Baisser les armes mais pas les bras

Sophie Des Beauvais | 30 juillet 2015

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Alexandra Laignel-Lavastine, La pensée égarée, Grasset, 2015, 18€

Par Sophie Des Beauvais

« Comment sommes-nous arrivés aux sanglantes journées de janvier 2015 ? » C’est la question que pose Alexandra Laignel-Lavastine dans son dernier ouvrage, où elle dresse un portrait de ce qu’elle appelle la pensée égarée, qui précipiterait l’Europe droit dans des penchants suicidaires. Cet essai à pour objet de dénoncer 10 ans de pensée intellectuelle française, qui, par peur d’être accusée de nourrir l’islamophobie, a préféré se « crever les yeux » devant la montée d’un nouveau totalitarisme.

L’auteure, qui est également philosophe, essayiste et historienne des idées, choisi comme point de départ les événements de janvier dernier pour fonder une critique de l’aveuglement d’une frange de la classe politique française. Cette classe était dans le déni du réel et empêchait toute réflexion intellectuelle, et continue de le faire alors même que les attentats de janvier auraient du déclencher le signal d’alarme, par son refus catégorique et sa peur des « amalgames ».

L’hypothèse d’Alexandra Laignel-Lavastine consiste à envisager le déni du réel de façon pérenne. l’Europe devenant donc nécessairement et à brève échéance, soit d’extrême droite et populiste, soit « soumise » à l’islam. Elle appelle donc le continent à « tenir le cap à égale distance de la xénophilie angélisante et de la xénophobie diabolisante ». En somme, rétablir une réflexion juste et fondée sur le réel et sur la situation actuelle de l’Europe.

Ainsi, une grande partie de cet essai est donc centré sur la dichotomie entre une montée de l’antisémitisme passant inaperçue et rentrant dans les mœurs, et une montée de l’islamisme passant également inaperçue et ne pouvant être dénoncée car la morale « bien-pensante » qui pèse depuis plusieurs années sur la société interdit toute réflexion de par sa devise inébranlable: « pas d’amalgame ».

Valeurs démocratiques et intellectuels « néo-réactionnaires »

Selon elle, les vertus émancipatrices de la culture européenne, nécessaires au renouvellement de notre système démocratique, sont menacées par deux écueils : le communautarisme et le passage d’une morale de l’instruction à une morale du développement personnel qu’elle qualifie de « sentimentalo-débile ». Cette  vision du monde et de la société, où la culture générale serait une dictature discriminatoire pesant sur la liberté, a entrainé une perte absolue de repères chez des jeunes nés et éduqués en France.

L’auteure identifie d’une part la fracturation et déni de la gauche face à la montée de ces nouveaux totalitarismes, et d’autre part les philosophes issus de l’école antitotalitaire qui sont qualifiés dans ce monde sans repères de « néo-réactionnaires ». En effet, ceux-ci sont accusés en permanence de s’être égarés dans le conservatisme, et même le racisme et le sexisme. Cette dichotomie est le symptôme d’une crise de la démocratie qui refuse une pensée plurielle et différente du « bien-pensant » habituel. L’auteure prend donc parti en faveur de ces intellectuels « néo-réactionnaires » car « la démocratie est le régime qui vit de sa propre critique. « Qu’est-ce que cette démocratie qui commencerait par bâillonner ceux qui mettent le doigt sur ce qui fait problème ? » demande-t-elle.

La réflexion intellectuelle face à la résurgence antisémite

Un autre aspect de cet essai s’intéresse à la montée de l’antisémitisme, passée inaperçue aux yeux de tous, et il est reproché aux Européens d’avoir été aussi aveugles devant la montée de l’islamisme que de l’antisémitisme.

Ainsi, le déni européen s’étend également à la Shoah : les Européens seraient de plus en plus réticents à accepter la confrontation morale et existentielle à la Shoah, qui est pourtant nécessaire dans la construction de l’identité de tout européen, et refuseraient l’idée que l’holocauste est une composante indélébile de la mémoire et de la conscience européenne, fondée sur l’éthique de la connaissance. De plus, ces derniers mettraient aujourd’hui totalement de côté l’obsession d’Israël et l’antisémitisme arabo-musulman, en ayant un seuil de tolérance plus élevé envers cette haine-là. L’auteure revient sur la philosophie et la réconciliation européenne depuis 1945, ainsi que la création de l’Etat juif pour tenter d’examiner les symptômes d’une Europe malade, où les Juifs – désormais comparés aux Nazis du IIIe Reich allemand – seraient coupables et responsables de tous leurs maux et où leur persécution serait donc justifiée. Cette pensée étant de plus en plus populaire parmi les Européens, et ce dans l’indifférence la plus totale. Selon l’auteuer, l’antisémitisme en Europe serait justifié par l’existence-même de l’Etat d’Israël. Le racisme ne pourrait venir que du Front National, et passe donc inaperçu alors qu’il est est en réalité colporté par d’autres tranches de la population.

L’essai d’Alexandra Laignel-Lavastine tente donc de briser les tabous et de libérer la parole : la démocratie vit de sa propre critique et il est donc vital de briser la morale intellectuelle « bien-pensante »  pour aborder de front les nouveaux totalitarismes et la réalité, ainsi qu’entamer une nouvelle réflexion sur la société et notamment sur la montée des populismes, de l’antisémitisme et de l’islamisme. Plus particulièrement, pour arriver à cela, il est vital de commencer par s’écarter et se tenir à égale distance de la xénophilie angélisante et de la xénophobie diabolisante.

crédit photo : cc Tony Webster

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