Détricotage du lien entre laissez-faire économique et entreprise d’écoblanchiment

Fondapol | 20 juin 2014

20.06.20144Détricotage du lien entre laissez-faire économique et entreprise d’écoblanchiment

La responsabilité sociale des entreprises est à la mode. De colloques en communications et financements de chaires, les acteurs privés multiplient les gages de bonne volonté, comme s’ils étaient parfois à la recherche d’une approbation médiatique. Certains sceptiques doutent de leur sincérité, et s’interrogent sur la réalité que recouvre cette gesticulation : en somme, beaucoup suspectent que les entreprises soient engagées dans de l’ « éco-blanchiment », pratique qui consiste à favoriser les beaux discours plutôt que les grandes actions …

Il faut dire que les raisons de douter sont là. Alors que les publications institutionnelles pleuvent dans le débat public, le nombre d’entreprises prises en flagrant délit d’action nuisible à l’environnement ne diminue pas. Nombreuses sont celles qui se défaussent, esquivent, fuient leurs responsabilités en la matière.

Au premier abord, l’opinion publique sera spontanément conduite à croire que le libre marché, le retrait de l’Etat et le développement de la concurrence intensive ne jouent pas en faveur d’un comportement responsable des entreprises. Quand les gouvernements exercent une pression faible sur elles, on peut naturellement s’attendre à ce que les entreprises en fassent le moins possible.

Ce n’est pas si évident. Et nous avons voulu en avoir le cœur net.  Dans la dernière livraison du Journal of Business Ethics nous livrons nos conclusions, dans un article intitulé The intentions with which the road is paved : attitudes to liberalism as determinants of greenwashing.

Nos travaux montrent que dans les sociétés qui valorisent la responsabilité individuelle plutôt que la contrainte étatique, il se crée une pression sur les acteurs privés pour combler ce « vide institutionnel ».

Quand aucune autre entité n’est en charge de veiller au « bien » de la société, les entreprises assument leur rôle ! Elles s’engagent ainsi plus spontanément dans des actions philanthropiques, le soutien aux communautés, ou dans des actions favorables à l’environnement. En clair, l’idée selon laquelle, en l’absence de contrainte publique, les entreprises fuiraient leurs responsabilités sociales est fausse.

Pour comprendre cette énigme, nous avons étudié la relation entre la perception du libéralisme, mesurée à travers la valorisation de la responsabilité individuelle d’une part et de la concurrence d’autre part, et la propension des entreprises à pratiquer l’éco-blanchiment.

Pour y parvenir, nous avons mis en œuvre un travail à très grande échelle, organisant une étude quantitative de longue haleine : elle a analysé le comportement de milliers d’entreprises entre 2002 et 2008 et travaillé sur la base d’une enquête distribuée à plus de 200 000 individus dans 38 pays, qui les interrogeait sur leur perception de la concurrence (notation de 1 à 10, de nuisible à favorable) et sur la foi dans la responsabilité individuelle plutôt que la contrainte publique. Nous avons également mesuré l’éco-blanchiment en comparant les déclarations des entreprises (sur le contrôle de ses émissions de CO2, de l’impact de son activité sur les collectivités locales ? etc.) à la réalité de leurs actions, au regard de quatre dimensions : économie, environnement, responsabilité sociale.

L’enquête a montré que les perceptions du libéralisme économique varient d’un pays à un autre. Par exemple, aux Etats-Unis ou en France, le libéralisme économique est associé à la fois à une concurrence vigoureuse et un Etat minimal. En revanche, dans les pays en développement comme la Chine ou l’Inde, le libéralisme économique est assimilé à une concurrence forte plutôt qu’à un Etat en retrait.

Les conclusions de ce labeur sont claires et stimulantes !

Nos travaux montrent que dans les pays qui valorisent la responsabilité individuelle, plutôt que le recours à l’action gouvernementale, les entreprises ont tendance à intervenir plus concrètement, afin de protéger les parties prenantes et des droits des particuliers, et ainsi à contribuer au bien-être social. A l’inverse, dans les pays qui valorisent la seule concurrence, les entreprises se concentrent plus sur leurs déclarations…

En pratique, cela signifie que dans des pays comme la France où les Etats-Unis, les entreprises sont incitées à agir, plutôt qu’à communiquer ; alors que dans un pays comme la Chine ou l’Inde, la pression concurrentielle est si forte que les entreprises pratiquent plus facilement l’éco-blanchiment.

En clair, et peut-être de manière contre-intuitive au regard des discours véhiculés dans le débat public habituellement, plus le marché est libre, plus il y a de « laissez-faire » en matière d’environnement et plus les entreprises assument leurs responsabilités. Les conclusions de nos travaux sont nets : le libéralisme économique n’affaiblit pas les responsabilités morales des dirigeants.

 

Thomas Roulet est Novak Druce Fellow à l’Université d’Oxford, où il enseigne l’économie, le management et la finance. Il est aussi professeur visitant à HEC Paris, et était précédemment chercheur à Columbia University, New York. Ses travaux portent sur les violations de normes par les organisations, et les questions de risques réputationnels. Avant de poursuivre une carrière dans l’enseignement et la recherche, Thomas a travaillé dans des organisations internationales, des think tanks et l’industrie bancaire à Paris, Londres et Washington.

Twitter : @thomroulet

Samuel Touboul est un professionnel et chercheur au sein du Centre de Recherche « Society & Organizations » d’HEC Paris où il enseigne également l’entreprenariat social. Ses travaux de recherche se concentrent sur la performance financière des investissements responsables, sur les agences de notation extra-financière, et sur le développement des PME en pays émergents. Diplômé de l’ESSEC, de Sciences Po. Paris, et d’un doctorat d’HEC Paris, il a par ailleurs exercé en conseil en stratégie, au sein de la Banque Mondiale, des Nations Unies, ainsi que dans des fonds de capital-investissement.

Twitter : @Samuel_Touboul

Crédit photo : Konfourier.b

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