« Contre les technosciences » (2) : mouvement citoyen ou radicalisme militant?

Fondapol | 29 juillet 2011


29.Le contenu de cet article est développé dans la note du même auteur, Contester les technosciences : leurs réseaux, publiée par la Fondation pour  l’innovation politique.

Les arrachages de plants d’OGM, comme les manifestations contre les antennes-relais ou les protestations  face  aux  nanotechnologies participent d’un vaste mouvement de contestation de certaines évolutions technologiques.  Derrière les causes défendues, il existe une grande diversité d’acteurs, provenant d’horizons, de cultures et de sensibilités  politiques différentes. Cette mouvance « anti-technoscience » va de simples citoyens  sans appartenance politique aux  franges extrêmes de la  gauche radicale. Sans préjuger de la légitimité des combats menés par cette mouvance, il peut être utile d’interroger les motivations des différents acteurs qui la composent. Quelles sont les origines historiques de ce mouvement,  les idéologies auxquelles il se rattache  et les réseaux sur lesquels il s’appuie ?

Une histoire en trois temps : anti-industriel, antinucléaire, anticapitaliste

Les mouvements anti-technologies s’inscrivent dans l’héritage de deux doctrines britanniques datant du XIXème siècle : le luddisme et le chartisme. Leur objectif était de libérer l’homme de l’asservissement que lui imposait l’outil industriel naissant, en utilisant notamment l’action directe.  Ce courant anti-industriel a ensuite  été enrichi  par le mouvement anti-nucléaire et  par la conversion d’une partie de la gauche  marxiste à l’écologie.

A l’orée des années  1970, le nucléaire civil suscite des contestations. Cette période est marquée par la convergence des  expériences anti-industrielles et antinucléaires. Les premières marches  contre  le nucléaire civil ont  lieu en Angleterre et en France dès 1971. La même année,  le mouvement Greenpeace, l’un  des  noyaux de  la contestation antinucléaire est  fondé.

Cette  contestation, d’abord limitée au nucléaire et à la préservation des espèces protégées, se transforme au cours  des années 1980. Ainsi, l’effondrement du bloc de l’Est oblitère la critique du communisme  pour  laisser place uniquement à lacritique de la démocratie libérale. Dès lors,  « l’ennemi  commun   » change  de  camp  pour  devenir le capitalisme. Une partie de la gauche marxisante se rallie dès lors à l’écologie et surtout à la critique  de la société industrielle.

L’altermondialisme, dernière matrice de la contestation des technologies émergentes

L’altermondialisme, formé  à la suite  de la chute  du mur de Berlin, a constitué une autre matrice du  réseau  disparate  mais  structuré des  « anti ».  Ce solide courant se trouve à la confluence  de deux réseaux militants historiques : les «chrétiens progressistes » d’un côté, et les tiers-mondistes de l’autre. L’Association pour  la  taxation des transactions financières  pour  l’aide au citoyen  (ATTAC) est l’un  des  fruits  de cette  convergence.

Les motivations des opposants à la « technoscience »

Héritier de cette histoire complexe, le mouvement de contestation des technologies émergentes se compose d’acteurs aux motivations diverses. Une partie de ces militants est formé de citoyens qui, au nom du principe de précaution, s’alarment des dérives possibles de la technologie et de ses impacts sanitaires et environnementaux. Les autres membres du mouvement inscrivent leur action dans diverses traditions idéologiques.

Ainsi, les écologistes mettent avant tout en avant les principes de protection de la nature et de l’environnement. Une famille de tradition libertaire et anti-industrielle, voit, quant à elle, dans les transformations technologiques les ombres du totalitarisme –la science moderne pourrait tout contrôler ! – une modification et une rupture fondamentales dans l’équilibre entre l’homme et l’économie, au profit de cette dernière. Un dernier courant est composé de post-léninistes. Après avoir longtemps défendu un modèle industrialiste, ces militants ont changé de discours, se convertissant  à l’écologie, qu’ils doublent de la critique du système économique libéral.

Une architecture en réseaux

Le mouvement de contestation  repose sur un fonctionnement en réseaux, qui   agissent  de  manière  coordonnée dans  une  même  direction, sans  que toutefois cela entraîne forcément une hiérarchisation entre  eux.  Les réseaux se complètent et, comme  ils sont sur le déclin, s’entraident.

Ainsi, au sein du courant altermondialiste, l’Association  pour  la taxation des  transactions  financières  pour  l’aide  aux citoyens (ATTAC)  n’apparaît pas, de  prime abord, comme  un des acteurs  centraux dans  l’action  contre  les nouvelles technologies. Cependant, toute  une partie de son programme repose sur la mise en équation de la justice sociale avec les menaces liées aux nouvelles technologies ; elle épaule, qui plus est, chacune des actions de cette mouvance.

L’inquiétude face à la technique, véhicule d’un néo-marxisme en quête de combat ?

Un deuxième réseau  est la mouvance marxisante. Depuis  deux décennies,  cette  dernière   a  perdu   de  sa  superbe et  de  son  fonctionnement centralisateur. En revanche, elle a maintenu son audience dans  les sphères  universitaires et  médiatiques  en  instrumentalisant la contestation  citoyenne. Dans un  souci  de  pragmatisme, les militants, qu’ils  soient  communistes ou  trotskistes,  s’adaptent aux  contestations de la société et en reprennent les slogans  et les modalités d’action. Dans cette perspective, elles épousent et soutiennent certaines associations de  lutte  contre  les nouvelles  technologies,  principalement celles qui  touchent à l’environnement et à  l’agriculture.

La Fondation  Copernic, alors  dirigée  par  le sociologue trotskiste Willy Pelletier, membre  du bureau politique de la LCR, a ainsi proposé de « marier  le rouge  et le vert  ».  Le PCF et le Front  de gauche ont suivi le même chemin, en se convertissant  tous  les deux  à l’écologie  en raison  du caractère attractif de la cause. Dans ces derniers  cas, l’association entre défense de la terre et lutte contre les essais génétiques s’effectue sur la base d’une  dénonciation du  capitalisme.

Agriculture militante

La Confédération  paysanne, et plus marginalement, le Mouvement de défense  des exploitants familiaux (MODEF), constitue le troisième point  d’appui  de ces réseaux  militants. Implantés dans  le  monde  rural, ces organisations trouvent néanmoins des relais dans  les structures des centrales  syndicales de salariés  comme au sein de l’Union syndicale solidaire – Syndicat unitaire démocratique (USS-SUD) ou de la Confédération générale du travail (CGT) ; ceux-ci répercutent les préoccupations des paysans  et, de fait, servent  de lieux de réception et de diffusion  de la contestation dans certains  milieux. Nombres  d’actions  de la Confédération Paysanne contre les OGM sont d’ailleurs soutenues par ces organisations.

Ainsi, depuis la chute du  mur de Berlin, une redéfinition des formes d’opposition aux transformations de la société industrielle s’est opérée. Auparavant, les composantes évoquées plus haut s’opposaient de manière séparée à ces transformations. Aujourd’hui, en raison du déclin des idéologies et de la montée en puissance des inquiétudes citoyennes, ces mouvements travaillent d’avantage en collaboration, les uns affichant uniquement des objectifs citoyens, alors que pour les autres il s’agit de l’utilisation de ces inquiétudes au profit de la construction d’un projet global de société.

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme et de l’anarchisme et enseignant dans le secondaire.

Crédit photo : Flickr, reflets de vert

 

 

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