De la lubie des armes aux États-Unis au lobby européen
Sarah Benamar | 19 mai 2016
De la lubie des armes aux États-Unis au lobby européen
Par Sarah Benamar
L’identité américaine est étroitement liée aux armes feu, et ce, depuis les origines de la nation américaine. Plus encore, le droit à posséder une arme à feu fait partie intégrante de la culture américaine.
Pour une partie significative des américains, notamment ruraux, le droit de porter une arme est un symbole de liberté depuis l’époque des Pères fondateurs mais également d’une tradition bien connue qui a été ancrée dans l’imaginaire populaire par le western et les mythes de la conquête de l’ouest.
« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’à le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé » : vieux de deux cent vingt-cinq ans, le deuxième amendement de la constitution américaine entretient l’un des débats les plus houleux des États-Unis, à savoir, qui a le droit de posséder une arme ?
Or cet amendement fait l’objet de deux interprétations contraires. D’un côté, il y a les partisans de l’interprétation du « droit collectif » qui pensent que cet amendement donne le droit aux États fédérés d’organiser leur propre force armée afin d’échapper au joug de l’État fédéral. De l’autre côté, il y a les partisans de l’interprétation « individuelle » qui estiment que les individus ont le droit de posséder une arme pour se protéger d’une agression étrangère ou d’un État tyrannique. Ce discours sur la responsabilité individuelle fait des armes un outil de liberté et d’égalité. C’est la position de la National Rifle Association, puissant lobby pro-arme, qui défend une interprétation absolutiste du deuxième amendement de la constitution. Elle affirme avoir pour mission de protéger et défendre la Constitution américaine, promouvoir la sécurité de la population, la loi et l’ordre, ainsi que la défense de la nation. Il suffirait donc de s’assurer que les armes ne tombent pas entre de « mauvaises mains ». Mais la mise en place d’une telle politique n’est pas sans poser de difficultés : comment reconnaître a priori les bons des méchants, les « citoyens responsables » de ceux qui feront mauvais usage de leur « droit constitutionnel » ?[1]
Omnipotente, la NRA ?
Les tueries de masse sont devenues une catégorie tristement courante de la criminalité aux États-Unis. Malgré tout, la NRA s’oppose à toutes formes de réglementation des armes à feu. Elle tient à garantir l’extrême liberté de ses concitoyens, et ce, même s’il s’agit de fusils d’assaut pourtant très controversés. Or, on le sait, les armes d’assaut et les chargeurs à haute capacité ne sont ni indispensables à la chasse, ni au tir sportif et encore moins utiles à la protection de ses propres biens. Les armes à feu posent un problème tant sécuritaire que sanitaire et économique. Mais la NRA s’assure toujours que le débat ne porte jamais sur ces questions de sécurité ou de santé publique mais qu’il s’oriente davantage sur les valeurs telles que le patriotisme, la liberté et l’autodéfense.
À partir de 1975, année durant laquelle la NRA s’est engagée sur le terrain du lobbying politique et règne en maitre sur la question du port d’arme depuis lors, on remarque que les lois en faveur d’un contrôle des armes aux États-Unis n’ont pas beaucoup évolué. Or, bien qu’une majorité des citoyens américains souhaitent durcir les lois, les politiques publiques ne suivent pas. On peut alors se demander quelles en sont les raisons. Le groupe d’intérêt a une influence inestimable au sein de la vie politique en raison des sommes d’argent considérables qu’elle n’hésite pas à dépenser dans les diverses campagnes électorales afin de faire valoir ses intérêts, soit environ 20 millions de dollars chaque année.
La NRA use d’un moyen bien particulier pour pousser les élus du congrès à ne pas faire « de mauvais choix » qui ne lui coûte pas un centime mais demeure ô combien efficace. Il s’agit des bulletins de note. Le concept est simple : le lobby des armes accorde à chacun des sénateurs et représentants une note allant de A à F, en fonction de ses votes sur les questions liées de près ou de loin aux armes à feu. Ainsi, les élus ayant obtenu un A+ sont récompensés par de généreux dons électoraux[2].
Le storytelling, une arme redoutable
Un récit bien maitrisé est l’instrument d’une conquête réussie du public. La National Rifle Association a le don faire passer ses messages à travers des campagnes percutantes s’adressant à l’émotion plutôt qu’à la raison. Elle possède l’art et la manière de raconter des histoires. Il s’agit pour la NRA d’inscrire dans la ligne narrative une histoire de mythes et de héros américains. Stéréotypés et démagogiques, ces récits en appellent aux affects du public pour renforcer l’état d’esprit de ses propres militants dans leurs convictions qui se résument au droit de posséder une arme et au droit de l’utiliser.
Le storytelling accomplit un va-et-vient entre la politique et le cinéma. La NRA prône le droit de se battre pour ses droits. Mais aussi le droit de se défendre. Elle joue allègrement avec les codes du film hollywoodien mêlant mythes, traditions et culture américaine. Son cheval de bataille consiste à se battre contre l’emprise d’un État tout puissant en favorisant la responsabilité individuelle et le droit individuel. Attiser la méfiance à l’égard du gouvernement et des élites en général pour prouver que les armes à feu sont une nécessité et montrer le déséquilibre des forces. En jouant le jeu habile de la victimisation et de la dénonciation des élites sociales et urbaines la NRA ne compte, à ce jour, pas d’opposants à sa taille et demeure intraitable sur la question du port d’arme.
Quid du lobby des armes en Europe ?[3]
À Bruxelles, les lobbies pro-armes font pâles figures par rapport à la capacité d’influence de la NRA. Et pour cause, les enjeux ne sont pas les mêmes. En Europe, il s’agit surtout de défendre et protéger le droit des chasseurs. Par ailleurs, alors que la NRA dépense plus de 20 millions de dollars en lobbying chaque année, les lobbies européens révèlent des coûts inférieurs à 10 000 euros par an. Le plus grand groupe d’intérêt, connu sous le nom de F.A.C.E[4], a 11 lobbyistes à temps plein et un budget d’un peu moins d’un million d’euros par an, selon le registre de transparence de l’UE.
Suite aux attentats de Paris et de Bruxelles, la Commission européenne a souhaité renforcer la sécurité au sein de l’Union à travers une révision de la directive des armes à feu afin de limiter les ventes d’armes automatiques. C’est pourquoi les groupes d’intérêt se sont mobilisés contre cette mesure, affirmant qu’elle serait inefficace dans la mesure où les armes utilisées lors des attentats provenaient du marché noir. Pour cela, ils ont tout d’abord lancé une pétition signée par plus de 300 000 personnes depuis son lancement en novembre. Certains députés européens affirment également avoir reçu des mails d’avertissement.
Bien qu’il soit peu probable que ces groupes d’intérêts puissent tuer le projet de loi, il est évident qu’ils auront un impact sur le débat des armes.
[1] COMBEAU Didier, « Les Américains et leurs armes » droit inaliénable ou maladie du corps social ?, Revue française d’études américaines, 2002/3 n°93, p. 95‐109
[2] Belin Célia, « National Rifle Association : la toute-‐puissance en équilibre », Hérodote, 2013/2 n° 149, p. 115-‐128
[3] http://www.politico.eu/article/europe-gun-lobby-mobilizing-against-new-firearms-guns-weapons-rules/
[4] La fédération des associations de chasse et conservation de la faune sauvage de l’Union européenne
crédit photo Flickr: mark boucher
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