De l’art suprême de la « compensation » fiscale…
31 août 2013
De l’art suprême de la « compensation » fiscale…
C’est promis : après s’être dit « très sensible au ras-le-bol fiscal des Français » le Ministre de l’économie vient d’annoncer que les prélèvements supplémentaires sur les entreprises au titre des cotisations retraite seront « intégralement compensés ».
Ce terme de « compensation » qui évoque l’idée d’une opération « neutre » invite à un examen attentif, à la fois quantitatif (le compte y est-il vraiment ?) mais plus encore qualitatif : car l’inspiration qui sous-tend un tel mécanisme traduit une perception de l’économie et de la relation Etat-entreprises qui elle, n’a rien de « neutre ».
Le compte y est-il ?
Tout d’abord, donc, le compte y est-il ?
Non : la hausse de la TVA actée depuis longtemps pour financer le Pacte de compétitivité est toujours oubliée dans les calculs. A quoi s’ajoute 6 milliards à trouver, comme l’a reconnu le même Pierre Moscovici en parlant d’une hausse des prélèvements obligatoires de 0,3% du PNB en 2014. L’on attend toujours de savoir comment ces hausses sont compatibles avec la déclaration du Président de la République ce week-end dans le Monde annonçant une « pause fiscale »…
Vous avez dit « pause fiscale » ?
« Pause » qui d’ailleurs joue sur les mots : à côté de la fiscalité stricto sensu s’ajoutent en effet les cotisations sociales : or il y a bien hausse des cotisations (même si, strico sensu, là encore il n’y eu en la matière aucune « réforme » mais seulement un abondement du financement). Mais justement, dira-t-on, cette hausse des cotisations sera « compensée » pour les entreprises, notamment par un « transfert » des charges de la politique familiale ; certes, mais transfert vers qui ?
Le furet fiscal qui « est passé par ici et repassera par là », devra bien arrêter sa folle course quelque part et mordre telle ou telle catégorie de contribuables !
Conclusion donc irréfutable : il n’y aura en 2014 ni pause fiscale ni compensation de la hausse des prélèvements obligatoires…
Le dilemme logique de la compensation
Mais il a plus et sans doute plus grave : à savoir le principe même de cette compensation qui pose un redoutable problème de logique. Car de deux choses l’une : ou bien cette compensation est incomplète et il y a donc bel et bien prélèvement supplémentaire ou bien elle est complète et l’opération financière est neutre au final. Mais alors on ne comprend pas bien le sens d’une politique qui comme l’a très justement remarqué François Hollande consisterait à « reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre » et vice-versa….
Dans les deux cas le bon sens élémentaire impliquerait :
1/ soit de ne prélever que la différence entre prélèvements et reversements
2/ soit de supprimer carrément les charges destinées à être intégralement « compensées ».
Or comme ni nos responsables politiques ni nos hauts fonctionnaires ne sauraient être dénués de ce bon sens, il doit bien y avoir dans cette politique de compensation partielle ou totale une logique profonde à l’œuvre. En l’occurrence une vision colbertiste de l’économie et une tutelle infantilisante des entreprises.
Le mythe de l’Etat omniscient
La seule justification et le seul objectif de la « compensation » ne peuvent en effet être que la réorientation par l’Etat des flux financiers générés par la collectivité, tant au niveau micro que macroéconomique. Ce qui implique nécessairement que ledit Etat soit mieux informé et plus compétent que les acteurs économiques y compris dans leur propre secteur d‘activité et dans la gestion de leur propre entreprise.
Axiome battu en brèche depuis des décennies par la démonstration de Hayek dans La route de la servitude : dans un marché ou des millions d’informations circulent et des millions de micro-décisions sont prises en instantané, l’Etat n’a tout simplement ni les moyens de connaissance ni la rapidité d’ajustement nécessaire pour intervenir à bon escient. Autrement dit sans même évoquer la question de la légitimité de l’interventionnisme étatique, celui-ci bute sur des obstacles cognitifs et pratiques insurmontables. Notons que la mondialisation, en multipliant les acteurs et les flux, et que l’informatisation, en accélérant vertigineusement la vitesse des transactions, n’ont fait que renforcer la pertinence de l’analyse hayekienne, vieille de 70 ans !
La vraie raison de la « compensation » : la production de rentes
Enfin et au-delà de la neutralité comptable apparente de la « compensation » – fut-elle intégrale – force est de constater qu’il s’agit en définitive d’une pure « illusion » : la compensation ça n’existe pas !
Le mécanisme génère en effet des coûts dissimulés colossaux qui ne sont jamais pris en compte, car de solides intérêts (publics et privés) en vivent. Ils en tirent en effet le type de revenus privilégiés dans la culture économique française : la rente. Celle-ci est dégagée à partir de la contribution forcée des acteurs économiques à travers deux types de coûts :
1/ le coût d’intermédiation lié au financement de la structure bureaucratique : or ce coût sera encore plus élevé avec le mécanisme de la compensation, puisqu’il faut gérer non seulement le prélèvement mais aussi le reversement ; d’où la multiplication des acteurs impliqués, des administrations publiques de tous niveaux, aux multiples organismes et autres associations chargés de dispenser la manne publique aux « entreprises-prolétaires ».
2/ le coût d’opportunité très élevé pour l’usager perdu dans jungle des dispositifs d’aide et accaparé par des dossiers chronophages ; et procédures éminemment défavorables aux petits entrepreneurs qui n’ont ni les connaissances ni le temps de s’y consacrer. Comment s’étonner dès lors que ce soient les grandes entreprises qui, disposant des ressources humaines et des réseaux pour ce faire, en bénéficient le plus, tant en termes d’optimisation fiscale que de subventions ?
Les larmes de crocodile régulièrement versées sur les « pauvres petites entreprises », que chaque gouvernement promet de favoriser, ne retire rien à ce fait pour la bonne raison qu’il est structurel et produit par la logique même du système de prélèvement/reversement.
Vive les « circuits courts » !
A quand enfin des circuits courts de décision et de financement, par définition moins coûteux en temps et en argent ? A quand enfin la confiance dans les entreprises pour faire leur propres choix et gérer leurs propres affaires ? Non par acte de foi libéral mais par raisonnement pragmatique : en cas d’erreur, c’est l’entrepreneur lui-même qui sera sanctionné. En est-il de même pour les errements économiques de l’Etat ?
Christophe de Voogd
Crédit photo : Flickr, Novopress
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