur réalité. Cela fait partie pourtant intégrante des variables à prendre en compte dans une décision de justice. Si cette suggestion relève du bon sens, il semble qu’elle ne soit que trop peu entendue.

Un rapport ambigu au politique

Plus les pages se succèdent, plus la dimension politique de l’ouvrage gagne en puissance. Etienne Noël s’affirme « revenu de Nicolas Sarkozy » auquel il reproche une philosophie trop carcérale, et déçu de Christiane Taubira pour son manque de courage politique. Plus généralement, il considère de façon générale les hommes politiques comme trop démagogues sur les questions de justice : le prisonnier devenant rapidement dans les discours le bouc-émissaire idéal.

Bien qu’ayant été candidat EELV en 2010, Etienne Noël s’est, depuis, éloigné de la vie militante pour se consacrer tout entier à son combat contre l’Etat tout-puissant. Ses outils de lutte : le lobbying et les requêtes juridiques, ou selon ses propres mots « utiliser les moyens de l’Etat de droit contre l’Etat ». C’est l’une de ses affaires qui a enclenché la fin de l’irresponsabilité de l’administration pénitentiaire concernant les conditions de détentions. Il n’est désormais plus nécessaire qu’il y ait un préjudice pour intenter des actions, des conditions de vie indignes sont devenues ‘suffisantes’.

Toutefois, même s’il considère que les dealers de crack et autres délinquants routiers n’ont pas leur place en prison, l’auteur n’est pas favorable à leur suppression pure et simple, loin s’en faut : il appelle au contraire de ses vœux – et très justement – un retour des « taules au cœur de la Cité », tout autant spatialement que dans les consciences.

Un ouvrage riche et précis

Ainsi, à travers des exemples de clients tout autant que de situations pénitentiaires très précises (toilettes situées au milieu de la cellule, rats dans la cour de promenade, fils électriques à l’air libre, etc.), Etienne Noël donne à voir le rouleau compresseur aveugle et tout-puissant qu’est l’administration pénitentiaire. Si l’on peut sourire à la lecture de certaines phrases à la coloration parfois présomptueuse, la lecture de l’ouvrage demeure éclairante et puise sa force dans la précision des faits énoncés.

Claire Poncet

Crédit Photo: Flickr:  mennomenno.

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