De la police d'Etat à la police citoyenne
20 novembre 2013
De la police d’Etat à la police citoyenne
Si l’on regarde l’actualité récente dans le domaine de la police et de la sécurité, les motifs de satisfaction semblent peu nombreux : on nous montre régulièrement des faits divers tragiques, on s’inquiète de l’explosion des cambriolages, les policiers manifestent pour protester contre le manque de moyens, des affaires de corruption ou de brutalités éclatent régulièrement (affaire Neyret à Lyon, BAC Nord à Marseille…), les relations avec la population sont de plus en plus tendues comme en témoignent la hausse de 75 % des condamnations pour outrage et rébellion en 20 ans ou la fréquence des épisodes émeutiers (Trappes en a été le dernier exemple en date), la question des contrôles d’identité au faciès suscite régulièrement la polémique.
Toutefois, si on l’on prend du recul, ou plutôt si l’on se retourne, on se rend compte que de très nombreux progrès ont été accomplis. Il ne s’agit aucunement d’être naïf, de nier ou de minimiser les problèmes évoqués à l’instant. Simplement, cet événement portant sur le progrès et promouvant l’optimisme, je vais tenter de dégager les évolutions positives de notre police depuis les années 1980.
Une police plus proche des citoyens
Nous avons assisté à de multiples controverses ces dernières années : police de proximité ou culture du résultat ? Brigades anti-criminalité ou patrouilles pédestres ? Toujours est-il que la sécurité quotidienne des citoyens est désormais sur le devant de la scène. On peut ne pas être d’accord sur les remèdes, mais le constat que les gens ont besoin d’une police qui se préoccupe de leur bien-être s’est peu à peu imposé. Or, pendant des décennies, nous avons eu une police focalisée sur l’ordre public, la protection des institutions ou les grosses affaires alors que c’est d’une police du quotidien dont les citoyens avaient besoin. Pour illustrer le propos, la Préfecture de Police à Paris, avant tout préoccupée par la sécurité des bâtiments officiels, élucidait moins de 5 % des délits de voie publique. La police s’est progressivement recentrée depuis sur la petite et moyenne délinquance.
Un meilleur partage des informations
L’utilisation de la technologie a également amélioré le travail de la police. On pense spontanément aux immenses progrès de la police technique et scientifique. Mais ça n’est pas le seul outil : on citera la Main Courante Informatisée qui permet de recenser toutes les interventions policières, les informations recueillies par cette dernière et les déclarations des usagers ; la géolocalisation des véhicules, qui permet de dispatcher plus efficacement les appels d’urgence ; ou encore la cartographie criminelle qui permet de dégager les tendances de la délinquance.
La mise en place de Contrats locaux de sécurité (CLS), qui sont des partenariats entre la police et différents acteurs locaux, a consacré idée que la police n’avait pas le monopole des politiques de sécurité et de prévention. D’autres acteurs, comme les municipalités, les écoles, les transporteurs, les bailleurs ou les associations ont leur mot à dire, peuvent contribuer à identifier les problèmes et mener des actions concertées. Le dispositif est loin d’être parfait partout, le niveau d’implication des différents partenaires est très variable selon les municipalités, mais on peut estimer que les CLS constituent une évolution intéressante : la police n’est plus un acteur isolé, se tenant à l’écart des autres institutions et à l’inverse des institutions traditionnellement méfiantes à l’encontre des forces de l’ordre, comme l’école, acceptent de parler avec la police.
La police d’Etat des citoyens, par les citoyens, pour les citoyens
Enfin, je mentionnerai la prise de conscience de la nécessité d’accueillir dignement et diligemment les victimes. La plupart des commissariats que j’ai visités ont mis en place des mesures pour réduire le temps d’attente : pré-plainte en ligne, plainte sur rendez-vous, mesure et affichage des temps d’attente moyens par tranche horaire.
Je viens de prononcer le mot « mesure », il est important. Pendant longtemps, on a considéré que la police était un cas à part du fait de son statut de service public régalien : on y a négligé les impératifs d’efficacité et de coûts, alors que c’est une question centrale. On a critiqué la « culture du résultat » ou la « police du chiffre » en vigueur entre 2002 et 2012. Je ne reviendrai pas sur les effets pervers et les dérives qu’elle a incontestablement engendrés. Néanmoins, elle procédait d’une idée déjà mise en avant sous la gauche plurielle et poursuivie aujourd’hui par Manuel Valls : il faut des indicateurs pour mesurer l’activité et les résultats de la police. Ceci s’inscrit dans un mouvement plus général au sein des services publics, qui n’a pas épargné les forces de l’ordre, un mouvement vers plus d’accoutability. Ce concept anglo-saxon pourrait être résumé de la façon suivante : il y a une demande de sécurité, la police est financée par l’impôt, il est donc normal de s’interroger sur la manière dont on emploie les agents de la force publique. En filigrane, on en revient à l’un de points précédents : le citoyen a été placé au centre de la réflexion.
Une police qui s’inscrit dans le progrès et la citoyenneté
Je n’ai énuméré que quelques exemples, parmi de nombreux autres. On les doit autant à la gauche qu’à la droite, preuve que derrière ce sujet en apparence clivant se cache un certain consensus. Toutefois, la marge de progression demeure importante. Que faire pour aller plus loin et rattraper les Anglo-saxons par exemple, pour lesquels l’efficacité et la satisfaction du public vis-à-vis de la police sont des préoccupations majeures ?
Tout d’abord, ne mesurons pas l’efficacité de la police uniquement à l’aune des statistiques de la délinquance, dont on sait qu’elles ne nous disent pas tout sur l’état réel de l’insécurité. Les enquêtes de victimisation, les sondages de satisfaction et les études sur le sentiment d’insécurité doivent devenir des indicateurs tout aussi importants, afin d’introduire une dimension qualitative dans l’évaluation de la police.
Ensuite, impliquons plus le citoyen dans les politiques de sécurité. Dans de nombreux pays, des conseils de quartier police/habitants ont été créés pour bénéficier du retour de ces derniers sur l’action de la première. Les CLS restent une instance interinstitutionnelle, assez typique de notre pays où ce sont les acteurs officiels qui sont consultés et non directement les citoyens.
Une police citoyenne mieux localisée
Par ailleurs, augmentons la transparence. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les services de police ont mis en place des sites web où l’on peut non seulement consulter la cartographie et l’évolution de la délinquance dans sa rue, mais aussi les photos et les coordonnées des policiers référents de quartier. Il est important que l’on mette un visage sur la police car c’est un service public du quotidien, qui opère sur la voie publique et pas seulement derrière un guichet d’accueil. A travers ces deux dernières propositions, l’objectif est de créer un véritable rapport horizontal entre policiers et citoyens, en plus du rapport vertical qui découle naturellement des pouvoirs de contrainte dont dispose la police.
Enfin, donnons plus de place à l’échelon local. La Police Nationale est une grande institution centralisée qui gère à la fois la grande criminalité, la délinquance de rue, la protection des frontières, le contre-espionnage, la sécurité routière ou encore le maintien de l’ordre. C’est une situation rare parmi les démocraties occidentales. Il faut sans doute aller plus loin dans la montée en compétence des polices municipales, qui sont sans doute les mieux à même de s’occuper de la délinquance quotidienne et assurer une présence visible auprès des habitants.
Mathieu Zagrodzki
Crédit photo: Flickr: fdecomite
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