"Démocratie participative" : un antidote au déficit démocratique européen ?

Fondapol | 10 mai 2013


10.05.2013« Démocratie participative » : un antidote au déficit démocratique européen ?

Dans La République moderne (1962), Pierre Mendès-France refusait déjà de circonscrire la démocratie à la délégation du pouvoir par le vote. En 2013, dans un contexte où les représentants politiques nationaux et européens sont souvent jugés impuissants à résoudre des problèmes sociaux majeurs, cette suggestion pour résoudre les insuffisances des voies démocratiques classiques semble tout à fait d’actualité.

Vous avez dit « déficit démocratique » ?

Le manque de légitimité populaire (désigné par l’expression « déficit démocratique ») est une critique récurrente formulée à l’encontre des institutions européennes. Plusieurs raisons sont généralement invoquées pour la justifier, comme la désignation à huis clos du président de la Commission, le poids des lobbies, ou le fait que l’UE ne repose pas sur le schéma classique de « séparation des pouvoirs ». La réalité de ce déficit démocratique est cependant mise en doute par certains chercheurs,  mais le sentiment de ce déficit démocratique est en tout cas bien réel. Qu’il soit ou non fondé, il doit donc être pris en compte, puisqu’il est partagé par une frange importante de la population européenne et qu’il participe à ses représentations et à son eurosceptiscisme croissant. Tout déni serait donc aussi illusoire que contre-productif.

Pour résoudre cette crise de légitimité, il est nécessaire de promouvoir de nouvelles voies de démocratisation. En ce sens, la « démocratie participative », qui permet au peuple d’exercer son pouvoir par le biais d’une contribution directe (en complément de la « démocratie représentative » qui consiste à déléguer cette autorité à des intermédiaires) apparaît comme une solution relativement convaincante. Elle se distingue de la « démocratie directe » en ce qu’elle ne remet pas en cause l’élection de représentants des citoyens mais se veut un supplément d’âme –et d’efficacité- par rapport au système en vigueur. Parmi ses manifestations les plus emblématiques figurent le budget participatif (Porto Alegre, Brésil), les jurys citoyens, les enquêtes publiques consultatives, et les débats publics. Ensemble, ces actions procèdent de ce que Yves Sintomer et Loïc Blondiaux appellent la «valorisation constante et systématique de certains thèmes : la discussion, le débat, la concertation, la consultation, la participation, le partenariat»[1].

Il semble que l’Union européenne ait intégré cet « impératif délibératif ». En effet, le Traité de Lisbonne (2009) introduit une complémentarité entre démocratie représentative(article 10 du Traité sur l’Union européenne -TUE-) et démocratie participative (article 11 du TUE), et ses rédacteurs soulignent l’importance du dialogue entre institutions européennes et société civile.

Des difficultés pratiques de mise en œuvre

Or, jusqu’à présent, la démocratie participative a plutôt été une démocratie de proximité. Son principe étant d’organiser sur un sujet précis un débat entre citoyens, experts et représentants du peuple en leur garantissant une égale considération, elle paraît difficile à mettre en œuvre à l’échelle européenne.

Une autre difficulté pratique réside dans l’information à fournir aux citoyens pour créer les conditions d’un débat rationnel et éclairé. L’UE dispose-t-elle vraiment d’un « public actif, capable de déployer une capacité d’enquête et de rechercher lui-même une solution à ses problèmes»[2] ? Et d’atteindre ce que Jürgen Habermas appelle « une entente rationnellement motivée »?

De fait, les initiatives que regroupe la démocratie participative restent compliquées à mettre en œuvre. Pour lancer une initiative citoyenne européenne (ICE), par exemple, les organisateurs doivent d’abord constituer un comité composé d’au moins sept citoyens de l’UE résidant dans sept pays différents. Ensuite seulement, ils peuvent faire une proposition relevant de la compétence de l’Union qui ne soit ni manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire, ni contraire aux valeurs énoncées par l’article 2 du TUE. Une fois ces conditions remplies, l’ICE doit réunir en un an un million de signatures, avec un nombre minium de signatures par Etat. Si l’initiative est un succès, la Commission peut ensuite proposer un acte juridique (elle n’y est pas tenue). Ouf !

La nouvelle donne des réseaux sociaux

Les taux d’abstention aux élections du Parlement européen[3] témoignent d’un désintérêt des populations pour les questions européennes. Coupée des citoyens, l’UE risquerait de devenir le symbole d’une forme dégénérée de démocratie qu’est l’ « expertocratie ».
A contrario, la démocratie participative permettrait de reconnecter les citoyens avec leurs hommes politiques (et réciproquement !) dans un contexte nouveau qui facilite grandement l’interaction. Les réseaux sociaux, notamment, offrent une possibilité de développement des techniques de démocratie participative[4] dans une collectivité étendue puisque déterritorialisée. De plus, comme elle cible le citoyen, elle permet de construire un véritable espace public européen et de sortir d’une conception purement procédurale de la démocratie.

Le moyen d’une revitalisation du corps démocratique

La démocratie participative enclencherait un cercle vertueux : l’utilisation par les individus de nouveaux canaux d’accès au pouvoir conduirait à une transformation profonde dans leur manière d’appréhender le politique. Entrés en consommateurs dans ce processus, ils en sortiraient « citoyens ». Puisqu’il est impossible de dresser un bilan de la démocratie participative à l’échelle de l’Union, celle-ci étant embryonnaire, il est nécessaire de s’appuyer sur les résultats produits à d’autres échelles. Dans «La démocratie participative», Xavier Molénat fournit un exemple de réussite en France : « un bilan de dix années de fonctionnement de la Commission nationale du débat public met en évidence que l’ensemble des participants […] dit avoir mieux compris les positions des uns et des autres ». À l’échelle européenne, les pétitions au Parlement européen (article 227 TFUE) pourraient remplir ce rôle, puisqu’elles doivent concerner directement le citoyen qui les formule, mais peuvent porter sur des affaires d’intérêt général. À partir d’un cas individuel, le Parlement est donc amené à se prononcer sur une question plus générale, et le citoyen à participer à un renouvellement du débat public.

Un dispositif garant d’une plus grande équité

La démocratie participative ne permet pas seulement de faire participer davantage les citoyens et de les rendre plus conscients des enjeux de société, elle conduit aussi à une meilleure défense des intérêts des groupes sociaux minoritaires ou traditionnellement en marge du jeu politique. À l’échelle européenne, le concours vidéo sur la citoyenneté européenne intitulé « Citizen, yes you kane » organisé par l’Agence française du programme européen « Jeunesse en action » (AFPEJA) dans le cadre de l’année européenne des citoyens est un exemple d’incitation à s’engager à destination des jeunes. Or, en donnant la parole à de nouvelles franges de la population –particulièrement dépolitisées -, il paraît logique d’espérer que les décisions issues de la démocratie participative soient porteuses d’une plus grande équité, notamment intergénérationnelle. Cette analyse est corroborée par Dominique Bourg, qui souligne que les citoyens sont mieux à même que les hommes politiques de relever des défis globaux qui nécessitent un investissement à long terme. C’est là un problème que la France connaît bien : un élu n’est pas « mandaté pour s’occuper du bien-être des générations futures »…

La démocratie participative constitue donc une solution partielle mais utile au problème de déficit démocratique rencontré par l’Union européenne, et sera un complément symbolique et médiatique à la démocratie représentative et à l’accountability (exigence accrue de contrôle et de reddition des comptes). Sa mise en application constituera cependant un véritable challenge. En tout état de cause, si le bilan de la démocratie participative est plutôt positif à l’échelle locale, on a encore trop peu de recul pour porter un jugement définitif sur son efficacité à l’échelle européenne.

Marie-Eva Bernard

Crédit photo : Flickr, tiseb


[1] BLONDIAUX L. et SINTOMER Y. « L’impératif délibératif », Politix vol XV, n°57. 2002

[2] DEWEY J. Le Public et ses problèmes, Publication de l’université de Pau/Farrago, 2003

[3] KSIAZEK J-P « De 39,3% en 1979, le taux d’abstention s’est élevé à 43,3% en 1984, et à plus de 59% en
2009 ». « L’abstention bat des records » L’Express.fr avec AFP, 07/06/2009

[4] Facebook compte en 2013 plus d’un milliard d’utilisateurs, dont 193 millions résident dans un pays membre de l’Union européenne.

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