Chinafrique ou Bricafrique ?
Fondapol | 14 janvier 2012
Julien Bokilo, La Chine en Afrique, Paris, L’Harmattan, 92 pages, 11€50
La Chine est-elle un épouvantail ou un moteur de développement pour développement des économies africaines ? En trois essais, Julien Bokilo décrypte les stratégies économiques de Pékin en Afrique et fait le point sur la compétition féroce qui s’engage entre anciens et nouveaux partenaires du continent noir.
L’ordre mondial se modifiant, les Occidentaux observent avec inquiétude l’arrivée de nouveaux acteurs sur des marchés qu’ils contrôlaient jusqu’à présent. Au premier rang des concurrents se trouvent les fameux BRICS – acronyme créé par l’économiste de Goldman Sachs Jim O’ Neill en 2001 pour désigner les puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ce sigle synthétique, utilisé hier par les investisseurs pour orienter leurs placements financiers désigne aujourd’hui des acteurs autonomes, conquérants, dont les dirigeants se réunissent au moins une fois par an et qui forment un nouvel axe de puissance. Ces pays comptent 40% de la population de notre planète, devraient importer plus de biens que les pays « riches » à partir de cette année et d’ici trois ans assurer entre 60 et 65% de la croissance mondiale.
L’Afrique, point de fixation de la compétition entre nouvelles et anciennes puissances
Au cœur de cette nouvelle donne géopolitique et économique, l’accès aux ressources africaines est devenu l’un des principaux points de fixation de la rivalité entre anciennes et nouvelles puissances, toutes avides de trouver sur le continent noir les matières premières dont leurs économies ont besoin. Parmi les nouveaux colosses, la Chine se taille la part du lion. Son enracinement en terre africaine préoccupe, voire inquiète. Selon Julien Bokilo, socio-économiste à l’EHESS, ce discours alarmiste doit être nuancé. Si la présence et l’agressivité de la Chine sur ces nouveaux marchés sont avérées, ses intentions ne sont pas si hégémonistes, ni ses succès aussi formidables et menaçants que ne le fait croire une certaine presse.
La riposte occidentale
Au cours des cinq dernières années, les pays occidentaux ont pris conscience que la politique africaine du gouvernement chinois, destinée notamment à garantir l’accès aux ressources du continent noir, est devenue une menace pour leurs propres intérêts. Washington et Paris, chacun selon son budget et ses ambitions, cherchent à réagir en resserrant leurs relations avec les gouvernements et des lieux de pouvoir locaux.
Selon l’auteur, la France, si elle souhaite poursuivre ses investissements économiques et culturels en Afrique, doit comprendre que le temps de ses monopoles et ses relations privilégiées est passé. Seule une politique extrêmement volontariste semblerait pouvoir inverser cette tendance. Selon Julien Bokilo, une voie européenne commune offrirait quelques solutions, mais semble bien lointaine. Dans leur conquête des marchés et des esprits, les Etats-Unis s’appuient quant à eux sur leurs avancées techniques, sur l’activisme de leurs lobbies afro-américains mais surtout sur les mouvements religieux conquérants, évangélistes en tête. Washington utilise désormais à plein ces acteurs privés qui « colonisent les milieux gouvernementaux africains … en situation de faiblesse politique ou humanitaire » (p. 58-59).
Le défi du pragmatisme chinois
Depuis le début des années 2000, l’intérêt de la Chine pour l’Afrique s’est intensifié, comme en témoignent les visites successives du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao dans les deux tiers des pays africains et la mise en place d’un Forum bilatéral de discussion sino-africain (FOCSA). Les résultats sont impressionnants : les entreprises chinoises, de plus en plus souvent, dictent leurs propres conditions dans les contrats d’exploitation des ressources africaines.
La stratégie chinoise s’appuie tout d’abord sur les connivences idéologiques héritées du mouvement tiers-mondiste et, dans certains pays, de l’appartenance à l’ancien bloc communiste. Pékin utilise surtout son nouveau poids diplomatique et économique avec un pragmatisme qui lui réussit. A la différence des puissances occidentales, Pékin n’accompagne jamais ses propositions d’exigences éthiques. A cet égard, l’ascension chinoise représente un défi idéologique pour l’Occident car elle montre que la réussite économique n’accompagne pas nécessairement la démocratie.
Un jeu à somme nulle pour les populations
Pour les gouvernements africains, le réalisme chinois a de quoi séduire : n’exigeant aucun gage de bonne gouvernance ni de démocratie, Pékin soutient les gouvernements en place et leur permet de combler leur retard dans le domaine des infrastructures. Les populations locales profitent peu de la présence chinoise. La corruption est un fléau endémique et aucun des pays africains n’a pu ou su pour le moment convaincre la Chine d’opérer des transferts de technologie ou la formation des populations autochtones. Cette carence est perçue comme une opportunité par les autres puissances émergentes, l’Inde en tête, pour, par ce biais, réussir à entrer en concurrence avec Pékin.
Des succès à nuancer
Julien Bokilo et son préfacier Thierry Pairault dressent un tableau nuancé des succès chinois. Certes, le volume relations commerciales sino-africaines a été multiplié par 20 dans les dix dernières années et les exportations chinoises vers l’Afrique par douze dans le même temps. Certes entre 800 000 et un million de Chinois travaillent déjà sur ce continent pour plus de 900 entreprises de toutes tailles. Cependant, la Chine n’a, selon les auteurs que les moyens limités d’un pays en voie de développement. L’importance de son économie ne suffit pas pour l’instant à en faire une puissance géopolitique. Ainsi le fait qu’elle « puisse jouer un rôle de plus en plus important dans l’économie mondiale ne signifie pas qu’elle puisse ipso facto convertir sa course aux matières premières et aux débouchés en une stratégie de domination systématique des autres États, en particulier africains » (p.9-10).
En comparaison avec l’hégémonie des États-Unis ou des Européens sur le continent noir, la présence chinoise paraît encore bien limitée. 60% des importations et des exportations avec l’Afrique sont le fait d’entreprises installées en Chine. Autrement dit, la plupart des matières premières acquises en Afrique sont transformées sur le sol chinois, pour être ensuite consommées par les pays occidentaux. Ces chiffres montrent que la Chine si elle s’est affirmé sa puissance dans les échanges internationaux n’a pas réussi son implantation locale. Cette dernière devient d’ailleurs de plus en plus difficile, Pékin pâtissant d’une image de prédateur indifférent au développement social des pays fournisseurs.
L’avenir aux Brics ?
Les critiques formulées contre la Chine portent ainsi moins sur son influence commerciale que sur ses méthodes. Les trois essais de Julien Bokilo, qui s’appuient sur l’exemple de la République du Congo, montrent l’évolution rapide des relations entre l’Afrique et ses différents partenaires économiques. Ils dénoncent surtout la grande ignorance du public occidental par rapport à ces changements. Assez technique et très bref, trop peut-être, l’enquête de M. Bokilo reste très synthétique sur les raisons géopolitiques qui motivent les choix économiques de chacun des acteurs. Il n’en dresse pas moins un portrait stimulant d’un continent dont les ressources et le développement naissant aiguisent l’appétit des grandes puissances économiques. Cette lutte d’influence annonce un affrontement plus important encore. A brève échéance, l’ensemble des pays émergents – l’Inde et le Brésil sont déjà présents – remettront en cause les équilibres du continent noir mais surtout le cadre économique et éthique qui a marqué la société internationale depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
David Vauclair
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