DSK avant « l’affaire »
Fondapol | 26 mai 2011
Michel Taubmann, Le roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, Paris, Editions du Moment, 2011
Ce livre est paru au début du mois de mai, soit deux semaines avant qu’éclate « l’affaire DSK ». Il propose un retour sur l’itinéraire de Dominique Strauss-Kahn en politique et autorise ainsi une lecture historique : tel est le parti pris de cet article.
Un parcours qui s’inscrit « naturellement » à gauche
Dominique Strauss est issu d’une famille de la classe moyenne juive dont les origines sont à rechercher en Alsace, en Tunisie et jusqu’en Ukraine. Il fait en outre partie de ces Français qui ont grandi outre-mer, dans ce qu’on appelait « l’Empire » sous la IIIe République : en l’occurrence à Agadir, au Maroc. Ses parents sont des intellectuels, soixante-huitards avant l’heure, qui ont de l’éducation une conception très libérale. Admirateurs de Léon Blum et de Mendès France, ils veillent à transmettre à leurs enfants de solides valeurs de gauche.
C’est en préparant HEC, où il entre en 1968, que l’étudiant Dominique Strauss commence à s’intéresser à la politique. En dépit de l’anti-communisme farouche de sa famille, il adhère à l’UEC (Union des étudiants communistes). Ce marxisme de jeunesse a quelque chose de piquant si on considère les procès en insincérité intentés plus tard par certains hommes de gauche à un Dominique Strauss-Kahn toujours trop à droite pour eux. Tel est en effet un des enseignements du livre de Michel Taubmann : par son éducation, sa formation et son itinéraire, Dominique Strauss-Kahn est incontestablement un homme de gauche.
L’aube d’une carrière universitaire
Brillant étudiant, Dominique Strauss accumule les diplômes : Sciences Po, licence de droit, maîtrise de statistiques, agrégation de sciences économiques. Mais il échoue à l’entrée de l’ENA – à l’instar de Christine Lagarde, qui pourrait aujourd’hui lui succéder à la tête du FMI. Il s’oriente alors vers une carrière universitaire.
Repéré par l’économiste André Babeau qui dirige à Nanterre un laboratoire du CNRS, Strauss se consacre à l’étude du comportement des ménages en matière d’épargne et soutient sa thèse de doctorat d’économie en 1977. Il se taille très vite la réputation d’un enseignant-chercheur « brillantissime et sympa ».
De la « première gauche » …
Ici se situe une des autres particularités de DSK dans sa génération de responsables politiques. Ni avocat ni haut fonctionnaire, il restera d’abord, et jusqu’à une date récente, un universitaire. Or, la vie politique en compte peu à notre époque, et rarement aux premiers rôles.
En réalité, le parcours de l’universitaire Dominique Strauss en politique ne peut être comparé qu’à celui de Raymond Barre : même enfance ultra-marine (le Maroc pour l’un, la Réunion pour l’autre), mêmes études brillantes, même reconnaissance dans le monde des économistes, même tentation de la politique contrariée par le goût de l’expertise, même répugnance aux logiques d’appareil, même apparent manque de détermination dès lors qu’il s’agit de se battre pour accéder au premier rôle…
Strauss joue toutefois précocement le jeu de l’engagement partisan, au contraire de Barre. C’est dans la seconde moitié des années 1970 qu’il s’engage au CERES de Jean-Pierre Chevènement. Ce courant situé à la gauche de la gauche modérée a joué un rôle déterminant au Congrès d’Epinay en 1971, en aidant François Mitterrand à accéder à la tête du Parti socialiste. Le CERES se distingue en outre, après la rupture du Programme commun, par son souci de maintenir un lien très fort entre le Parti socialiste et les communistes.
On le voit, Dominique Strauss, qui commence à signer « Dominique Strauss-Kahn », est alors loin de la social-démocratie. Avant 1981, il appartient clairement à cette « première gauche » qui dénonce « l’argent qui corrompt »… et lutte contre la « deuxième gauche » incarnée par Michel Rocard.
… à un keynésianisme plus pragmatique
C’est grâce à Jack Lang, rencontré à l’université de Nancy où ils enseignent tous les deux, que Dominique Strauss-Kahn se rapproche de la direction du PS. La période y est propice : à la fin des années 1970, Mitterrand bénéficie en effet de l’appui d’un « Groupe des experts » pour l’économie, où se mêlent de jeunes hauts-fonctionnaires et des chercheurs prometteurs. Dominique Strauss-Kahn y côtoie Paul Hermelin ou Jean-Hervé Lorenzi.
Cet expert engagé se distingue toutefois de nombre de ses camarades en refusant d’intégrer un cabinet ministériel après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle du printemps 1981. Lui préfère rejoindre le Commissariat général au Plan. Sa réputation est alors celle d’un expert qui fuit le militantisme et se place au-dessus des querelles de la rue de Solférino.
En 1983, il fait un premier pas vers une conception moins encadrée de l’économie en soutenant le tournant de la rigueur. Mais il demeure un keynésien au sens où les Français entendent ce terme, c’est-à-dire un économiste favorable à ce que l’Etat intervienne directement dans la vie économique, notamment par le biais de la planification industrielle.
Le socialisme au pouvoir, ou l’heure de la mue
A lire Michel Taubmann, il semble que ce soit en ces premières années du pouvoir socialiste que s’accomplit sa mutation. Le play bloy séduisant se substitue alors à l’universitaire barbu. Dominique Strauss-Kahn divorce, diversifie ses fréquentations… et poursuit son ascension sociale. Il n’est pas un homme d’appareil mais se rapproche du Premier secrétaire du Parti socialiste Lionel Jospin : le brillant économiste aux allures de dandy se situe dès lors dans le sillage du protestant austère.
Parachuté en Savoie en 1986, où il est élu à la faveur du scrutin proportionnel, puis à Sarcelles en 1988, dans un fief de gauche où il doit malgré tout batailler contre les communistes, DSK bénéficie très vite du soutien de trois fidèles lieutenants, ses « trois mousquetaires », qui eux sont de véritables politiques : Jean-Christophe Cambadélis, Pierre Moscovoci et Jean-Marie Le Guen. Un autre trait du personnage se révèle ici : sa propension en s’entourer d’un cercle de fidèles dont l’étreinte est parfois difficile à desserrer.
Un ministre pragmatique, ami des patrons
C’est à Edith Cresson plus qu’à un François Mitterrand qui l’apprécie peu que Strauss-Kahn doit son entrée au gouvernement en 1991, en tant que ministre de l’Industrie.
Six ans plus tard, son rêve s’accomplit : devenu Premier ministre, Lionel Jospin lui confie un « grand Bercy », auquel sont rattachés le Budget, l’Industrie, le Commerce extérieur et les PME. Dans un contexte favorable de forte croissance économique en Europe, il y mène une politique pragmatique qui suscite la confiance du patronat.
Il entretient du reste d’excellentes relations avec plusieurs de ses représentants. Certes le Medef doit supporter l’augmentation de l’impôt sur les sociétés et la création des 700 000 emplois-jeunes, mais DSK conduit avec succès l’ouverture du capital de nombreuses entreprises publiques. Mieux encore, il soutient une position modérée dans le débat sur l’application des 35 heures. Bref, il se construit une singularité et une image dans la famille socialiste : celles d’un social-démocrate pragmatique, qui partage les vues d’un Tony Blair ou d’un Gerhard Schröder. Forcément suspect pour cette « première gauche » à laquelle il appartenait encore dans les années 1980…
L’ambition de jouer le premier rôle
La suite est bien connue, de la candidature malheureuse à l’investiture socialiste en 2006 à la désignation comme directeur général du FMI l’année suivante. On peut néanmoins déplorer que le biographe ne s’attarde pas davantage sur le hiatus entre, d’une part, l’action de DSK à la tête du FMI et notamment les nécessaires politiques de rigueur imposées aux pays endettés, et d’autre part les positions classiques d’une gauche française encline à laisser filer les dépenses publiques.
Ce livre avait sans doute été conçu comme le « premier étage » d’une fusée DSK dont la mise à feu était prévue à l’occasion des primaires socialistes. D’où le sentiment de lire parfois une hagiographie, confinant au conte de fée, même si les échecs électoraux à Sarcelles ou les ennuis judiciaires (affaire de la MNEF, affaire Elf, affaire dite de la cassette Méry) n’y sont pas passés sous silence. Dans l’ensemble, cette biographie, avec ses maladresses, permet toutefois de relire, à travers l’itinéraire en politique de Dominique Strauss-Kahn, toute l’histoire du Parti socialiste depuis la fin des années 1970. Avec ses contradictions, ses évolutions, ses conversions.
Crédit photo, Flickr: Abode of Chaos
Aucun commentaire.