Darknet : mythes et réalités.

14 mars 2018

 

« Aux yeux du grand public, toujours friand de sensationnel, le Darknet n’est qu’un espace sinistre, au service des crapules en tout genre. Pourtant, il est bien plus que cela. Le Darknet est un ensemble diversifié, à la fois sombre et lumineux, où se croisent truands, geeks, activistes et dissidents ». Jean-Philippe Rennard, docteur en économie et professeur à l’Ecole de Management de Grenoble, lève le voile sur un terrain aussi inquiétant que méconnu : le Darknet. Quelles sont les technologies qui permettent le fonctionnement de cet environnement parallèle ? Des réseaux pair-à-pair, au chiffrage à clé publique en passant par les mixnetsTorFreenet ou Telegram, la finalité est la même : échapper au contrôle, sortir des radars. Cette révolution technique est portée par des choix sociaux, pour un internet toujours plus libre.

Des darknets au Darknet.

 

« Quoi de plus attirant à l’heure d’internet triomphant que de présenter ces recoins cachés, où les vendeurs de drogues côtoieraient aussi bien les multiples tenants des théories du complot, que des terroristes, des tueurs à gages ou des marchands d’armes. Quoi de plus vendeur que d’évoquer les « films nécrophiles », ou les « livres de cuisine anthropophagique que l’on y trouverait ».

 

C’est le goût du grand public pour le sensationnel et l’horreur qui fait que le Darknet est essentiellement connu pour ces aspects les plus sombres. Mais le Darknet ne peut plus se réduire à la désormais disparue « Silk Road », marché en ligne de stupéfiants. Non, le Darknet n’est ni une réalité univoque, ni un environnement monolithique. Le Darknet, c’est une collection d’outils, qui, comme tous les outils, peuvent servir des desseins plus ou moins louables. Et les confusions sont multiples lorsqu’il s’agit du Darknet ; le grand public a de plus en plus de mal à se retrouver au milieu de ces outils qui servent tantôt la liberté d’expression, le piratage, la protection des contenus, ou encore les trafics divers et variés en ligne. Le Darknet, c’est donc « un ensemble de réseau et de technologies utilisés pour partager du contenu numérique. Le Darknet n’est pas un réseau physiquement distinct, mais bien des protocoles de transmission qui fonctionnent au sein des réseaux existants ». Le Darknet suppose donc l’usage de l’infrastructure internet, l’existence d’un protocole spécifique permettant la mise en place d’un sous-réseau et enfin, une architecture décentralisée de type pair-à-pair.

 

Les outils du Darknet : Open source, GNU/Linux.

 

Au delà de la notion fondatrice de « Mixnet », le Darknet s’articule autour de grands réseaux comme Tor ou Freenet, mais aussi d’environnements plus confidentiels, tels que GNUnet ou Hyperboria. Ces logiciels et environnements permettent en outre de communiquer, d’échanger secrètement, des mails, des messages instantanés, et bien entendu des fichiers. Au sein des ces nombreux outils, certains permettent de rendre anonyme l’accès aux ressources habituelles d’Internet, tandis que d’autres forment un écosystème fermé, isolé des espaces en ligne communs. Les outils les plus célèbres rassemblent des millions d’utilisateurs lorsque d’autres, beaucoup plus confidentiels, regroupent de toutes petites communautés. Les grands logiciels open source (FirefoxLibre OfficeVLCThunderbird) ont changé le paysage informatique en brisant les monopoles, comme celui de Microsoft Explorer. Ces logiciels gratuits et développés par des communautés, mettent tous à disposition leur code source. Une ouverture qui est à la fois une force et une faiblesse, puisqu’elle ne garantie par la sécurité du logiciel comme l’a montré la faille Heartbleed au printemps 2014. Les outils du Darknet existent dans tous les grands systèmes d’exploitation, dont Windows et Mac Os. Pas d’obligation de passer par Linux, même si, son recours est préférable pour préserver son anonymat pour trois raisons principales : les outils de sécurité sont le plus souvent développés pour Linux, les portes dérobées présentes sur certains logiciels ( elles permettent pourraient, par exemple, d’enregistrer tout ce que vous tapez sur votre clavier), et enfin la dimension open source de Linux. La NSA avait tenté d’y introduire une porte dérobée qui, dans un environnement de code ouvert, n’est pas passé inaperçue bien longtemps au sein de la communauté des utilisateurs. Parmi les autres outils permettant de protéger l’anonymat, les proxies web (des serveurs mandataires) jouent le rôle d’intermédiaire entre l’ordinateur et le serveur consulté. Les VPN (Virtual private network) sont des logiciels qui permettent à un ordinateur distant de se connecter à un réseau privé, comme le réseau internet d’une entreprise par exemple. D’autres logiciels beaucoup plus avancés et complexes, comme les mixnets, proposés par David Chaum en 1981, se définissent comme « une technique basée sur la cryptographie à clé publique, qui permet de construire un système de courrier électronique qui cache quel participant communique avec qui, aussi bien que le contenu des communications ». Enfin TOR, «  The Onion Router », bien connu du grand public, était à son origine un projet militaire. Pour accéder au réseau TOR, il suffit d’installer le TOR Browser, une adaptation de Firefox. Peu importe le système d’exploitation utilisé, il s’installera comme n’importe quelle application. Tor est un mixnet : au lieu d’offrir une connexion directe entre l’utilisateurs et le serveur, il utilise un ensemble de relais, chacun ne connaissant que son prédécesseur et son successeur direct.

 

Les usages du Darknet : entre noirceurs et libertés.

Par essence, le Darknet est un espace secret, dissimulé, mais aussi un carrefour où se croisent des populations aux usages opposés. « Deux grands types de populations y trouvent une place, ceux qui se livrent à des opérations illégales en tout genre et qui cherchent donc à se dissimuler des autorités ; et les dissidents, les journalistes et autres activistes, pour qui il est un outil au service de la liberté d’expression ». Un monde qui oscille entre noirceurs et libertés, des plateformes de ventes de stupéfiants aux offres de services les plus macabres. Le Darknet est aussi un outil au service de la dissidence de la liberté d’expression. De Wikileaks à l’affaire Snowden, en passant par les « kits de survie numérique » de Reporters sans Frontières, le Darknet se veut également un chemin, une voie nouvelle dans la quête de transparence et de liberté du net.  Pour une grande partie de l’opinion publique, avoir recours à des outils tels que TOR, c’est forcément avoir quelque chose à cacher. Mais que dit la loi ? L’utilisation de TOR est tout à fait légale. La directive européenne 2000/31/CE du 8/6/2000, transposée en droit français dans l’article L32-3-3 du code des postes et Communications Electroniques, précise que « toutes personnes assurant une activité de transmission de contenus sur un réseau de communications électroniques ou de fourniture d’accès à un réseau de communications électroniques ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans les cas où, soit elle est à l’origine e la demande de transmission litigieuse, soit elle sélectionne le destinataire de la transmission, soit elle sélectionne ou modifie les contenus faisant l’objet de la transmission ». Au-delà des mythes les plus sombres, à chacun de trouver le juste équilibre, entre la protection de sa privée, la confidentialité de ses échanges, de sa navigation, du stockage de ses données. La liberté de l’internaute passe aussi par une navigation moins « conviviale », sans traçage. C’est pourtant, nous dit-on, la modeste contrepartie de la gratuité.

Farid Gueham

Pour aller plus loin :

–       « Darknet : le site du libre », rennard.org

–       « Silk Road ferme, et alors ? », lemonde.fr

–       « Non, le Darknet n’est pas un réseau clandestin »numerama.com

–       « Une énorme faille de sécurité dans de nombreux sites internet », lemonde.fr

–       « Backdoor, porte dérobée », futura-sciences.com

Photo by Nicolas Picard on Unsplash

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