Didier Julienne : "Dans le domaine des hydrocarbures de schiste, il faudrait laisser le dogme de côté et laisser l’ingénieur parler"
Fondapol | 10 décembre 2012
Aujourd’hui, quel est l’état des lieux de la politique économique française en termes d’exploitation des métaux et des sources d’énergie ?
L’exploitation des métaux et des sources d’énergie n’est sans doute pas à la mesure de nos ressources car certains éléments indiquent que nous en avons, mais les technologies d’exploration les plus modernes n’ont pas été mises en œuvre ou testées en France métropolitaine. Dans la France d’Outre-Mer et en particulier en Nouvelle-Calédonie, la situation est différente : il existe une volonté politique minière menée par les collectivités locales, alliées avec les groupes internationaux pour mettre en œuvre l’exploitation des ressources. Cet exemple ultramarin pourrait être une inspiration en métropole.
À la lumière du retour d’un certain interventionnisme économique, l’État est-il toujours aussi présent ? Comment s’articulent les relations entre les Autorités publiques et le secteur privé s’agissant du secteur de l’industrie minière ?
En France métropolitaine, le code minier est en révision, on y fait peu d’exploration et nous n’ouvrons pas de mines souterraines, nos sociétés minières sont peu dynamiques. C’est pourquoi une certaine habitude a sans doute été perdue par l’administration qui octroie les permis : comment fait-on ? Avec qui ? Quels sont les impacts ? Les conséquences ? Autant de questions qui se poseraient aujourd’hui si nous découvrions un gisement de métaux stratégiques dans le Massif central, en Bretagne ou dans les Vosges – les trois régions où il y a pour le moment des éléments convergents qui vont dans ce sens. C’est regrettable, derrière les métaux de base il peut y avoir des métaux stratégiques qui obéissent aux besoins des politiques de l’État en termes de défense nationale, d’emploi, d’énergie climatiques, d’industries – voiture électrique par exemple – … et nous les importons de l’étranger, comme les hydrocarbures, alors que nous pourrions en avoir chez nous.
« Derrière les métaux de base il peut y avoir des métaux stratégiques (…) et nous les importons de l’étranger, comme les hydrocarbures, alors que nous pourrions en avoir chez nous. »
On entre ici dans le concept de Doctrine Ressources Naturelles dont j’ai déjà largement parlé. Pour qu’un État se développe : il lui faut conquérir une indépendance énergétique, une indépendance minérale et une autosuffisance alimentaire. S’il ne peut obtenir ces trois indépendances, il lui faut choisir et gérer ses dépendances du mieux qu’il peut. Il y a quelques jours j’étais invité à m’exprimer sur ce thème en Afghanistan et au Pakistan. Croyez moi que là-bas ce thème fut parfaitement compris ! Et je regrette que ce concept soit partiellement abandonné chez nous et surtout qu’il ne soit pas développé jusqu’au bout : là où l’on commence à parler d’industrialisation.
Il existe un code minier qui régit les droits et devoirs des acteurs en présence. Est-ce un outil suffisant de développement et de croissance ? Dans quel sens ira la prochaine refonte de ce code ?
Le code minier de la France métropolitaine est en train d’être révisé aujourd’hui pour prendre en compte plusieurs nouveaux facteurs. Par exemple, l’écoute des populations locales en termes d’emploi ou d’environnement, ou encore pour sortir du débat « dé-carbonisation égale à désindustrialisation ». C’est aussi la question de la rente :
« Quel type de rente les collectivités doivent-elles obtenir de ces exploitations ? »
Enfin, il s’agit aussi de réfléchir sur l’environnement pendant l’exploitation et après celle-ci : financement, réhabilitation, réimplantation de la faune et la flore, voire développement économique (agriculture, tourisme…). Par ailleurs, dans certains pays moins matérialistes, les lieux ont une âme et une fois qu’un compromis a été trouvé avec les populations locales pour une exploitation minière, on peut imaginer que l’âme des lieux puisse être renouvelée grâce au concours des populations qui y habitent….
Les hydrocarbures de schiste suscitent beaucoup de controverses, notamment à propos de la fracturation hydraulique. Sommes-nous trop précautionneux ? Comment analyser-vous l’état du débat et les rapports de force en France à ce sujet ? Quelle est la place laissée à la recherche ?
Un premier point fondamental : nous avons là une démonstration que l’urgence entourant des théories du « Pick-Oil » sont une offense à la science. Grâce à cette dernière, au pire nous sommes sur un plateau et le pic est devant nous, quelque part. L’un des fondements de la pensée politique dogmatique, la raréfaction des ressources naturelles, ne s’est-il pas désintégré ?
« Dans le domaine des hydrocarbures de schiste, il faudrait laisser le dogme de côté et laisser l’ingénieur parler »
Dans le domaine des hydrocarbures de schiste, il faudrait laisser le dogme de côté et laisser l’ingénieur parler. Que compte-t-il faire, où en est de l’état des lieux, quelles avancées techniques ? Puis choisir par la suite. Il serait absurde de choisir avec des idées fondées sur le passé qui laisseraient les percées technologiques ou techniques de côté. Est-ce le cas en France ? Le problème est-il pris à l’envers ? N’y a-t-il pas une confusion, incompréhensible pour les techniciens, et entretenue dans les esprits ? La fracturation hydraulique existe et est utilisée en France depuis l’Après-Guerre ! (Fait qui n’apparaît jamais dans le débat public). De l’eau est utilisée pour fracturer la roche souterraine, et pas seulement pour les hydrocarbures : on utilise cette technique pour la géothermie profonde par exemple.
« La fracturation hydraulique existe et est utilisée en France depuis l’Après-Guerre ! »
Ce sont les additifs ainsi que la gestion de l’eau qui questionnent. Il faut donc poser clairement cette question. Aux États-Unis, il y a eu des inconséquences dans le passé car la technique des additifs en était à ses débuts. Mais cette technique a considérablement évolué et l’idée est d’utiliser des additifs biodégradables. Si les additifs proviennent de l’industrie agroalimentaire, et sont donc biodégradables, la barrière tombera dans les esprits. Pour la gestion de l’eau, les entreprises françaises sont les leaders mondiaux, leur a-t-on sérieusement demandés leur avis ?
La recherche sur les nouvelles techniques marche-t-elle ? Suffirait-il de libérer la parole pour connaître la réalité des hydrocarbures de schiste en France ?
Des ingénieurs et des sociétés sont investis dans le gaz de schiste : le secteur parapétrolier français est l’un des premiers au monde. Il opère essentiellement à l’étranger et les progrès réalisés dans les hydrocarbures sont accomplis, mais à l’étranger. Libérer la parole permettrait de confirmer que le débat démocratique a encore un sens ; encore faut-il que tout le monde puisse s’écouter. La Doctrine Ressources Naturelles doit être le fondement du débat démocratique avec toutes les informations possibles : notamment les perspectives que je développais sur le nationalisme des ressources dans un article qui s’intitule « lorsque le consommateur africain se réveillera, la Chine tremblera ».
« Libérer la parole permettrait de confirmer que le débat démocratique a encore un sens »
En France, si l’on a de l’huile et du gaz de schiste en quantité suffisante (le savoir demeure la première étape, interdite aujourd’hui) et que le modèle économique fondé sur cette ressource marche, nous serions probablement dans le premier cercle des performances. Faire une fracturation hydraulique pour savoir si une telle ressource est bien présente dans notre sous-sol est totalement différent d’une mise en exploitation à grande échelle. Mais on ne veut pas savoir car si l’essai est positif alors c’est un dogme qui s’effondre : celui de la raréfaction des ressources.
Aux États-Unis, Barack Obama se montre très réceptif sur les hydrocarbures de schiste : comment expliquer la différence avec le point de vue français ?
Tout d’abord, les Américains ont essuyé les plâtres pour la technologie de départ. Des erreurs ont certainement été faites Outre-Atlantique s’agissant de l’étanchéité des puits, de la gestion de l’eau, de la sismique ou des additifs employés mais parce que la technologie commençait. Bien évidemment la technologie a évolué, des améliorations ont été faites. Finalement interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste, ça serait comme interdire la construction automobile sous prétexte que l’on vient de voir un reportage sur la fabrication de la Ford T ! Aujourd’hui, tout le monde sait que l’on ne construit plus des automobiles comme au début du XXe siècle.
Par ailleurs, aux États-Unis, le sous-sol appartient aux propriétaires et non à l’État, comme cela est le cas en France. Par conséquent, le propriétaire du sol et du sous-sol en tire un revenu qui peut être intéressant. En France, la situation est différente et si rente il y a, il faudra que l’État central en tire sa juste part ainsi que les collectivités décentralisées (Régions, départements et communes) et donc indirectement les populations qui pourraient en supporter les désagréments. La rente est donc une question majeure de la modernisation de notre code minier qui s’appliquerait dans le cadre des hydrocarbures de schiste.
Que pensez-vous de l’idée selon laquelle l’exploitation, la production (voire l’exportation à long terme) de ces énergies sont sources de croissance ? Quel serait le bilan coûts-avantages de l’exploitation du gaz et de l’huile de schiste ?
Le seul exemple qui existe à grande échelle est celui des États-Unis. Là-bas c’est une source de croissance durable au regard des éléments dont nous disposons aujourd’hui. En termes d’emploi, le nombre de postes créés varie selon les estimations, j’entends parler de 1.7 millions emplois … Toutefois si c’est 600 000 emplois, pour une industrie naissante, c’est déjà un résultat satisfaisant. Cette source d’énergie rend compétitif tout un jeu d’industries en aval qui a besoin d’une énergie bon marché. Il suffit de visualiser la courbe du prix du gaz aux États-Unis pour constater qu’il y a eu une chute brutale et conséquente depuis que le gaz de schiste est exploité. Lorsqu’aux États-Unis, le prix du gaz est cinq fois moins cher qu’en Europe, il y a un avantage concurrentiel essentiel.
« Cette source d’énergie rend compétitif tout un jeu d’industries en aval qui a besoin d’une énergie bon marché »
Enfin, contrairement à ce qu’on entend ici et là, la transparence sur le sujet est réelle aux États-Unis, comme en témoigne par exemple le site internet Frac Focus : il permet de visualiser les éléments du puits d’à côté de chez soi : le nom de l’exploitant, le type de production, la profondeur, le volume d’eau, les additifs utilisés en fonction de l’avancée du processus, etc…
Je me demande pourquoi cet avantage concurrentiel états-unien sur les autres nations n’est pas compris, ni même pris en compte. Tout y est : emplois, dynamisme économique, transports, développement d’industries, indépendance énergétique, exportation d’énergie… Le débat en France est surprenant à cet égard : les mots gomment-ils les faits ?
Existent-ils d’autres pays fortement pourvus en hydrocarbures de schiste et qui adoptent une position différente de la France ?
Des pays ont une Doctrine Ressources Naturelles et notamment énergétique différente de la nôtre et tant mieux : comment serions-nous organisés si, par exemple, tous les pays du monde n’utilisaient que du charbon ou encore des éoliennes pour produire de l’électricité ? Pour les hydrocarbures de schiste la Chine semble y croire et en Europe, on parle de l’Ukraine, de la Pologne ou du Danemark. Je crois qu’on peut souligner l’exemple danois, pays très soucieux de la protection de l’environnement et très en avance dans ce domaine : l’entreprise Vestas, leader mondial dans l’éolien, est danoise. Mais le Danemark possède dans le même temps des usines électriques à charbon pour assurer le ruban électrique ainsi que des hydrocarbures offshore déclinants. C’est pourquoi, sur le gaz de schiste, les dirigeants danois acceptent de laisser l’exploration se faire dans un premier temps, notamment par une entreprise… française ! Et ensuite, au regard de ce qui a été trouvé, ils prendront les décisions adéquates et équilibrées. Pour le moment, c’est l’inverse chez nous.
« Les dirigeants danois acceptent de laisser l’exploration se faire dans un premier temps, notamment par une entreprise… française »
Si la France d’aujourd’hui avait été celle de l’Après-Guerre, jamais le gaz de Lac, éminemment soufré, n’eût été exploité. Aujourd’hui, on fait beaucoup moins confiance à la science et aux techniques que par le passé : cela est directement lié à nouveau aux dogmes de la pensée politique.
D’une part cette dernière fustige la recherche sur les hydrocarbures de schiste pour ne pas être prise en défaut sur l’idée de la raréfaction des ressources car le pick-oil est probablement encore à venir. Mais elle se rebelle à l’idée que nous utilisions notre stock de 8000 ans d’électricité nucléaire sans parler de la fusion nucléaire. Enfin sans évoquer les nouvelles dépendances qu’elles ouvrent, elle promeut les énergies climatiques dont le coût final sur la facture du consommateur reste un mystère sans parler de l’effet prix désastreux sur l’industrie. Toutefois, pour ma part je suis convaincu par l’énergie solaire sous ses différentes formes (à quand le chauffe-eau solaire obligatoire par exemple ?). Mais le solaire, dont le coût baisse, et l’éolien ouvrent de nouvelles dépendances : celle d’un climat qui évolue et celle de la nécessaire utilisation de matériaux stratégiques dans un contexte de consommation compétitive : car nous ne les avons pas en stock parce que, notamment, nous n’encourageons pas leurs exploration et extraction minière.
« Cette duplicité schizophrène est étrange, mais d’une certaine manière normale depuis l’abandon d’une réflexion stratégique globale sur notre Doctrine Ressources Naturelles«
Nous devrions être plus sage et nous souvenir que notre Doctrine Energétique avait pour but d’assurer un développement économique grâce, notamment, à une disponibilité électrique puissante, indépendante, non-intermittente, avec des prix abordables pour le consommateur urbain et rural ainsi que pour l’industrie. Depuis peu, d’aucuns sont tentés de modifier cette doctrine en y ajoutant d’une part l’effet de serre, c’est bien, et d’autre part en augmentant la part de l’électrique (35% de l’énergie environ aujourd’hui). Mais pour atteindre ces deux derniers objectifs, sans pour autant renier les premiers, nous devons renforcer notre Doctrine Energétique par une Doctrine Minérales (mines et métaux) et, en conclusion, être capable de choisir pour nous et pour les générations futures toutes les complémentarités offertes par la nature.
Propos recueillis par Matthieu Turpain.
Crédit photo: Mission Schiste
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