De l’Homo sapiens à l’Homo mutans : pour le meilleur ou pour le pire ?
Pauline Minaud | 10 juillet 2015
De l’Homo sapiens à l’Homo mutans : pour le meilleur ou pour le pire ?
Mutants – à quoi ressemblerons-nous demain ? de Jean-François Bouvet, éditions Flammarion, 240 pages, essai paru le 03/2014, 19.9€
Par Pauline Minaud
De l’Homo sapiens à l’Homo mutans : pour le meilleur ou pour le pire ?
L’homme, animal mortel, n’a de cesse, depuis la nuit des temps, de poursuivre la quête de l’immortalité. Et il faut dire que jusqu’à présent, le pari est plutôt réussi. Les prouesses techniques et médicales s’enchaînant à un rythme effréné, les vingt-cinq dernières années ont permis à la science moderne de nous en révéler davantage sur notre développement biologique que toutes les recherches menées dans le monde en trois mille ans. Ces découvertes, néanmoins, sont pour beaucoup la cause de sérieuses et conséquentes modifications de notre environnement et de notre organisme, soulevant dès lors de d’importantes questions éthiques.
Pour Jean-François Bouvet, dans son ouvrage « Mutants, à quoi ressemblerons-nous demain ? », l’homme, « animal qui change tout » va jusqu’à se changer lui –même. Il est donc passé de l’Homo sapiens à l’ « Homo mutans », à la fois invasif et inventif. L’homme savant du XXI siècle, a déjà colonisé les cinq continents, parcouru tous les océans et même posé un pied sur la lune. Ses moyens de transports se sont diversifiés, modifiant de fait notre rapport au temps et à l’espace. Cet homme savant que Jean François Bouvet qualifie successivement de « primate doué » ou de « singe habillé » a donc fait du siècle dernier, un siècle de progrès : « il suffit de fermer les yeux et d’imaginer ce que serait un monde sans serveurs vocaux, anxiolytiques, carte de crédit, codes-barres, packs de canettes, nuggets, ketchup, fruits hors saisons … et autres avancées majeurs que nous devons au génie humain.»
Pourtant ce génie humain a aussi ses côtés sombres. Ces derniers sont d’ailleurs bien visibles quand il s’agit par exemple de notre environnement ou de nos modes alimentaires. Le XXe et le XXIe siècle ont été le théâtre d’un véritable « big bang chimique ». Les produits chimiques pullulent puisqu’en effet, en 2013 l’Institut national de la santé et de la recherche médical recensait déjà près de « 100 familles chimiques de pesticides et pas loin de 10 000 formulations commerciales –le tout destiné, bien sûr à rejoindre notre environnement ». À cela s’ajoute évidemment toute une série de catastrophes naturelles (vagues de froid, canicules, séismes, ouragans, inondations) et de catastrophes nucléaires, allant de Tchernobyl en 1986 à Fukushima en 2011.
Pour le meilleur et pour le pire, l’homme transforme son environnement. Mais ses réalisations ne sont pas sans conséquence sur son propre développement : l’homme d’aujourd’hui meurt de plus en plus vieux, il est plus grand mais plus gros, sexuellement précoce mais de moins en moins fertile. Ces changements sont, pour l’auteur, non seulement ultrarapides et spectaculaires mais aussi « souvent inquiétants, voire délétères pour l’espèce ». Ces dits-changements, pourtant, ne sont pas surprenants. En effet, il n’est pas étonnant pour Jean-François Bouvet qu’une espèce qui modifie à ce point son milieu – de manière quasi instantanée par rapport à son histoire- ne soit pas en retour modifiée par lui.
Face au vieillissement et aux menaces de plus en plus précises qui pèsent sur sa reproduction, l’Homo sapiens, aujourd’hui Homo mutans est confronté à deux tendances : l’Homo « perturbatus » et l’Homo « technologicus ». Il est donc légitime de se demander avec l’auteur, à quoi nous ressemblerons demain.
Pour répondre à cette question, Jean-François Bouvet se propose d’examiner l’homme « comme pourrait le faire un observateur extérieur, à toutes les échelles, en tant que naturaliste ». A l’aide de données chiffrées et de multiples études internationales, à la fois scientifiques et sociologiques, l’auteur passe en revue les différentes mutations auxquelles est aujourd’hui confronté l’homme moderne. La taille, le poids (« Homo obesus »), la mort, la puberté, la fertilité, la conception des enfants, la gestation et la naissance sont autant d’enjeux révélant chez l’homme, d’une part de profondes transformations biologiques et sociétales, mais également cette quête permanente vers l’immortalité.
L’auteur identifie différentes causes à ces mutations, allant des conditions de vie, au degré de pollution, en passant par l’évolution des mœurs, l’alimentation et les pratiques culturelles. Néanmoins, la principale source de ces changements reste l’homme lui-même « qui a déclenché un ‘’big bang chimique’’ jusqu’à en devenir malade lui–même ». En effet, Jean-François Bouvet dénonce l’usage abusif et omniprésent d’une multitude de produits chimiques et autres perturbateurs endocriniens aux effets secondaires, non seulement puissants mais surtout destructeurs : le DDT[i] pour la puberté précoce, les phtalates pour les troubles de la fertilité et le chlordécone pour les cancers et le système nerveux … ainsi que le bisphénol A concerné lui, pour chacune de ces mutations.
Ces dernières sont également l’occasion pour l’auteur de soulever de nombreuses questions éthiques. De la médecine préventive à la médecine régénératrice, et à l’heure de l’utérus artificiel et de la production de spermatozoïdes en laboratoire, s’ouvre peu à peu la voie d’une dissociation totale entre sexualité et reproduction, et le risque d’une dérive eugéniste.
L’heure est grave donc, mais soucieux de ne pas affoler le lecteur, Jean-François Bouvet se fait l’écho en fin d’ouvrage de différentes initiatives, telles qu’une Cour Pénale Internationale pour l’environnement ou encore d’un « Global Village ». Il témoigne également d’avancées encourageantes, telle que le règlement européen REACH qui depuis 2007 prévoit d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et l’environnement contre les risques que peuvent poser les produits chimiques.
Ce faisant, l’auteur dénonce les conflits d’intérêts, les pressions des industriels et des lobbies, qui paralysent bien souvent la bonne volonté des politiques en matière de contrôle des produits chimiques et perturbateurs endocriniens. Pour l’auteur, le défi principal est de répondre globalement aux problèmes qui se posent aujourd’hui à l’ « Homo mutans ». Jean-François Bouvet estime en effet que « les solutions efficaces ne sauraient être que globales, puisque mondialisation il y a, le contrôle n’a vraiment de sens que s’il est lui-même mondialisé ».
[i] Dichlorodiphényltrichloroéthane
crédit photo : cc Pat Durkin
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