« Books on demand » la plate-forme qui donne un nouveau souffle à l’édition.

Farid Gueham | 15 août 2016

« Les gens heureux lisent et boivent du café », c’est le titre accrocheur d’un premier roman. Une histoire qui commence à Paris. Au cœur de l’ouvrage, la question du deuil, de la reconstruction. Des sujets à la résonance particulière pour l’auteur, Agnès Martin-Lugand, qui avoue se reconnaître dans ce portrait d’une trentenaire qui, au début de sa vie, a le sentiment que plus rien n’a de sens. Un roman que l’on ne trouve pas en librairie. Agnès Martin-Lugand n’est pas passée par la sacro-sainte case « maison d’édition ». Après plus d’un an de travail, l’ouvrage est disponible sur internet depuis le mois de décembre 2015, pour moins de trois euros. « Le premier jour de mise en ligne, le livre est dans le top 100 des ventes, trois jours plus tard, je frôlais les portes du top ten et dix jours plus tard, j’étais première. Et c’est amusant de se dire que ce n’est plus son seul réseau qui achète le livre. Au bout de la centaine de téléchargement, ce n’était plus mes proches ». Le roman s’est vendu à près de 8500 exemplaires. Le succès numérique ne reste pas dans l’ombre très longtemps, rapidement repéré par un éditeur traditionnel, comme l’explique Florian Lafani, chargé du développement numérique chez Michel Lafon : « aux Etats-Unis, voilà plusieurs années, que l’on peut trouver des auteurs autoédités, qui connaissent des succès retentissants et attirent l’attention des maisons d’édition américaines. Le phénomène arrive en France. Mais il faut toutefois que le texte ressemble à l’esprit de la maison, que l’on ait envie de le défendre ». La version papier, identique à la version numérique, est déjà disponible. Un succès qui n’étonnerait pas Noémie Machener, porte-parole de BOD « books on demand ». Le pari est osé : la startup propose d’éditer tous les auteurs qui le souhaitent. Car « BOD » est une plate-forme d’autoédition, qui propose aux auteurs et aux particuliers, de se publier en toute indépendance, sans passer par une maison d’édition traditionnelle. La plate-forme propose néanmoins des services d’impression, de publication et de distribution.

Pas de comité de lecture, ni de sélection.

Contrairement aux maisons d’édition traditionnelles, « BOD » n’a pas de comité de lecture. Le service se veut ouvert à tous les auteurs, poète, chercheur, journaliste, scientifique, sans juger la qualité de l’écriture, la mise en page ou la couverture. La plate-forme se réserve toutefois un droit de regard éthique et moral sur le contenu des ouvrages proposés. Un service pour les recalés des grandes maisons traditionnelles ? Noémie Machener s’en défend. Cela reviendrait à insulter la majorité des auteurs aspirant à la publication « le taux de rejets dans une maison d’édition traditionnelle est de 98%. BOD est un tremplin pour les auteurs qui ont frappé aux portes des éditeurs, sans jamais pouvoir les intégrer. En revanche, il y a aussi un certain nombre d’éditeurs qui ont déjà publié dans des maisons traditionnelles et qui décident de publier un sujet différent qui ne rentre plus dans le catalogue de l’éditeur et qui passe par l’autoédition.  Cela leur permet d’avoir un contrôle total sur le contenu et sur leurs droits ».

Un formule attractive pour les premières publications, moins pour les auteurs confirmés.

En Grande-Bretagne et aux États-Unis, les auteurs qui optent pour l’auto-publication sont plus nombreux. C’était notamment le cas pour l’auteur de « Cinquante nuances de Grey ». En revanche, moins sur qu’un Marc Levy vienne frapper à la porte de « BOD » tant le marketing et la stratégie d’exposition déployés par son éditeur traditionnel sont massifs. Mais contrairement aux maisons établies, « BOD » permet d’imprimer son ouvrage, à partir d’un seul exemplaire. Les délais d’impression, de reliure, et de distribution sont également raccourcis à l’extrême : entre l’impression et la distribution chez le libraire, il faut compter en moyenne 3 à 4 jours.

Plus qu’un « disrupteur », la plate-forme se veut une alternative, mais aussi un partenaire sur la chaîne traditionnelle du livre.

« BOD » travaille depuis 8 ans avec un distributeur reconnu. Les publications ne se limitent pas aux « ebooks », et les ouvrages peuvent être trouvés sur les rayonnages. Noémie Machener recommande d’ailleurs aux auteurs d’aller démarcher les libraires régionaux. Si ces acteurs de l’édition et de la distribution font face à d’importantes difficultés évidentes, ils n’en restent pas moins à la recherche de nouveauté et de diversité.

Le numérique peut replacer l’humain au cœur de l’édition.

C’est la conviction du projet de « BOD » qui proposait plusieurs services lors du dernier salon du livre. « Cette année, nous proposions des conseils sur mesure, pendant trois jours, nous invitions des coachs spécialistes de la promotion sur les réseaux sociaux, un graphiste ou un coach en écriture. Bien souvent, les auteurs n’ont pas toutes les connaissances techniques. Ce « speed coaching » leur offrait notamment des services de mise en page ou de correction » ajoute la porte-parole du site. La plate-forme d’autoédition présente d’autres avantages : elle renouvelle l’offre de publications sous des conditions contractuelles plus accessibles. Et si l’entreprise peut baisser des coûts, c’est notamment grâce à la suppression des frais de gestion, des marges attractives, tant sur les livres imprimés que sur les ebooks (50 % de marge sur les ebooks contre 25 auparavant). Il faut compter 39 euros pour la création et le référencement d’un titre. Pour Florian Geuppert, directeur général de « BOD », le prix est un facteur déterminant dans le choix des auteurs, mais les témoignages montrent que ces derniers choisissent aussi la plate-forme pour la qualité de l’impression, la conversion ebook de leurs ouvrages, la fiabilité du réseau de distribution, ou les échanges simplifiés avec la plateforme.

En 2012, l’autoédition ne représentait que 3% du marché du livre français. Elle a, toutefois,  atteint 17% des parts de marché aux États-Unis, avec une progression considérable depuis les dernières années. Un succès qui ne déconnecte pas les plateformes d’autoédition de la réalité d’un marché complexe : alors que « BOD » ambitionne d’augmenter la progression de sa production de 30%, en misant sur quelques best-sellers, les aléas sont trop nombreux pour s’affranchir de partenariats ou de sous-traitance pour les éditeurs traditionnels qui ont toujours de beaux jours devant eux. Mais l’exemple d’Agnès Martin-Lugand donne des ailes aux aspirants publiés : le livre d’abord vendu en téléchargement payant à 10 000 exemplaires sur la plate-forme eBooks d’Amazon, a été édité à  20 000 exemplaires par Michel Lafon. « Les gens heureux lisent et boivent du café » a même pris la tête des meilleures ventes de livres d’Amazon, devant « 50 nuances de Grey ». Les droits de l’ouvrage ont été achetés dans 18 pays.

Pour aller plus loin :

« Le marché de l’autoédition en constante progression », Publishroom.

« 5 bonnes raisons de s’auto-éditer », L’Express.

« L’autoédition, un nouveau tremplin vers le livre papier », 20 minutes.

 

 

 

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