« Boutons l’anglais hors de France ! » : la voie royale du déclin français
21 mai 2013
« Boutons l’anglais hors de France ! » : la voie royale du déclin français
Le 27 mai l’Assemblée nationale examinera le projet de loi Fioraso sur l’enseignement supérieur. Si le texte comprend plusieurs mesures comme la réforme (plus que discutable !) de la gouvernance des universités, l’amélioration de la lisibilité des diplômes ou encore l’installation de quotas en BTS et IUT pour les élèves titulaires d’un baccalauréat professionnel ou scientifique, les débats se concentrent, conformément à notre génie national, sur les symboles ; en l’occurrence sur un seul point : la volonté de proposer davantage de cours en anglais à la « fac ».
Assouplissement de la loi Toubon
L’article 2 du projet de loi prévoit ainsi d’assouplir la loi Toubon de 1994 (qui stipule que la langue d’enseignement est le français) en établissant deux exceptions : « pour la mise en œuvre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale, ou dans le cadre d’un programme européen ». La ministre de l’Enseignement supérieur justifie cette proposition par la volonté d’attirer des étudiants et professeurs étrangers. Bref, d’améliorer l’attractivité (et non la « compétitivité », horresco referens !) des établissements tricolores. Et la ministre de préciser (et de rassurer) que « cela va concerner moins d’1% des cours », et que ces derniers seront «non obligatoires[1] ».
« Un projet de loi porteur du cancer ». Rien que ça…
Il faut dire que la mesure déchaîne les passions, chez les intellectuels comme chez les politiques, à droite comme à gauche de l’échiquier. Claude Hagège, professeur au Collège de France, a publié une tribune dans Le Monde dans laquelle il dénonce le « sabordage du Français» ainsi qu’un « projet de loi porteur du cancer », alors que le député UMP Daniel Fasquelle parle d’une « perte d’influence de la France » et que son collègue socialiste Pouria Amirshashi évoque un article qui ne donne pas « un signal favorable » et parle même d’un « renoncement ». Marie-George Buffet, députée communiste, plaide également en faveur de la suppression de l’article, que Marine Le Pen qualifie de « très grave menace pour la langue française ».
L’on n’aura pas la cruauté de nommer ces grands esprits qui ont stigmatisé la « pauvreté linguistique » de l’anglais : il suffit de lire Shakespeare et Melville pour s’en convaincre… et pour s’interroger sur ce qui l’emporte dans cette affaire : la sottise ou l’ignorance ?
Le français mis à l’honneur par… l’anglais !
Geneviève Fioraso voit à juste titre « beaucoup d’hypocrisie » dans ce débat, alors que les grandes écoles dispensent déjà des cours, voire des cursus entiers, dans la langue de Shakespeare, « contrevenant » ainsi à la loi Toubon : pour le plus grand bien de HEC et de Sciences Po qui voient (re)venir les étudiants du vaste monde et leur classement monter dans la hiérarchie mondiale. Des étudiants d’excellence qui, confortés par l’existence de cursus en anglais, en profitent –eh oui ! – pour apprendre… le français (obligatoire dans lesdits cursus). Mais qu’importe : la République n’a pas besoin d’Américains ! Encore moins de Chinois ! Quant aux Singapouriens… Au fait, Singapour, c’est où sur la carte ?
Restons donc entre nous et savourons notre doux déclin !
Avec ou sans conservateurs ?
Il nous faudrait un Rabelais ou un Molière, ces « génies de notre langue » dont se réclament bien à tort ses tristes défenseurs, pour railler comme il le faudrait, cet archaïsme délétère qui revient régulièrement paralyser notre université et notre science à chaque fois que survient le défi d’une nouvelle modernité. Les mêmes, soyons en sûr, auraient prôné au Moyen Âge la « défense de la langue d’oil » contre le « tout-latin à l’université » et, à l’époque moderne, le maintien du même latin contre l’arrivée du « vulgaire » français !
Alors que l’on parle de plus en plus de « gouvernement d’union nationale », il est un point qui peut faire consensus : le conservatisme –c’est-à dire, la défense des avantages acquis – qui dépasse décidément tous les clivages partisans.
Julien Gonzalez et Christophe de Voogd
Crédit photo: Flickr, banlon1964
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