BIG DATA : Dis-moi qui tu es, je te dirai qui voter

Fondapol | 11 juillet 2014

11.07.2014BIG DATA : Dis-moi qui tu es, je te dirai qui voter

Barack Obama a fait campagne face à Mitt Romney en 2012 en instaurant une « nouvelle approche politicienne du Net » qui a largement contribué à sa victoire. En utilisant les données récoltées sur Internet de manière intelligente et rationnelle, le staff de campagne des Démocrates a pu, entre autres, établir le profil des électeurs et déterminer leurs habitudes de vote. L’objectif était de concevoir des campagnes de communication adaptées pour mieux cibler les citoyens et donc garantir une plus grande efficacité.

La stratégie du Get Out The Vote

Afin de récolter le maximum de soutiens, les deux camps ont concentré leurs efforts sur les Etats où la participation est traditionnellement faible. C’est la stratégie du Get Out The Vote (GOTV) qui vise d’abord à amener les gens aux urnes, en fonction de leurs préférences supposées, et ensuite à les convaincre de voter pour tel ou tel camp.  Pour cela, Républicains et Démocrates ont mis en place des machines de guerre numériques pour brasser les informations à partir desquelles les militants quadrillent le terrain – canvassing – en fonction des caractéristiques sociologiques des quartiers et adaptent les discours à leur audience.

Narwhal versus Orca

A ce jeu, ce sont les Démocrates qui ont été les plus forts. Le dispositif Narwhal – narval en français – s’est montré bien plus solide que son équivalent républicain Orca – orque en français. Cocasse : l’orque est le seul prédateur connu du narval[1]. Les Démocrates qui avaient dû faire face en 2008 au crash de leur plateforme ont riposté en 2012 avec ce nouveau dispositif pensé par des geeks, des professionnels d’Internet. Les Démocrates avaient alors énormément investi en moyens techniques et humains pour mettre en place un pilotage numérique de la campagne, « The Cave », de très haut niveau[2].

Quant aux Républicains, ils se sont fait manger, si l’on peut dire, en raison d’un retard accumulé de 4 ans sur leurs rivaux. En effet, en 2012, Orca a à son tour crashé. Le jour de l’élection, le site n’a pas supporté l’affluence des volontaires visitant la page, qui était inaccessible[3]. Peut-être ont-ils sous-estimé l’aspect technologique de la campagne en faveur de l’aspect politique. Ce manque de professionnalisme technique leur a sans doute été fatal.

Le volte-face des Républicains

Les Républicains ont appris de leurs échecs de 2012. Du moins, c’est ce que laisse entendre leur dernière initiative : à deux ans des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, ils comptent externaliser l’aspect technologique de leurs campagnes[4]. Ils ont fait appel à Targeted Victory et à The Data Trust qui s’associent pour créer et structurer une plateforme de données à partir de laquelle les politiques pourront décider des meilleures stratégies à adopter pour mener campagne, tant sur le fond que sur la forme[5].

Ils visent en particulier à rallier les femmes à leur parti, quand 55 % d’entre elles ont voté pour Obama en 2012[6]. Les résultats d’une récente étude commandée par le RNC – le Republican National Commitee – et le National Republican Congressional Campaign mettent en évidence les thèmes les plus préoccupants chez les femmes. Par exemple, 55 % des femmes ne sont pas favorables au projet d’Obamacare[7]. Ce sera donc un message à développer dans les prochaines campagnes.

Quels enseignements pour la France ?

En matière d’utilisation du numérique dans les campagnes électorales, la France accuse un retard considérable. En effet, la culture politique n’en a pas encore réellement intégré les codes. En 2012, c’est à 100 jours seulement du scrutin que François Hollande a mis en place sa cellule « web campagne » sous la coupe de Vincent Feltesse[8].

Cependant, les Français n’hésitent pas à s’inspirer des techniques développées outre-Atlantique. A cet égard, Guillaume Liégey, Arthur Muller et Vincent Pons ont voulu « mettre en œuvre en France ce qu’Obama a réussi à faire aux Etats-Unis : reconquérir la démocratie sur le terrain »[9], c’est-à-dire permettre à la gauche d’aller à la rencontre des électeurs. Ils ont ainsi été embauchés dans l’équipe de campagne de François Hollande en 2012.

Toutefois, aucun parti n’a encore développé de mastodonte numérique comparable à ceux des deux grands partis américains. On peut plausiblement espérer que les Français s’inspireront du traitement des données à l’américaine avec, une fois encore, un mandat de retard. Or cela présuppose des ressources financières énormes (limitées par la loi) mais aussi humaines importantes facilement mobilisables, ce dont la vie politique française manque cruellement. Car, si le cyber militantisme se développe, les militants « de terrain » se font rares[10]. Un autre obstacle à la transposition de cette pratique réside dans la protection des données personnelles, beaucoup plus strictes en France qu’outre-Atlantique[11]. Ces considérations imposent alors de s’approprier les innovations dont ont fait preuve les partis politiques américains.

Par Marion Baudier-Melon

[1] Andréa Fradin, « La victoire des nerds », owni.fr, 19/11/2012

[2] « Inside The Cave. An In-Depth Look at the Digital, Technology and Analytics Operations of Obama for America », Engage Research

[3] Sean Gallagher, « Inside Team Romney’s whale of an IT meltdown »,http://arstechnica.com, 9/11/2012

[4] Neal Ungerleider, « Republicans make big data push, access voter Internet habits and more », www.fastcompany.com

[5] Team Targeted Victory, « Targeted Victory and The Data Trust Create First-of-its-Kind Partnership for Data Sharing »,http://www.targetedvictory.com, 17/06/2014

[6] Jan C. Timm, « Republicans research how to woo women voters »,http://www.msnbc.com, 19/06/2014

[7] David Morgan, « Exclusive : Republicans ready messaging campaign aimed at women »,http://www.reuters.com, 18/06/2014

[8] André Fradin et Guillaume Ledit, « François Hollande en haut débit », owni.fr, 16/01/2012

[9] Guillaume Liégey, Arthur Muller, Vincent Pons, Porte-à-porte. Reconquérir la démocratie sur le terrain, 2013

[10] Jacques Ion, La Fin des militants, 1997

[11]« Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons pour la France », Terra Nova, janvier 2009

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