Changer l'Islam. Oui mais lequel ?

28 mars 2013

28.03.2013Changer l’Islam. Oui mais lequel ?

L’islam est-il compatible avec la démocratie? Est-il irréformable? L’ouvrage du philosophe Algérien Malek Chebel vise à donner une autre image de cette religion millénaire. Il a aussi pour objectif de combattre les prétentions hégémoniques actuelles du salafisme wahabite qui, au nom d’une pureté des origines et d’un islam éternel, a pour effet de le fossiliser et d’en occulter l’extraordinaire diversité.

Un islam en mouvement

Selon l’auteur, loin de la conception monolithique et figée des fondamentalistes, l’islam est une religion qui n’a cessé d’évoluer. Ses transformations ont été nombreuses, malgré l’interdit de l’interprétation personnelle le ijtihad, formulé au Xe siècle.

L’islam des universités

L’article « Université théologique et réforme », cite les centres intellectuels de premier plan ont renouvelé la pensée islamique. C’est le cas de l’Université la Zaïtuna de Tunis, du Lycée francophone de Galatasaray en Turquie, de la ville de Qom en Iran, d’Al-Ahzar au Caire mais aussi de l’Arabie Saoudite. L’interprétation personnelle s’y est frayée, malgré les interdits, un passage au XVIIIe siècle. Par la suite, le XX siècle a vu un intense mouvement de traduction du Coran et de construction d’écoles religieuses.

Un islam à plusieurs visages

La diversité de l’islam s’explique notamment par l’étendue géographique considérable qu’il recouvre. Qu’y a-t-il de commun entre Ahmadou Bamba M’Backé (1850-1927) mystique, fondateur de la confrérie mouride dans la région de Baol au Sénégal et le tatar Ouralien Bigi Musa Jarullah  (1875 à 1949) qui s’interrogeait avec humour sur l’heure de rupture du jeûne de ramadan dans un pays où le soleil ne se couche jamais? De même, on peut se demander ce qui rapproche l’ayatollah Khomeiny (1902-1989) à l’origine de la République Islamique d’Iran, chiite, de l’émir philosophe Abdelkader (1808-1883) chef de guerre maghrébin et sunnite.

Au-delà de la variété de ces grands religieux, le foisonnement intellectuel de l’islam se retrouve dans la diversité de ses courants de pensée. Comment comparer la Nahda, « le réveil » dont sont issus les Frères musulmans et le Jadidisme dont l’objet était de moderniser l’islam dans la région du Caucase ?

Les femmes dans la pensée islamique

Enfin la réforme de l’islam n’est pas, selon l’auteur, l’apanage des hommes. Et si les entrées concernant des personnalités féminines restent rares, Malek Chebel a le mérite de citer  Suhayr Al-Qalamawi (1911-1997) première femme à avoir intégré dès 1936 l’Université théologique Al-Azhar ainsi que la juge Iranienne Shirin Ebadi (née en 1947) Prix Nobel de la paix en 2003. Toutefois, dans l’article consacré au « féminisme » l’auteur avoue que dans son mode d’expression contestataire, ce courant de pensée reste majoritairement occidental.

Des réformateurs tous musulmans ?

Si elle montre la richesse de la pensée islamique, le choix des personnalités citées par Malek Chebel rend confuse la notion de « réformateur musulman ».

Ainsi, parmi elles, certaines ne sont pas proprement musulmanes.

Ainsi en est-il de Georji Zaydan (1861-1914) chrétien et franc-maçon, partisan du panarabisme et nationaliste égyptien. De même, Ali Muhammad Shirazi, fondateur du baha’isme (1818-1850) prône une religion qui affirme le dépassement de l’islam opéré par le retour du Mahdi. Iranien Ahmad Kasravi est certes réformiste mais positiviste. Quant à  Salama Musa (1887-1958) c’est un copte adepte d’une Égypte occidentalisée « mère du monde arabe ».

Ces choix curieux s’expliquent peut-être par la conviction non formulée de l’auteur que la réforme de l’islam peut venir tant de l’intérieur de cette religion que de l’extérieur.

De quoi l’islam est-il le nom ?

Par ailleurs, les réformateurs présents dans ce dictionnaire sont loin de s’accorder sur l’objet qu’ils ambitionnent de renouveler : l’islam est pour certains une civilisation et pour d’autres une foi. Ce clivage profond tient à la nature apparemment ambivalente de l’islam, partagé entre identité et conscience.

L’islam et la science

De même, les penseurs cités dans l’ouvrage n’ont pas la même conception du rapport de l’islam au monde profane et notamment à la science.

Certains conçoivent l’islam comme une religion englobante dont découlent toutes les sciences mêmes profanes. Pour eux, toute réforme scientifique ou technique introduite dans un pays musulman doit être accompagnée d’une réflexion théologique et exégétique. Telle était la conception des partisans des tanzimats (réorganisation de 1836 à 1876) favorables aux réformes menées dans l’Empire ottoman menacé par les ambitions occidental.

D’autres penseurs musulmans considèrent en revanche que l’islam n’est qu’un guide pour la conscience, indépendamment de l’évolution des sciences. Hamid Nasr Abu Zayd (1943-2010) estimait ainsi que le refus de l’analyse historico-critique de l’islam reflétait non une crise de la pensée musulmane mais une crise de conscience.

Le politique et le religieux

Par ailleurs, alors même que Malek Chebel  affirme dans sa préface que l’imbrication du politique et du religieux n’est pas consubstantiel à l’islam, on peut se demander pourquoi, aux côtés de nombreux théologiens lettrés, se trouvent le chef de guerre tchétchène Chamil (1797-1871) résistant contre les Russes et héros national, ou l’autocrate Zog 1er (1895-1961) ainsi qu’Attatürk.

Enfin, bien que très critique à l’égard des wahabites, Malek Chebel  cite parmi les réformateurs musulmans certains partisans d’un retour à un islam éternel, rigoriste et puritain comme le théologien fondamentaliste Indo-pakistanais Abul ‘Ala Al-Mawdudi (1903-1979).

Un dictionnaire hétéroclite

Ces choix hétéroclites reflètent peut-être le souhait de l’auteur de promouvoir, par ce dictionnaire, une réforme globale de l’islam. Il semble placer ses espoirs non pas dans une purification de la doctrine à la façon luthérienne mais dans un « aggiornamento » – à la manière d’un concile –  qui  réconcilierait modernité et tradition.

Avec ce dictionnaire, Malek Chebel s’attaque avec courage à une tâche ambitieuse. Si son ouvrage peut servir de base à une réflexion sur la réforme en islam, il ne permet pas cependant de cerner avec justesse la notion de « réformateur musulman »

Cette relative incohérence s’explique peut-être par le choix du théologien de privilégier une réforme globale et consensuelle de l’islam. Peut-être est-ce dû à la nature-même de cette religion profondément plurielle, à la fois identité et guide de conscience.

Espérons que ce dictionnaire passionnant à lire, hommage lointain aux encyclopédistes des Lumières, ne soit pas une tentative isolée.

 François de Laboulaye

Crédit photo: Flickr, Elazhar

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