C’était mieux avant…

Fondapol | 25 septembre 2012

220px-Lucien_JerphagnonDu pessimisme comme mode de pensée

Dans la première partie de l’ouvrage, réédition de son fameux C’était mieux avant, Jerphagnon nous livre sa réflexion sur la prose abondante qui déprécie le temps présent pour glorifier un passé souvent mythifié[1]. En se faisant l’archéologue, au sens foucaldien du terme, de la tournure d’esprit pessimiste, il tend à montrer son inanité. L’auteur n’en est pas moins conscient du caractère esthétique du recours au passé, qu’il illustre de magnifiques exemples.

S’il ne se veut pas exhaustif, le premier livre est ambitieux. « Beau sujet pour un intellectuel en manque, écrit Jerphagnon, que cette immense historia calamitatum, pour dire cela comme le pauvre Abélard. Mais le courage m’a fait défaut, et à présent le temps me manque, pour entreprendre quelque monumentale histoire du pessimisme, ou pour me mettre à disserter à perte de vue du pessimisme à travers les âges. Il y aurait pourtant à dire, et de quoi tirer de tout cela Dieu sait quelles généralités, à la façon « des penseurs sachant penser », comme disait Vladimir Jankélévich »[2]. S’il n’a pas produit la « somme » qu’il appelait de ses vœux, l’auteur n’en a pas moins ouvert un chantier inédit en recensant quelques textes majeurs qui constituent un début de corpus pour une recherche plus approfondie sur le pessimisme à travers les âges.

Les multiples territoires du chagrin

Avec une ironie bienveillante, Jerphagnon retranscrit les déplorations de ces aînés malheureux. Certaines touchent à l’amour : « toute douleur d’amour est destrempée/ de fiel amer, et de mortel venin » Maurice Scève, Délie, CCLXXIII » ; « comme on dit en chirurgie : son amour n’était plus opérable », Marcel Proust, Du côté de chez Swann. A la recherche du temps perdu. D’autres fustigent la nature humaine : « partout, les individus comme les Etats sont enclins à mal faire » (Thucydide, La guerre du Péloponnèse). D’autres enfin dépeignent une décadence qui semble inévitable « la mémoire entasse des horizons effondrés » (Emil Michel Cioran, Le mauvais démiurge).

Si Jerphagnon le met à distance, il reconnaît volontiers que le pessimisme, quel que soit son objet, a donné de grands textes. Sans aller jusqu’à écrire avec Alfred de Musset : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux/ Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots », le philosophe voit dans le désespoir  un adjuvant esthétique puissant.

Le pessimisme en politique

En politique, le pessimisme a donné lieu à des traits souvent amusants, toujours grinçants. On citera, dans un joyeux désordre : « Il a toujours été dans la nature de l’homme d’étendre son pouvoir sur ce qui ne lui résiste pas » (Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, IV. 12.), « Les nations n’ont de grands hommes que malgré elles », (Charles Baudelaire Mon cœur mis à nu, XL.) ou encore « On connaît, dans les grandes cours, un autre moyen de se grandir : c’est de se courber », (Charles-Maurice de Talleyrand, Mémoires).

Au fil des pages, Jerphagnon nous convainc ainsi de l’extraordinaire fécondité du pessimisme littéraire quel que soit le domaine qu’il touche. S’il nous en dévoile les charmes, c’est cependant pour nous aider à nous en prémunir. Le cynisme et la résignation guettent toujours le pessimiste.

Une excursion dans la langue latine

Dans le Petit livre des citations latines qui suit, l’auteur nous invite à l’accompagner dans une agréable promenade littéraire, où sont déchiffrées les citations issues de notre patrimoine culturel.

Les citations, ces objets équivoques

Ainsi, du fameux verba volant, scripta manent (les paroles s’envolent, les écrits restent). Jerphagnon nous explique que la richesse de cet aphorisme vient de son double sens. Dans son sens le plus immédiat, il nous invite à inscrire dans l’écrit (pour rester antique, dans le marbre) sa pensée afin d’éviter qu’elle ne se perde. Mais un second sens nous incite à la prudence : l’écrit garde les traces de tout ce qui y a été consigné.

Particulièrement actuel, vox populi vox dei (voix du peuple, voix de Dieu) nous apparaît dans toute son ambiguïté. S’il est certes dangereux d’ignorer le caractère sacré de la voix populaire, l’auteur pointe l’erreur qui consiste à convoquer l’infaillibilité divine dans le monde humain. Il y voit l’effet d’un discutable anthropomorphisme à l’encontre de Dieu mais également un prométhéisme inquiétant qui conduit à ignorer les limites du monde temporel. Errare humanum est nous rappelle une autre citation.

Actualité latine

Dans un registre plus politicien, le traitement médiatique réservé au vaincu (vae victis, « malheur aux vaincus ») de l’élection présidentiel Nicolas Sarkozy conduit immanquablement au sic transit gloria mundi (« ainsi passe la gloire du monde »). Comme le dit avec justesse Lucien Jerphagnon : « n’est plus employé aujourd’hui que pour constater, plus ou moins sincèrement, la triste disparation de quelque personnage couvert d’honneurs (toujours au pluriel), ou simplement son éviction soudaine du monde politique, artistique, littéraire, sportif, etc. »[3]. On le voit les citations latines sont d’une richesse inépuisable et d’une actualité saisissante.

Jean Sénié.

Crédit photo: Fabrice Dury


[1] Pour plus de clarté dans la compréhension nous séparons les deux livres dans la recension.

[2] Ibid. p. 18-19.

[3] Lucien Jerphagnon, C’était mieux avant… Suivi du petit livre des citations latines, Paris, Tallandier, 2012.

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