Cinecittà World : Le parc d'attractions en hommage au cinéma italien

Fondapol | 07 juillet 2014

Cinecittà World : Le parc d’attractions en hommage au cinéma italien

Tribune publiée dans Le Figaro, le 2 juillet 2014

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Par @jeanmarcgonin,

Plutôt péplum ou Bollywood ? Western ou gangsters ? Guerre des étoiles ou bataille sous-marine ? A Cinecittà World, on peut être tout cela à la fois. Aux portes de Rome, sur le site des anciens studios du producteur Dino de Laurentiis (surnommés Dinocittà), ouvrira à la mi-juillet un parc d’attractions tout entier dédié au cinéma.  Un concept inédit où le visiteur devient lui-même acteur sur d’inattendus plateaux de tournage. Nous ne pouvons en dire plus sous peine de trahir un vœu de silence…

Depuis la Pontina, la route nationale qui relie la capitale au bas Latium, on aperçoit de loin le pylône d’une cinquantaine de mètres qui surgit du dos d’un éléphant. Le pachyderme, lui-même haut d’une vingtaine de mètres, a toutes chances de devenir l’emblème de Cincittà World. Orné comme pour une parade de maharajah, l’animal fait plus vrai que nature. L’œil, la peau, les défenses ont été réalisés avec un souci du détail digne des studios romains. Et pour cause ! Il est né sur la planche à dessin du plus fameux décorateur de cinéma italien : Dante Ferretti.  Pasolini, Fellini, Bellocchio, Scola, Risi, Comencini, Ferreri ont tous fait appel à lui. Et, bien sûr, les Américains Tim Burton et  Martin Scorsese (déjà huit films ensemble et un actuellement en tournage), collaborations qui lui vaudront trois Oscars pour Sweeney Todd, Aviator et Hugo Cabret. Il a également décoré Le nom de la rose de Jean-Jacques Annaud ou Les aventures du baron de Munchausen de Terry Gilliam. C’est donc à ce maître de l’illusion, ce roi du trompe l’œil, cet as de la coulisse que les promoteurs du parc ont confié les créations les plus pittoresques.

Le maestro pose volontiers devant  « son » éléphant.  « Il est beau, non ?», demande Dante Ferretti, mi fier mi anxieux. En visitant le parc à ses côtés, on prend toute la dimension du faux dilettante. Cet homme qui sillonne le monde au gré des plateaux de tournage – il devait rejoindre Scorsese à Taiwan sur le tournage de Silence le lendemain de notre rencontre – ne sait plus tout à fait où il habite : « Rome, Londres, New York, Hollywood, …» Chaussé d’élégants souliers montants marron, vêtu d’une chemise bleu marine bordée de tissu à fleurs, des lunettes noires sur le nez, il arpente le chantier en voie de finition en parlant avec les techniciens. Un salut courtois pour chacun, une plaisanterie ou deux …et un œil de laser. Devant l’énorme bouche inspirée du film italien Cabiria, Dante Ferretti s’arrête. « Les statues sont trop dorées, lance-t-il soudain. Je les veux couleur bronze. Il faut les repeindre. » Un des responsables des travaux acquiesce. « On s’en occupe ».

Tous les visiteurs de Cinecittà World entreront par la bouche du monstre. C’est même lui qui les accueillera à leur arrivée. Depuis le parking bordé de pinèdes, ils franchiront un portail blanc copie de la célébrissime entrée des studios de Cinecittà à Rome pour s’engouffrer immédiatement dans les entrailles du monstre de Cabiria. « C’est un rappel des origines du cinéma italien, dit Dante Ferretti. Un film de 1914, le premier à mettre en scène l’Antiquité romaine. » Tourné à Turin par Giovanni Pastrone à partir d’un scénario de Gabriele d’Annunzio, ce pionnier des péplums met en scène la deuxième Guerre punique. On y voit Hannibal et ses éléphants dans les cols des Alpes et Archimède avec ses miroirs.

Après être passé sous l’inquiétant monument antique, les visiteurs abordent Main Street. Aux cinéphiles, la rue principale rappellera celles de Gangs of New York, elles-mêmes inspirées des façades aux piliers de fonte du quartier de SoHo. La magie du septième art agit, le talent des ouvriers italiens fait le reste. On n’est ni dans le kitsch de certains parcs, ni dans le bas de gamme d’autres reconstitutions, la ressemblance avec  Greene Street ou le bas de Broadway est frappante. Main Street, c’est aussi les boutiques et des restaurants où les visiteurs seront servis non par des figurants en costume mais par des « techniciens » de cinéma, comme il est écrit au dos de leurs chemisettes bleu ciel. D’après quelques indiscrétions, à un certain moment des repas, ils devraient même remplacer le plateau de service par des claps de tournage. Quand la cène devient scène…

Main Street débouche sur une vaste esplanade, cœur de Cinecittà World. Un mur d’images montre les « tournages » en cours sur chaque attraction. Devant les hauts bâtiments des studios, structures historiques de Dinocittà, des jeux d’eau aux couleurs changeantes composent un parterre féérique et rafraîchissant.   A gauche, des ruines romaines imitent la pierre blonde à la perfection. Forums et thermes de la Ville éternelle ne sont qu’à quelques dizaines de minutes de route : leurs répliques en version Ferretti sont à la hauteur. Entre ces colonnes tronquées, ces chapiteaux écroulés, ces arches brisées, circulent des barques décorées de charmantes sirènes qu’un empereur aurait pu commander pour décorer sa villa. Les embarcations effectuent un circuit sur rail pour terminer dans une pièce d’eau en soulevant des gerbes qui éclaboussent leurs passagers ravis.

Pour compléter la touche Rome antique, abrité derrière une longue colonnade, le plus grand restaurant du parc invite à la table de Lucullus. Comme au 1er siècle avant Jésus-Christ, on peut manger allongé  – n’ayez crainte, la plupart des tables sont équipées de chaises classiques  – comme un patricien drapé dans sa toge. En revanche, aucun esclave n’est là pour apporter les plats. Le restaurant est en self-service.

On continue la visite par un des chefs d’œuvre de Dante Ferretti : un vaisseau spatial gris aux contours anguleux qui ne détonerait pas dans Star Wars. Le décorateur l’a si bien réussi que les dessins du projet ont été récemment exposés au musée d’art moderne (Moma) de New York. A l’intérieur de cette structure de la taille d’un avion de ligne, se dissimule la gare de départ d’un grand huit vertigineux où s’enchaînent descentes et loopings à grande vitesse. Ames sensibles s’abstenir. De son propre aveu, le décorateur explique qu’il n’a jamais eu à travailler sur un film de science-fiction.  A contempler son vaisseau spatial, on le regrette.

Comment pourrait-il en être autrement ? Le western spaghetti a évidemment trouvé sa place au fond du parc. Maison en planches dotées de porches soutenus par de fines colonnes, un saloon, un magasin, un entrepôt, une chapelle de bois gris cernée par les croix du cimetière. Sergio Leone y serait dans son élément. Une sonorisation de pointe élaborée par la société américaine Bose diffuse les plus célèbres musiques de western par de petites enceintes dissimulées dans les maisons. Le saloon pourrait accueillir Clint Eastwood, Charles Bronson ou Henry Fonda. Le mythe vit sous nos yeux. On guetterait deux cowboys face à face prêts à dégainer,  l’immanquable duel au soleil. Mais une fois de plus, les facétieux concepteurs du parc prennent le visiteur-acteur par surprise. Les assaillants ne sont pas du tout ceux que l’on attendait. Mais, chut, on a juré de ne pas en dire plus.

Après Il était une fois dans l’Ouest, on s’enfonce sous les mers. Vestige du Cinecittà historique, la réplique d’un sous-marin italien passé au service de la flotte impériale japonaise et qui fit l’objet d’un film, s’étale de tout son long. Le public peut ainsi apprendre comment une caméra de cinéma capture dans son cadre les plans serrés nécessaires à la reconstitution de la vie à bord dans l’espace exigu d’un submersible.  Vu de l’extérieur, le bâtiment a l’air d’un tube un peu rustique. Mais à l’intérieur, on  a l’impression de pouvoir lancer des torpilles contre un navire de surface.

Deux des immenses hangars où furent tournés tant de films ont été recyclés, l’un en salle de spectacle, l’autre en écrin contenant un grand huit qui transporte ses passagers dans le noir complet jusqu’au moment – terrifiant – où il traverse les flammes de l’enfer. Le troisième hangar attend la prochaine tranche du parc pour dévoiler son contenu : un projet onirique que les promoteurs tiennent encore à garder secret.

Au milieu de ce bouillonnement créatif, de ce fourmillement d’ouvriers peaufinant les derniers détails, dirigeant la manœuvre de main de maître : un Français. Emmanuel Gout, 55 ans, ancien du groupe Berlusconi et de Canal+, travaille dans les anciens bureaux des studios de Laurentiis.  Le sien est comme la passerelle d’un navire. Réunions avec les actionnaires – dont le plus important n’est autre que Diego Della Valle, président du chausseur Tod’s qui détient un tiers du capital de Cinecittà World -, visites du chantier, coups de fils incessants, arbitrages de dernière minute : tout aboutit chez lui. En ces dernières semaines avant l’ouverture, Emmanuel Gout dort sur place dans un des chambres que le producteur star avait fait aménager dans les années 60. De sa longue silhouette, se dégagent une énergie et un enthousiasme inépuisables. Il en faut. Le « direttore », comme on l’appelle ici, en possède à revendre. Car ce parc d’attraction est devenu son bébé. Au côté du véritable père du projet, Luigi Abete, qui dirige la Banca nazionale del Lavoro après avoir présidé le patronat italien, il a mis une dizaine d’années à faire sortir de terre Cinecittà World. En démêlant au passage des situations foncières complexes et des questions de droit qui semblaient inextricables. Sans oublier les méandres de l’administration italienne  avec laquelle il faut déployer des trésors de doigté et de patience.

Après avoir été chargé de la privatisation de Cinecittà – qui avait absorbé les studios de Laurentiis entre temps -, Luigi Abete a compris tout le parti qu’il pouvait tirer du site. « Aujourd’hui, nous avons beaucoup de temps libre, constate-t-il. Mais, souvent, nous avons l’impression de mal l’utiliser. A Cinecittà World, je veux que les gens optimisent leurs loisirs. Qu’ils en ressortent comblés. » Car le parc n’en est qu’à sa première tranche. Dans les années qui viennent, il sera complété par d’autres attractions, ainsi que par une zone hôtelière. Mieux : les vastes terrains qui l’entourent ( 75 hectares) vont être conservés dans leur état naturel, seulement aménagés de sentiers et d’une piste cyclable pour en faire une sorte d’écoparc baptisé Cinecittà Nature. Ainsi les vallons boisés où furent tournés, entre autre, les plans extérieurs de La bataille de Waterloo du cinéaste soviétique Sergueï Bondartchouk, serviront à apaiser des citoyens stressés. En outre, les plages d’Ostie ne se trouvent qu’à une poignée de kilomètres de Cinecittà World.

Selon Emmanuel Gout, Cinecittà World vise 1,5 millions de visiteurs  par an. Il compte, bien entendu, sur la proximité des deux grandes métropoles italiennes que sont Rome et Naples – qui est à moins de deux heures de route. Mais aussi sur les masses de touristes qui passent par Rome et y effectuent des séjours moyens plus brefs que dans d’autres capitales, notamment Paris. « Une visite à Cinecittà World, c’est une nuit d’hôtel en plus, dit-il. Un véritable gain pour l’activité touristique. »  Le parc profitera également d’une situation géographique favorable. Les deux aéroports romains sont proches, tout comme les deux escales de bateaux de croisière, Ostie et Civitavecchia. Enfin, l’Outlet Castel Romano, où l’on achète des articles de grandes marques de mode à prix cassés, se trouve juste à côté du parc. La même bretelle de la voie rapide dessert les deux sites. Fréquenté par une nombreuse clientèle internationale, c’est déjà un must pour les touristes fashionistas.  Reste à marier attractions et shopping et mettre en place des navettes communes afin d’acheminer les clients depuis le centre de Rome.

Une sorte de fusion entre La Cité des femmes et Hugo Cabret.

Twitter : @cinecitta_world

Retrouvez l’intervention d’Emmanuel Gout lors de l’événement « Le Progrès c’est nous »


Le progrès, c’est nous! Emmanuel GOUT par fondapol

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