Cameron face à la montée de UKIP
Fondapol | 05 mai 2015
Cameron face à la montée de UKIP
Par Jan Bediat
Une poussé électorale sans précédent à partir de 2012
En 2010, le UKIP n’est qu’un petit groupuscule eurosceptique. Véritable défouloir de britanniques de plus en plus eurosceptiques, ses rêves de conquêtes esquissés pendant les élections européennes sont brisés à l’occasion de sévères déconvenues aux législatives. Alors que le parti conservateur ne parvient même pas à obtenir une majorité pour gouverner seul et doit s’allier avec les libéraux-démocrates, le UKIP reste cloîtré dans un cimetière électoral en obtenant seulement 3.5% des voix.[1] Cette situation dure jusqu’en 2012 comme en témoigne les seuls sept sièges de conseillers[2] obtenus par le parti de Nigel Farage lors des élections locales partielles de mai 2011.
Mais en 2012, la tendance s’inverse. Le parti Conservateur cesse de faire illusion : la Big Society est abandonnée au profit d’une cure d’austérité qui promet de durer plusieurs années. Selon une stratégie bien connue en France, le UKIP entame sa « normalisation » et commence à enchaîner les victoires. A l’occasion des élections locales de 2012, il réalise le plus gros score de son histoire à des élections locales en mobilisant 14 % des suffrages[3] !
C’est en 2014 que le succès du UKIP éclate. A l’occasion des élections locales, il réalise une forte poussée électorale en rassemblant 17 % des voix[4], gagnant ainsi 161 sièges de conseillers[5] de plus qu’à la précédente élection de ce type. Le résultat des européennes tombe quelques jours plus tard. Stupeur : le UKIP arrive en tête avec 27.49 % des voix[6], rassemblant ainsi plus de 4 millions d’électeurs ! Le rapport de force avec les conservateurs semble s’inverser. Ceux-ci vont retrouver leurs fondamentaux thatchériens pour contrer le UKIP et préparer les législatives de 2015.
La pression idéologique du UKIP
La poussée du UKIP est habituelle à l’occasion des élections européennes. Mais en 2014, elle est inédite. Arrivé en tête, il devient un acteur majeur des futures législatives. On peut l’expliquer par la normalisation et l’ancrage local du UKIP, qui sont des éléments importants. Il y en un autre, plus majeur : le déplacement d’électeurs conservateurs déçus par David Cameron.
Pour s’imposer en 2010, Cameron avait transformé la doctrine du parti conservateur. Le discours économique ordo-libéral avait été mis sous silence. Le conservatisme avait été abandonné au profit d’un libéralisme sociétal modéré. L’accent était surtout mis sur les classes moyennes. Cela avait permis de capter une grande partie des électeurs travaillistes et libéraux. Avec l’austérité, les électeurs travaillistes sont rentrés au bercail. Poussés par leur euroscepticisme, leur hostilité au libéralisme sociétal et la crainte identitaire et économique que leur inspirent l’immigration et l’islam, les électeurs conservateurs se sont déportés vers le UKIP.
Pour retrouver sa base électorale, Cameron renoue avec l’héritage thatchérien
L’électorat Tory suit le même mouvement de radicalisation qu’une partie de l’électorat de la droite française. Une partie des conservateurs n’a pas accepté la légalisation du mariage homosexuel, ce qui a eu quelques répercussions sur le vote UKIP ou l’abstention. De façon plus significative, l’électorat britannique exprime une crainte identitaire vis-à-vis de l’immigration et de l’islam, et une crainte économique face aux migrants venus d’Europe de l’Est (Roumanie, Bulgarie). Le sujet majeur de la radicalisation de l’électorat conservateur reste cependant l’Union européenne. Son hostilité vis-à-vis des institutions européennes est un agrégat de craintes : crainte de la perte de souveraineté, crainte de la dilution de l’identité britannique dans le fédéralisme européen.
David Cameron a vite pris conscience de ce déplacement de l’électorat conservateur et de la faiblesse que cela constituait pour lui. Retrouver des électeurs libéraux-démocrates ou travaillistes lui est impossible : les travaillistes refusent que l’austérité soit le seul horizon économique et social ; quant aux libéraux-démocrates[7], ils sont en chute libre dans les sondages.
Pour rapatrier l’électorat conservateur, David Cameron est revenu aux fondamentaux du thatchérisme : il croit la droite britannique condamnée à l’éternel retour de cette doctrine structurante. Sur le plan économique, la politique d’austérité a été maintenue. Au niveau européen, le Premier ministre britannique a lancé une offensive pour diminuer les flux migratoires et rapatrier des pouvoirs de Bruxelles à Londres. Un certain nombre de mesures ont été annoncées en ce sens : obligation sera faite aux immigrés de travailler quatre ans sur le territoire national avant de pouvoir bénéficier des crédits d’impôts ou de logements sociaux ; délai de six mois laissé à un immigré pour trouver un travail avant expulsion du territoire[8]. La plupart de ces mesures étant inapplicables dans l’état actuel des traités européens et de la jurisprudence européenne, elles ont ouvert à David Cameron la possibilité d’attaquer sur un second front : il a promis un référendum sur la sortie de l’UE après renégociation des traités européens.
Néolibéralisme, lutte contre l’immigration, défense de l’identité britannique et euroscepticisme, voilà le programme du parti conservateur. Si la dynamique du UKIP s’affaisse dans les sondages, il est encore trop tôt pour affirmer que cette stratégie fonctionne : à l’approche de l’élection, il semble que les conservateurs auront difficilement une majorité au Parlement.
[1] http://news.bbc.co.uk/2/shared/election2010/results/region/48.stm
[2] http://cdsp.sciences-po.fr/fichiers_elections25_FR/Royaume-Uni.pdf
[3] http://cdsp.sciences-po.fr/fichiers_elections25_FR/Royaume-Uni.pdf
[4] http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/05/24/percee-du-ukip-aux-elections-locales-britanniques_4425060_3214.html
[5] http://www.bbc.com/news/events/vote2014/england-council-election-results
[6] http://www.bbc.com/news/events/vote2014/eu-uk-results
[7] Aux élections européennes, les libéraux-démocrates obtiennent seulement 6.87 % des voies ne gardant qu’un siège de député
[8] http://www.lefigaro.fr/international/2014/11/28/01003-20141128ARTFIG00389-cameron-defie-l-ue-en-s-attaquant-a-l-afflux-d-immigres-europeens.php
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