École : le privé dans tous ses états
Fondapol | 17 décembre 2012
Ouvrage recensé : L’enseignement privé en France, Bruno POUCET, Coll. Que-sais-je ?, PUF, Paris, 2012.
2,2 millions d’élèves qui sont scolarisés dans l’enseignement de la maternelle au supérieur. Au total, près d’un enfant sur deux, au cours de sa scolarité, passe par le secteur privé. Pourtant, l’enseignement privé a suscité peu de travaux et contrairement à l’école publique, demeure mal connu des sciences sociales. L’ouvrage de Bruno Poucet vient opportunément combler ce manque. Historien de l’éducation, spécialiste reconnu de l’enseignement privé, l’auteur propose ici une analyse à la fois chronologique et transversale de cette branche très hétérogène de l’éducation.
Un phénomène social largement inconnu
L’enseignement privé est mal connu des sciences sociales. Les données factuelles et analyses le concernant sont rares. A la différence du secteur public, scruté depuis des années par le département des statistiques de l’Education nationale (DEPP) mais aussi par les sciences de l’éducation et la sociologie de l’école, le privé a suscité peu de travaux. Pourtant, ce sont près de 2,2 millions d’élèves qui y sont scolarisés, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Au total, près d’un enfant sur deux, au cours de sa scolarité, passe par le secteur privé.
L’ouvrage de Bruno Poucet vient opportunément combler ce manque de repères sociologiques sur le sujet. Historien de l’éducation, spécialiste reconnu de l’enseignement privé, l’auteur propose ici une analyse à la fois chronologique et transversale d’un secteur très hétérogène. En effet, si l’étiquette du « privé » paraît désigner un ensemble, en son sein coexistent des établissements, des écoles et des institutions de nature très diverse.
L’enseignement privé : une histoire mouvementée, au cœur des passions scolaires
Dès la Révolution française, l’Etat français a pour ambition de mettre en place une politique scolaire pour tous, hors de l’Eglise. Un tel projet est déjà présent dans les principes édictés par Condorcet pour son école de la République. Par-delà les régimes, à partir de de la loi Guizot de 1833, cet effort a favorisé l’émergence d’un système éducatif public organisé nationalement, notamment dans le premier degré (lois Ferry de 1881 et 1882, loi Goblet de 1886). Cependant, l’enseignement privé continue à exister en parallèle.
S’il est très largement catholique, il est aussi divers que l’enseignement public au tournant du 20ème siècle. Comme le souligne Bruno Poucet, l’école privée n’est pas uniforme sociologiquement et géographiquement. Des établissements d’élite, dans le second degré ou l’enseignement supérieur (lycée Sainte-Geneviève, Institut catholique de Paris) coexistent avec un privé plus populaire, notamment dans le premier degré et dans les territoires catholiques de l’ouest de la France.
L’héritage paradoxal de Vichy
Un premier tournant fondamental a lieu sous l’Occupation. A la suite du rapprochement de l’épiscopat et du régime de Vichy, l’enseignement privé sera financé par les pouvoirs publics. Ainsi, au sortir de la guerre, il devient dépendant des aides publiques pour son bon fonctionnement (jusqu’à 75% dans certaines écoles du premier degré). Dès lors, et contrairement à sa position jusqu’aux années 1930, l’enseignement privé milite pour un financement public, ce que le camp laïc, influent dans la gauche française, conteste avec véhémence.
Entre querelles et apaisement
Un cadre juridique inédit s’installe avec la loi Debré de 1959, qui instaure un financement contractuel du privé : les aides reçues ont pour contrepartie le respect d’un contrat avec l’Etat[1], notamment concernant les programmes. Cette loi suscite la méfiance tant du camp laïc que des partisans d’un enseignement privé indépendant (qui craignent une étatisation progressive par les contrats). L’école privée devient alors un objet régulier de controverses politiques jusqu’en 1984.
Alors que l’enseignement privé sous contrat s’installe dans l’opinion, la gauche promeut de la loi Debré jusqu’à son arrivée au pouvoir l’idée d’une nationalisation du secteur privé sous contrat. Devant les protestations, le gouvernement devra retirer son projet de « loi Savary » en 1984. C’est la fin d’un cycle d’affrontements entre Eglise et école publique ouvert sous Jules Ferry, la question de la laïcité et de l’école se portant sur d’autres sujets (ainsi les signes religieux à l’école dès 1989). En 2008, l’enseignement supérieur catholique se voit reconnaître par l’accord entre la France et le Vatican la collation des grades universitaires : il peut désormais délivrer ses propres diplômes.
Une école privée, des écoles privées ?
Comme le souligne Bruno Poucet, la loi Debré a entraîné des transformations paradoxales. D’une part, elle a affaibli l’emprise de l’Eglise sur l’enseignement privé catholique, dont le succès doit fort peu à son étiquette confessionnelle. Le privé a les faveurs d’une opinion plus attachée à la liberté de choix scolaire qu’à un projet éducatif évangélique. Le système de contrat est d’ailleurs rejeté par les catholiques et les évangéliques les plus militants, qui souhaitent un secteur scolaire sans financement – et donc sans droit de regard – de l’Etat. La « Fondation pour l’école » d’Anne Coffinier, fondée en 2004, porte ainsi cette demande, aux côtés de la mouvance traditionnaliste qui possède ses propres établissements.
Un secteur composite
Derrière son succès, l’enseignement privé est en réalité de plus en plus diversifié. En marge de la masse des établissements catholiques sous contrat, existent des écoles établissements de « niche ». C’est le cas de l’enseignement privé protestant, qui reste confidentiel, des écoles juives (estimés à 90 000 élèves) et des établissements musulmans, plus récents mais qui semblent avoir le vent en poupe.
Au-delà des écoles confessionnelles, les partisans d’une pédagogie différente (ainsi les méthodes pédagogiques dites « Freinet » ou « Montessori »[2]) constituent une partie active de ce secteur. Enfin, un secteur privé laïque, représenté fortement dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement commercial, reste vivace.
Des publics variés, des attentes contradictoires ?
Comme le relève Bruno Poucet, l’enseignement privé est aujourd’hui à la croisée des chemins. Son succès le légitime, tout en étant une source supplémentaire de complexités. En effet, entre ouverture à de nouveaux publics et volonté de maintenir son identité, entre banalisation croissante et fragmentation de son paysage, entre l’aspiration à l’innovation pédagogique et la recherche par les familles d’un cadre sécurisé et rassurant, le privé doit composer avec des attentes contradictoires. Ce n’est pas les moindres des enseignements de cet ouvrage aussi clair que passionnant.
Ismael Ferhat.
[1] La loi Debré reconnaît un contrat « simple » (moins contraignant pour l’établissement) plutôt utilisé dans le premier degré, et un « contrat d’association » (plus contraignant), dominant dans le second degré.
[2] Célestin Freinet (1896-1966) est un pédagogue partisan de méthodes d’apprentissage collaboratives. Maria Montessori (1870-1952) est une médecin et spécialiste de l’éducation, basée sur l’importance de l’observation. Les deux mouvements sont
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