Chantal Jouanno : « La génération de nos ainés a privilégié son présent sur le futur de ses enfants.»
11 juillet 2012
Est-ce que, comme le sociologue Pierre Bourdieu, vous diriez que la « jeunesse » n’est qu’un mot ?
La jeunesse reste une catégorie socialement construite : il n’y avait pas de jeunesse quand, adolescent, on pouvait avoir un enfant et travailler. Il y a aujourd’hui des problématiques différenciées : d’abord une question d’éducation et ensuite une question de transition et d’entrée dans la vie active. On promet 150 000 emplois tremplins, je considère que ce n’est pas du tout à l’échelle du problème. Il y a un enjeu structurel concernant les formations, trop souvent inadaptées aux besoins du marché du travail.
En disant qu’il faut faire une politique de la jeunesse, on stigmatise ces jeunes comme étant une population à problèmes. Or les nouvelles générations qui arrivent sur le marché de la vie active ont de plus en plus de contraintes et de moins en moins d’opportunités. La jeunesse n’est pas un problème, ce sont plutôt les ainés qui posent problème pour notre société. On porte trop souvent un regard condescendant et rétrograde sur nos jeunes. Quand on dit que les nouveaux outils utilisés par les jeunes cassent le lien social ou les mettent en échec, on ne voit pas qu’ils développent d’autres capacités. Je n’apprécie pas cette politique dite « de la jeunesse » permettant aux générations actuellement au pouvoir de ne pas se remettre elles-mêmes en question. Il faut d’abord réaliser une politique globale pour l’ensemble de la société, car la jeunesse n’est qu’une expression, parmi d’autres, des difficultés de notre pays. Ce n’est pas à la jeunesse de faire des efforts pour les adultes, mais aux adultes de faire des efforts pour la jeunesse. Cette politique de la jeunesse consiste toujours à faire des contrats au rabais, des emplois tremplins en les justifiant par le coût de ces jeunes sans expérience, à faible qualification. Mais en attendant les générations plus âgées n’ont pas à se remettre en cause…
Cela vous semble anormal de ramener partiellement l’âge de la retraite à 60 ans ?
« Jamais dans l’histoire de l’humanité des parents ont fait ainsi passer leurs intérêts avant ceux de leurs enfants. »
Ramener l’âge de la retraite signifierait que nous, adultes, ne serions pas prêts à faire des efforts pour nos enfants. Dès lors que nous sommes en bonne santé, que la durée de vie s’accroit, nous pouvons travailler plus longtemps. Les retraités peuvent participer à l’effort collectif s’ils en ont les moyens, je ne suis pas contre leur taxation. La génération de nos ainés a privilégié son présent sur le futur de ses enfants. Tant que la génération actuellement en responsabilité n’acceptera pas de faire des efforts importants pour que la jeunesse aille mieux, cela ne fonctionnera pas. Je suis très critique à l’égard de cette génération qui s’est endettée en pensant que l’avenir remboursera, qui a accumulé une dette écologique qui sera payée par ses enfants. Ces mêmes aînés aujourd’hui ont envie de profiter de leur retraite et disent qu’il ne faut pas compter sur eux pour alléger la charge qui pèse sur leurs enfants. Cette posture est sans précédent : jamais dans l’histoire de l’humanité des parents ont fait ainsi passer leurs intérêts avant ceux de leurs enfants.
S’il y a un défaut du système de formation, ne faut-il augmenter l’encadrement des élèves en embauchant davantage de professeurs ?
Les embauches programmées ne concernent pas 62 000 enseignants, mais des postes aux profils plus vastes.Cette mesure n’est que du pur clientélisme à l’égard des syndicats !
« La méritocratie doit permettre à chacun de réaliser son propre talent en acceptant que nous n’en avons pas tous autant. »
Nous avons pourtant montré, avec Luc Chatel, que depuis les années 1990 le nombre d’élèves a nettement baissé, d’environ 500 000, tandis que le nombre d’enseignants a augmenté de plus de 30 000. Pourtant, dans le même temps, notre niveau scolaire est resté dans la moyenne inférieure des pays de l’OCDE ! C’est un problème de massification de l’Education nationale. Je considère qu’il faut au contraire individualiser et pratiquer une meilleure méritocratie. Ce n’est pas un problème de moyens mais un problème de disponibilité, d’adaptation et d’application du principe de discrimination positive. La méritocratie doit permettre à chacun de réaliser son propre talent en acceptant que nous n’en avons pas tous autant. Cela signifie ne pas confondre égalité et égalitarisme : cette méritocratie égalitariste que je défends ne correspond pas à l’égalité pure et parfaite mais à l’égalité opérationnelle et concrète.
La réforme sur le mariage et l’adoption aux homosexuels figurait parmi les engagements de campagne de François Hollande, encouragez-vous la promotion d’une telle mesure?
J’ai toujours été favorable à ces principes, Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs été très ouvert sur ces sujets en 2007. J’y suis favorable pour une raison inhérente aux valeurs de la droite, à savoir le primat de la liberté individuelle qui me pousse à considérer que le rôle de l’Etat doit être limité à ce qui touche à la sécurité et l’intérêt général. Au nom de ces principes, je ne vois pas en quoi vivre en couple homosexuel porte atteinte à l’intérêt général, sinon pour des considérations religieuses, des valeurs traditionnelles qui ne sont pas en soi des valeurs politiques. Au nom de la liberté individuelle et de la limitation de l’Etat, je souhaite que chacun ait les mêmes droits. Il n’y a pas de raison pour qu’il y ait un droit différencié entre les hétérosexuels et les homosexuels.
« Il n’y a pas de raison pour qu’il y ait un droit différencié entre les hétérosexuels et les homosexuels. »
Avec l’adoption se pose ensuite la question du « droit à l’enfant ». Elle se pose aussi pour les hétérosexuels lors de la procréation médicalement assistée. C’est un débat que nous n’avons jamais résolu. Le droit à l’enfant est contraire à toutes nos valeurs, un enfant n’est pas un jouet. Sur la question de l’adoption, un célibataire peut adopter : c’est difficile d’expliquer à un enfant qu’il peut avoir deux papas, c’est aussi difficile d’expliquer qu’il ne peut en avoir qu’un.
La gauche et la droite se prononcent majoritairement contre la légalisation du cannabis, alors que les Français semblent plus ouverts à un grand débat. N’y a-t-il de ce point de vue, un décalage entre l’opinion et les gouvernants ?
Il y a un vrai débat à avoir sur tous les produits addictifs pour expliquer pourquoi on fait une distinction entre l’alcool, qui crée des troubles de dépendance et des dégâts physiques, et le cannabis. Ce sont deux drogues : pas d’hypocrisie, il faut avoir un débat rationnel. La dépénalisation du cannabis est un débat de valeurs, la drogue fait des ravages majeurs : la dépénalisation pourrait laisser à penser qu’on accepte la drogue. La dépénalisation que je défends consiste à dire qu’on ne sanctionne pas pénalement un consommateur à usage limité, car la procédure est lourde et aucun juge ne mettra en prison quelqu’un arrêté pour avoir fumé un joint. Il faut mieux sanctionner un consommateur de manière limitée, par une contravention. Aujourd’hui le débat est trop clivé pour que cela soit fait de façon rationnelle. Au ministère de l’Intérieur, j’ai milité pour qu’on dépénalise la consommation quotidienne afin de pouvoir la sanctionner systématiquement par une contravention. Si un jeune accumule des contraventions à 30 euros cela le dissuadera de consommer davantage. Mais il faut par ailleurs conserver la pénalisation sur le commerce pour tous les trafiquants.
Propos recueillis par François Dorléans
Crédit photo: Fondapol
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