Du « président normal » au « président Ni-Ni » ?

Vincent Feré | 31 mai 2013


31.05.2013Du « président normal » au « président Ni-Ni » ?

Par Vincent Feré

La très faible cote de popularité de François Hollande, qui a atteint le plus bas niveau historique sous la Cinquième République renvoie à plusieurs explications : entre crise économique, crise sociale et crise morale, l’opinion publique n’a en effet pas tardé à se rendre compte que « le changement, ce n’était pas maintenant ». Mais François Hollande a été également victime d’un autre slogan de sa campagne électorale : « la présidence normale », un contresens historique et politique. Il cherche donc désormais à dessiner une autre figure présidentielle.

La présidence normale, un slogan de campagne électorale

« Je serai un président normal » avait déclaré le candidat Hollande. Il s’agissait évidemment de prendre le contrepied de Sarkozy le « mirobolant » – ainsi Léon Daudet désignait-il André Tardieu dans les années 1920 -. Hollande candidat a donc cultivé l’image de l’homme ordinaire, proche des Français, qui n’avait aucun goût pour la jet set, les Rolex et les yachts. Les premiers gestes du président ont du reste confirmé cette volonté de normalité : les pas de danse au son de l’accordéon le soir de l’élection, les voyages en train pour se rendre en province et à Bruxelles. Le bal musette plutôt que le Fouquet’s, le TGV plutôt que le Falcone. La communication est appuyée mais le message martelé a le mérite de la clarté : Hollande c’est l’anti Sarkozy.

Plus profondément, la présidence normale, c’est surtout une autre manière d’exercer le pouvoir, elle aussi aux antipodes de celle de Nicolas Sarkozy. Les principes en ont été posés dans la fameuse tirade anaphorique de l’entre-deux-tours : « moi, président de la République… », dessinant une présidence limitée – « je ne m’occuperai pas de tout » -, à l’écoute des citoyens – « j’aurai toujours le souci de la proximité avec les Français » -, respectueuse des pouvoirs judiciaire, parlementaire –« je ne serai pas le chef de la majorité » -, gouvernemental – « je ne traiterai pas mon premier ministre de collaborateur ». En somme, un président normal pour une présidence modeste. A la fin de son propos, François Hollande avait cependant tenu à revenir sur sa formule de campagne : « j’avais évoqué une présidence normale ; rien n’est normal quand on est président de la République ». De fait le pouvoir n’a rien à voir avec la normalité.

Un contresens historique

La normalité n’a jamais constitué un fondement du pouvoir politique, au contraire. Les figures incarnant le pouvoir suprême ont cherché précisément à se placer au dessus des gouvernés en puisant à trois sources principales l’origine de leur légitimité : la religion, la guerre et le suffrage universel.

Avec la religion, c’est la figure du roi sacré qui, parce qu’il a reçu l’onction, s’inscrit dans l’ordre sacerdotal, au sommet de la hiérarchie. Elle trouve son achèvement avec la personne du monarque absolu de droit divin qui ne rend de compte qu’à Dieu.

La légitimité du détenteur de l’autorité suprême peut également venir de la gloire des armes. Ainsi la Révolution française en conflit contre l’Europe coalisée finit par favoriser la prise de pouvoir du général vainqueur, Napoléon Bonaparte, dont le pouvoir repose sur ses victoires militaires, comme le prouve a contrario l’effondrement définitif du régime au lendemain de Waterloo.

Dans le cas de Bonaparte s’ajoute une autre source de légitimité, le suffrage universel. A chaque étape de son ascension en effet, Napoléon, en cela héritier de la Révolution, a pris soin de faire approuver par plébiscite le renforcement de son pouvoir personnel. Son neveu Napoléon III fera de même… et disparaîtra également dans la défaite militaire.

Notons au passage que les trois sources de légitimité ne sont pas exclusives les unes des autres. Napoléon Ier a ainsi fait venir le pape à Paris le 2 décembre 1804 pour la cérémonie du sacre, Louis XIV s’est voulu chef de guerre et, aujourd’hui encore, s’emploie couramment l’expression d’ « onction du suffrage universel » qui dit bien le caractère exceptionnel d’un pouvoir tenu du peuple souverain.

La présidence normale ne renvoie donc à aucune figure historique connue. Mais elle est également un contresens politique.

Un contresens politique

L’article 5 de la Constitution de 1958 est extrêmement clair s’agissant du rôle du Président de la République : « [il] veille au respect de la Constitution. Il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire (…) ». L’histoire politique depuis 1958 a largement validé l’interprétation de l’arbitrage donné par le président Pompidou lors de sa conférence de presse du 23 septembre 1971 : « gardez-vous de consulter le Littré, car vous y apercevriez que l’arbitre est quelqu’un qui dispose de tous les pouvoirs et qui décide souverainement ». La présidence de la Cinquième République, par définition, n’est donc ni modeste ni normale. Encore moins depuis le quinquennat qui comme l’avait compris Nicolas Sarkozy a renforcé la personnalisation du pouvoir. Encore moins en temps de crise où la culture politique française conduit naturellement l’opinion à se tourner vers l’homme providentiel.

Dans le fond, la présidence normale, slogan électoral qui a sans doute eu son efficacité pour le candidat, s’est révélée d’une redoutable dangerosité pour le président. François Hollande en a pris conscience et cherche à incarner une autre figure présidentielle.

Une présidence ni, ni ? 

Ni hyper-président comme Sarkozy, ni président normal. S’inspirant de François Mitterrand, François Hollande aurait-il repris à son compte la fameuse thématique du « ni, ni », appliquée jadis aux nationalisations et aux privatisations ? En tout cas il se pose depuis sa première conférence de presse le 13 novembre dernier en président qui « fixe le cap » (si l’on peut vraiment en l’occurrence parler de « cap »…) : la réduction des déficits, la restauration de la compétitivité ; orientation confirmée jeudi dernier et assortie d’une initiative en faveur de davantage d’intégration européenne. Il a au cours de l’hiver endossé le rôle du chef de guerre au Mali. Autant d’éléments qui semblent indiquer la fin de la présidence normale. Et qui, en l’absence de toute bonne nouvelle économique, explique peut-être la légère reprise actuelle de sa cote de popularité ? Pour autant, François Hollande ne se veut pas hyper-président et laisse les différentes tendances de sa majorité s’exprimer au sein même du gouvernement, au risque de brouiller le sens de son action. Et si son impopularité, qui reste, à plus de 70% de mécontents, bel et bien massive, venait justement de cette contradiction du « président Janus » fixant des orientations d’un côté mais refusant d’en assumer les conséquences politiques de l’autre ? La situation du Président est certes délicate dans la mesure où une partie des Français qui ont voté pour lui ne se reconnaissent pas dans le cap fixé. Une fois encore dans l’histoire récente, l’opinion publique s’aperçoit que le programme du président n’est pas celui du candidat. Une fois encore, le mécanisme même de l’élection présidentielle, source de désillusions, fait le jeu de populismes qui prônent comme solution à la crise le retour à la nation. Rien n’indique cependant que face à cette contradiction, l’esquive soit la meilleure stratégie ; au contraire. Tout laisse à penser qu’en temps de crise, l’habileté mitterrandienne – le ni, ni – est sans doute une réponse moins adaptée que la clarté mendésiste – « gouverner c’est choisir »-.

Crédit photo: Flickr,  Abderrahman Bouirabdane

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