Aux origines de l’écologie politique, une vision du monde réactionnaire ?
22 mai 2012
Stéphane François, L’écologie politique, une vision du monde réactionnaire ?, Paris, Cerf, 2012.
Le point de départ du livre de Stéphane François est le suivant : l’écologie serait devenue un des pivots de la vie politique contemporaine. « La plupart des partis politiques ont [en effet] intégré dans leurs programmes respectifs des points concernant l’écologie, il est vrai un peu par opportunisme, un peu par conviction ». Bizarrement, cette généralisation de la thématique écologique n’a pour autant mis à mal ce lieu commun selon lequel l’écologie politique se situerait toujours à gauche de l’échiquier politique. Or, Stéphane Français insiste au contraire sur la diversité de la famille de l’écologie politique contemporaine, qui « recouvre des sensibilités très diverses, allant du progressisme au conservatisme, voire à une attitude réactionnaire ».
Quid de l’écologie de droite ?
Stéphane François démontre d’abord que l’écologie relèverait surtout, et avant tout, d’un imaginaire de droite. La parcimonie, la frugalité, l’éloge des terroirs, ne s’inscrivent-elles pas dans un imaginaire conservateur, dans la mesure où elles se réfèrent à un mode de vie traditionnel largement idéalisé ? Quant aux grands penseurs de la préoccupation écologique, de cette mouvance, ils seraient souvent de discrets conservateurs. Chez Hans Jonas ou Ivan Illich, Stéphane François croit deviner en effet une vision du monde réactionnaire derrière le discours « de gauche ». Entendons-nous bien : Stéphane Français ne nie pas qu’il puisse exister des militants pour se dire très sincèrement écologistes et de gauche… à cette nuance près que leur imaginaire relève largement de la droite. Paradoxe !
C’est dans cette optique que le politoloque établit plus rigoureusement une sorte de généalogie de l’écologie politique, qui part du romantisme et de la « révolution conservatrice » allemande en passant par les apports théoriques de la nébuleuse völkisch, pour accoucher du thème de la décroissance, très présent dans la pensée de la Nouvelle Droite et de la droite radicale identitaire.
L’écologie politique, un rejet des Lumières
Stéphane François situe ce passionnant essai de généalogie dans le « cadre plus large des débats sur la modernité et l’héritage des Lumières ».
Ce faisant, il semble d’abord se situer dans la continuité du travail esquissé par Luc Ferry dans son livre pionnier, Le Nouvel ordre écologique, paru en 1993. Mais il faut souligner immédiatement que la démarche de Stéphane François se veut moins polémique et médiatique que celle de son prédécesseur. Il s’agit moins pour lui de faire un « coup » éditorial et politique que de proposer une étude académique et sérieuse de certaines filiations intellectuelles de l’écologie politique. Au reste, Stéphane François réfute avec vigueur certaines des thèses assénées par Luc Ferry il y a 19 ans.
Stéphane François a, sans aucun doute, raison d’interroger le rapport des écologistes aux Lumières. Chacun sait la diversité de ce mouvement d’idées : quoi de commun entre un Hume et un Rousseau, par exemple ? L’idée de progrès, peut-être. En la mettant en doute, les écologistes placeraient leurs pas, sinon dans ceux des Anti-Lumières, du moins dans ceux des penseurs critiques des Lumières.
Le caractère anti moderne de l’écologie
Pour Stéphane François, l’écologie toute entière, même celle qui se considère progressiste se nourrirait d’une profonde défiance à l’égard des hommes. Il prend l’exemple de ce qu’il considère comme le caractère technophobe de certaines positions vertes, qui illustrent « l’heuristique de la peur » chère à Hans Jonas. La catastrophe de Fukushima aurait par exemple conforté un catastrophisme déjà très présent dans le discours des écologistes, et qui consisterait une sorte d’anti-progressisme à visage dramatique.
La notion de Progrès en question
Suffit-il pour autant de montrer que les écologistes tiennent un discours critique sur le « progrès » au sens où l’ont défini les Lumières pour faire la preuve de leur « antiprogressisme » ou de leur conservatisme ? La critique des écologistes contemporains porte principalement sur la représentation, que développent les Lumières, d’un monde qui serait offert à l’empire de l’homme. Pour les écologistes, cette vision prédatrice de la nature et l’éloge de la technologie pour la technologie ont comme conséquences ultimes et paradoxales une « déhumanisation » du monde ; elles seraient mêmes lourdes d’une menace d’extinction pour l’espèce humaine.
C’est précisément ici que les penseurs de l’écologie politique se distinguent des Anti-Lumières. Leur souci de repenser l’homme dans son milieu ne procède pas d’un « anti-humanisme », mais au contraire d’un humanisme repensé et plus attentif à la survie de l’homme comme espèce. Le développement durable au sens large poursuit d’ailleurs cet objectif. C’est au fond l’idée de « progrès » telle que nous l’avons héritée des Lumières qu’invite donc à repenser un philosophe comme Hans Jonas.
Le livre de Stéphane François nous éclaire donc sur la généalogie de l’écologie politique. Il souligne que l’histoire de cette famille de pensée diffère profondément de celle des autres traditions intellectuelles qui composent ce qu’on appelle aujourd’hui « la gauche ». Jusqu’à la question de la compatibilité entre l’écologie politique et le « progressisme » traditionnel des gauches sociales-démocrates ou radicales ?
Julie Cunat
Crédit photo: Flickr, Isayana
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