Aux racines du populisme
Fondapol | 19 octobre 2012
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De quoi le populisme est-il le nom ?
Avant de s’interroger sur une possible peur de l’homme providentiel, l’ouvrage questionne les fondements et la substance du populisme, défini comme une crise de la société et des valeurs républicaines. Selon l’auteur, les caractéristiques du populisme sont immuables : il est fondé sur une vision transpartisane de la société et de la politique (dépassant le clivage gauche/droite) ; il appelle à la réaffirmation de l’autorité de l’Etat qu’il distingue clairement du pouvoir « usurpé » des hommes politiques. Son idéologie s’articule autour de deux composantes essentielles : l’homme charismatique d’une part, et l’idée d’un pays – ici la France – mythique d’autre part.
Le populisme est un « cri de révolte » qui dénonce la souffrance du peuple. Il ne propose pas de solution révolutionnaire, mais fustige la confiscation du pouvoir par les élites dirigeantes au service des « puissants » et le statu quo d’une politique qu’il veut rénover.
Survol des expériences populistes
Pour affiner son analyse, Alexandre Dorna propose un regard croisé sur les révoltes populistes les plus notables de l’histoire, notamment sur les expériences russe, américaine et latino-américaine.
Il constate que dans tous les cas, le populisme a trouvé sa source dans l’opposition des masses populaires (assimilées au XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle aux masses agraires) au pouvoir, qu’il soit élu ou non. Dans la pratique, le populisme est donc une révolte du peuple contre le pouvoir établi, même s’il est issu de la démocratie représentative. L’auteur cite à ce propos Jacques Julliard pour qui le populisme, « c’est le peuple sans la démocratie ».
Il paraît dès lors impossible d’inclure le populisme dans la famille des idéologies politiques traditionnelles. Les expériences populistes le prouvent : si la politique doit nécessairement, pour rallier les foules, se teinter de populisme, l’inverse n’est pas vrai : le populisme en s’adressant directement au peuple s’exclut d’un jeu politique essentiellement fondé sur la représentation.
La figure du leader charismatique
Alexandre Dorna propose une analyse poussée et particulièrement riche de la figure essentielle de l’homme providentiel du leader, nécessairement « charismatique », qui est, selon l’auteur la clé de voûte du populisme.
L’ouvrage propose une typologie détaillée et illustrée de nombreux exemples, de Napoléon III à Jean-Marie Le Pen, en distinguant les profils de chacun, qui varient selon la forme du discours ou le rapport au peuple. Dans tous les cas, l’auteur notre que seule la force de « l’homme providentiel » – sa capacité à « ré-enchanter les masses », pour utiliser un lexique wébérien – peut expliquer le succès ou l’échec d’une expérience populiste.
Le populisme aujourd’hui
Quels sont les traits caractéristiques du populisme actuel ? Il s’agirait selon l’auteur d’un néo-populisme, qu’il faut penser à l’aune de la modernité et de la technique. Outil de rénovation de la société, il en suit aussi les évolutions. Parlant au peuple et en son nom, il s’adapte à ses aspirations. Les médias tiennent ainsi un rôle important dans la dynamique actuelle du populisme.
Le discours populiste en question
Rappelant les fondements généraux du discours (subordonné à la trilogie ethos/pathos/logos), Alexandre Dorna analyse les spécificités du verbe populiste. C’est au peuple et à lui seul que le leader s’adresse. Il dénonce à l’envie la démagogie inhérente à la classe politique traditionnelle, tandis que lui seul incarne le peuple et lui parle vraiment.
Le discours doit ainsi se fonder sur l’inconscient collectif, jonglant avec les symboles et les mythes fondateurs de l’identité d’une population. Il n’y est pas question de diviser le peuple en classes : le seul rejet vise les élites. Discours vertical, critiquant le pouvoir injuste et son inertie, la parole populiste se veut persuasive et claire, s’interdisant toute dérive technocratique.
Haro sur la démocratie représentative ?
En définitive, l’ouvrage d’Alexandre Dorna, dont le titre annonce une étude sur « l’homme providentiel », se dégage de son sujet pour traiter de la question : « Faut-il avoir peur du populisme ? ».
A bien lire l’ouvrage, celui-ci ne comporte pas que des défauts. Il est certes sujet aux dérives. Le populisme, qui s’adresse aux masses représente ainsi un danger pour les institutions garantes de notre stabilité démocratique.
Pour autant, le populisme aurait, selon l’auteur, des vertus curatives. Il permettrait de lutter efficacement contre la confiscation de la démocratie par une classe politique « inutile et peu vertueuse ». Le populisme serait dès lors un outil de relégitimation du pouvoir, le prémunissant d’une professionnalisation élitiste. Si l’argument est percutant, l’auteur fait peu de cas des dérives autoritaires conduites au nom d’un peuple fantasmé, celles d’un Loukachenko en Biélorussie ou d’un Chavez au Venezuela. La démocratie représentative que fustigent les tribuns n’est-elle pas justement le meilleur rempart contre la confiscation du pouvoir par une seule et même personne ? A cette question, l’auteur ne donne pas de réponse.
Yara El-Eleywa.
credit photo:Melle Bé
[1] Dans la même perspective d’analyse du populisme : Dominique Reynié, Populismes : la pente fatale, éditions Plon, 2011, 278 pages.
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