Délivrez-vous ! Les promesses du livre à l’ère numérique.

22 octobre 2018

« Cher futur lecteur, c’est à toi que ce livre s’adresse car c’est vers l’avenir que nous voulons porter notre regard. Peut-être seras-tus plus familier des écrans que des livres. Peut-être auras-tu d’autres choses à faire que de lire ? Un monde à refaire, qui sait ? Une vie en tout cas ». Pour Paul Vacca, il n’existe pas de meilleur moyen que le livre, pour nous déconnecter du brouhaha numérique et nous reconnecter au monde. Les livres nous éclairent, nous guident, tels des feuilles de route. 1984 de George Orwell préfigurait déjà les temps troublés que nous vivons actuellement. Les « alternatives news »qu’il évoquait, répondent étrangement à nos « fake news », dans un environnement fait d’écrans et d’algorithmes.

Le feu de la lecture. 

 

« Les livres sont habités par le feu : l’étincelle du désir, les lumières de la torche, le feu grégeois de la colère, les flammes de la passion… ». Et si le livre possédait, dans notre monde numérique un pouvoir émancipateur insoupçonné ? Le livre est bien vivant : ni crispation sur le passé, ni rejet du futur, il est l’objet, le vecteur d’une nouvelle expérience qui « se vie pleinement au présent ».

 

Une nouvelle expérience du livre. 

 

Il faut le reconnaître, défendre le livre papier semble désespérément obsolète et presque réactionnaire. Une étude récente consacrée à l’évolution des pratiques culturelles, qualifiait de « réfractaires » ceux qui lisaient des livres papier. Pour être à la page, et vivre avec son temps, il faut être connecté, ou du moins en avoir l’air. Mais la disparition du livre serait un mythe, un nouveau support n’en chasse pas un autre. Pour l’auteur, cette idée relèverait même d’un « darwinisme mal assimilé reposant presque exclusivement sur une observation hâtive de ce qui s’est passé dans le domaine de la musique, qui a vu le CD puis le peer-to-peer et enfin le streaming s’attaquer aux supports classiques, pour les dématérialiser ». Lire un livre papier, c’est en fait vivre une expérience au présent, en pleine conscience du moment et de soi. Le livre n’est donc pas près de disparaître.

 

L’insoutenable égoïsme du e-book. 

 

« Où le livre papier démontre son écrasante supériorité technologique sur le livre numérique : celle d’offrir une expérience unique de lecture et de pouvoir s’incarner un objet de don et de partage ». Les arguments publicitaires des e-books sont déconcertants (pas de reflet, autonomie de plusieurs semaines, transportabilité), et plus particulièrement lorsqu’ils sont mis en perspective avec le livre papier, par essence nomade et durable. Au-delà des avantages compétitifs, le livre papier c’est aussi le jeu d’une matière, l’odeur du papier, le sentiment de lente progression au fil des pages, une sensation de fluidité au fil des pages. « Dans un récit lumineux et émouvant The Gift of Reading, Robert Macfarlane évoque ces voyages tout particuliers qu’effectuent les livres entre les êtres et au cœur même de nos existences. Il raconte comment les ouvrages qu’il a offerts ou reçus ont pu changer le cours de sa propre vie ».Le voyage du livre papier, offert en cadeau à l’autre, n’est malheureusement pas possible à travers un e-book.

 

Le livre augmenté est vieux comme Homère. 

 

« Où l’on découvre que les livres dits augmentés n’offrent finalement que des expériences diminuées. Et que le livre a toujours été « enrichi » : c’est ce que l’on appelle la littérature ». Voilà longtemps que l’on prévoyait la fin du livre papier devant l’e-book, et les éditeurs de livres numériques ne sont pas prêts de tourner la page. Le e-book est formaté comme un « livre augmenté », enrichi de lien vers des sites, des vidéos, des contenus interactifs, il devient une plateforme à lui tout seul. Mais comment ne pas perturber la linéarité du livre par autant de contenus liés, qui arrachent le lecteur du fil de son voyage. Pour l’auteur, l’expérience enrichie du livre, c’est à nous qu’il appartient de la réaliser. Ainsi, il n’existe pas de livre augmenté, mais simplement une lecture augmentée, née de la complicité entre l’auteur et le lecteur.

 

Le livre : meilleur ennemi de l’hyper-connexion. 

 

« A l’heure de l’hyperconnexion, le livre a un rôle essentiel à jouer, celui de nous aider à nous déconnecter, tout en nous reconnectant à l’essentiel ». Voilà plusieurs années que l’on déplore les effets d’une fracture numérique qui isolerait les moins formés, les moins éduqués, les plus isolés socialement et géographiquement, de l’innovation et de la connexion. Du fait de la généralisation et de la banalisation des outils numériques, cette fracture tend à se résorber, et les puissants GAFA ont tout intérêt à la diffusion des contenus, comme des équipements. Mais voilà, la machine s’est emballée, et nous sommes passé de la connexion à l’hyperconnexion, « au point que nos existences ressemblent à une psychopathologie de notre vie numérique faite de textos, de tweets, de posts, de selfies, de notifications et autres avatars d’une connexion urbi et orbi envahissant tous les interstices de notre vie ». 

 

En quoi les classiques sont disruptifs. 

 

« Où l’on découvre que les classiques, loin d’être obsolètes, nous aident au contraire à renouveler pleinement notre vision des choses ». Paul Vacca s’indigne du discours qui émane des bureaux de la Silicon Valley, ce même discours qui nous explique que la culture n’est qu’une simple marchandise, un produit qui ne valait plus rien, puisque l’information est partout, gratuitement, et à portée de clic. Et pourquoi ne pas se contenter d’une lecture accélérée par un assistant vocal, car aujourd’hui, tout n’est qu’urgence.« Aujourd’hui, on l’entend partout : l’important est d’être agile. Et pour être agile, il faut voyager léger. Alors pourquoi s’encombrer inutilement d’un bagage culturel ? ». Préfère-t-on l’acculture à la culture ? Alessandro Barricco voyait déjà en 2006, dans son ouvrage « les Barbares »les prémices d’une mise à sac du village de la culture par la mutation numérique. Et dans son essai « Pourquoi lire les classiques », Italo Calvino nous rappelait que les classiques n’étaient pas des classiques parce qu’ ils étaient vieux, mais parce que le temps n’a pas d’emprise sur eux. Avec la même force et la même justesse, l’étonnement des « Lettres Persanes » ou la tristesse d’Emma Bovary résonnent sans détonner avec notre mal être contemporain.

 

Délivrez-vous. 

 

Dans le futur qu’imagine Paul Vacca, un jeune startupper, Mark Gutenberg, a une idée folle. A l’issue de sa keynote, dans le Chicago de 2046, il demande à tous les participants d’ouvrir la boite placée sous leur siège. Il fonctionne sans batterie, nul besoin de le recharger, de le réinitialiser, de le mettre à jour, il dégage même un parfum, c’est un livre. « Soudain, Mark Gutenberg brandit l’objet vers le ciel, comme un poing levé. « Et puis, il vous permet de reprendre votre liberté. Pas de mouchard qui analyse vos lectures dans un centre de données (…) Décidez enfin librement de vos lectures. Tu vois, cher futur lecteur, si le live venait à disparaître, il faudrait le réinventer ». 

 

Farid Gueham

Pour aller plus loin :

–       « Le livre est l’indispensable vecteur de l’émancipation »europe1.fr

–       « Les jeunes et la culture : synthèse des résultats », études, enssib.fr

–       « Livre papier, ebooks, comment choisir », lecafedugeek.fr

–       « Le livre numérique « augmenté », au regard du livre imprimé : positions d’acteurs et modélisations de pratiques »,Nolwenn Tréhondard, GRESEC, cairn.info

Photo by Sharon McCutcheon on Unsplash

 

 

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