Élections départementales : focus sur la gestion des finances publiques locales

Julien Barlan | 19 mars 2015

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Par Julien Barlan

D’ici la fin du mois mars auront lieu en France les élections départementales 2015. Ce scrutin nous offre l’occasion de nous pencher sur la question de la fiscalité locale, sujet opaque sur lequel les collectivités souvent se gardent bien de communiquer, nous allons voir pourquoi.

Passe encore que ce cru électoral 2015 revête un caractère ubuesque –  les contours définitifs de la réforme territoriale n’étant en effet pas encore totalement arrêtés, les futurs élus ignorent le contenu exact du job qu’ils seront amenés à exercer – l’approche de ce scrutin est l’occasion de mettre la lumière sur ce qui n’est rien d’autre qu’une scandaleuse gabegie financière. Aussi, un tel exercice permet aussi de relier à la théorie économique des faits empiriquement mesurés. De plus, nous verrons pourquoi que ce scrutin et ses enjeux s’inscrivent pleinement, et hélas logiquement, dans le contexte de défiance montante à l’égard du politique.

Petit rappel d’économie

Le principe de « l’équivalence ricardienne » nous enseigne qu’une hausse du déficit induit par de la dépense publique supplémentaire conduit à une anticipation de hausse de la fiscalité par les contribuables. Ceci a deux conséquences. Un premier effet direct est matérialisé par une augmentation de l’épargne au détriment de la consommation, ce qui impacte négativement la croissance économique. Nous verrons qu’en cette période de timide reprise – j’ai eu l’occasion d’en étudier les principales raisons ici – un tel enchaînement pourrait tuer dans l’œuf cette dernière. Puis dans un second temps la montée en puissance du sentiment de ras-le-bol fiscal devant des prélèvements toujours plus importants, aussi appelé « effet de Laffer », conduit par ricochet à un « effet d’éviction », c’est-à-dire une baisse de l’investissement privé. En d’autres termes, à partir d’un certain niveau d’imposition, la fiscalité devient contreproductive.

L’effet de Laffer : trop d’impôt tue l’impôt

Un sondage[1] paru récemment confirme une intuition de plus en plus pressante : une très large majorité des contribuables s’attend à une augmentation de la pression fiscale exercée par les collectivités locales. En effet, 74% des contribuables interrogés pense que la fiscalité locale va augmenter, 24% qu’elle va stagner. Autrement dit, seulement 2% pense qu’elle va baisser !

Ceci est d’autant plus inquiétant que cette hausse des impôts locaux n’est pas en ligne avec les fondamentaux économiques. La responsabilité incombe directement au gouvernement  qui s’est appuyé sur l’hypothèse d’une inflation à 0,9% cette année pour faire voter dans la loi de Finances 2015 une revalorisation des valeurs locatives. Concrètement, cela impacte directement les impôts locaux qui sont sensés suivre l’évolution des prix.  Mais comme l’inflation sera finalement proche de 0% en 2015, cette hausse est injustifiée et va étrangler encore plus les contribuables locaux.

Ces derniers ont donc raison d’anticiper un accroissement de la fiscalité locale après les départementales de mars 2015, hausse non justifiée par le contexte économique qui reste quand même très atone. Malheureusement cette pression fiscale supplémentaire aura un effet désastreux sur la faible reprise économique. Que ce soit sur les ménages ou les entreprises, l’effet est tout autant destructeur. Dans le premier cas il conduit à une baisse de la consommation, premier moteur de croissance, dans le second il impacte négativement les trésoreries avec des conséquences à terme sur l’investissement et l’emploi. Dernier exemple en date : une taxe de 140 millions d’euros sur les entreprises en Ile de France, taxant le stationnement et le foncier pour financer les infrastructures du Grand Paris. L’effet de Laffer et ses conséquences sur l’économie semblent bel et bien se matérialiser.

Une cassure entre les élites politiques et les citoyens ?

Concrètement, cette pression fiscale permanente sur les contribuables locaux, malgré les fumeuses promesses répétées  de baisses ou de statuquo, est une réalité que vivent les électeurs. En conséquence de quoi, ces derniers ayant perdu toute illusion dans la capacité du politique à prendre des décisions correctes s’apprêtent à massivement bouder le scrutin à venir.  Car un véritable ras-le- bol s’est installé. Le même sondage met en effet en lumière que83% des contribuables souhaitent une baisse des dépenses et 75% souhaite une baisse du gaspillage. Dans le même temps, nos concitoyens restent attachés à certains services publics : dépenses de santé, éducation, services de proximité.

La conclusion de cela est qu’il faut impérativement baisser la dépense de fonctionnement au profit de l’investissement, comme le rappelle par exemple rapports après rapports la Cour des Comptes dont on se demande encore comment il est possible que ses conclusions indépendantes ne soient pas plus contraignantes. Un exemple est frappant : la masse salariale des collectivités locales a bondi de 4% en 2014, dans un contexte d’inflation nulle et de modération sur les salaires des Français toujours plus imposés. Comment ne pas comprendre l’exaspération ?

La gestion des finances locales : où est la morale ?

La gestion des finances à l’échelon local semble être une gabegie permanente,  trop souvent caractérisée par des dépenses clientélistes à l’approche des élections comme l’illustre ces augmentations de salaires. Il en va de la responsabilité morale des futurs décideurs de s’engager sur la voie de l’assainissement des finances publiques, en gardant à l’esprit qu’il s’agit avant tout de l’argent des contribuables. Quand ces derniers ne votent plus, quand l’abstention devient le premier parti de France, c’est indiscutablement un carton rouge qui est envoyé.

Comme le rappelle Jean Nouailhac dans Le Point[2], il s’agit encore une fois d’un arrangement avec la réalité économique : « avec + 4 % en 2014, la masse salariale des « territoriaux » aura augmenté de 11 % en trois ans alors que l’inflation durant cette période n’aura été que de 3,4 % ». Ce chiffre est effrayant lorsque qu’il est comparé avec l’évolution du SMIC en 2015, de 0,8%, soit 8 euros seulement en plus par mois. Ou aux prévisions de l’INSEE, qui parle de « modération salariale » de 2% pour caractériser la modeste hausse de l’ensemble des salaires à venir en 2015. Ce décalage avec les augmentations de salaires pour les salariés du privé contribue à l’instauration d’un climat de défiance permanent des électeurs vis-à-vis du pouvoir et de ce qui l’exercent. Et quand dans le même temps, François Hollande supprime la journée de carence qui s’appliquait aux fonctionnaires en cas d’absence mais que cette dernière est maintenue pour les salariés du secteur privé, il se crée une injustice considérable que nos concitoyens ne supportent plus.

Enfin, que dire des conséquences économiques désastreuses d’une telle politique… La Fondation iFRAP relève par exemple un bon de l’absentéisme dans les collectivités locales de 18% entre 2007 et 2013 directement lié au jour de carence en mois. On apprend ainsi que l’absentéisme peut représenter jusqu’à 7 semaines au total sur un an dans les collectivités !

Donc si l’on résume, les contribuables paient de plus en plus d’impôts, voient leurs salaires stagner pendant qu’ils se serrent la ceinture, et dans le même temps des cadeaux (augmentations, absences, retraite…) sont faits à la base électorale de la gauche en période électorale. Comme le disait Jacques Chirac, décidemment, plus c’est gros et mieux ça passe.

Ce mécontentement de la population à l’égard de ce gaspillage clientéliste représente à la fois un défi et une opportunité. Un défi car il nourrit l’abstention et gonfle par ricochet le vote extrême, ce qui illustre le rejet de plus en plus fort des citoyens envers une caste dirigeante vue comme incapable de prendre des décisions améliorant leur quotidien. Manuel Valls peut devenir rouge tomate en hurlant à l’Assemblée nationale comme il en a pris l’habitude de le faire, que ça ne changerait rien. Peut-être ferait-il bien de voir ce rejet des politiques menées par le PS à l’échelon local, qui contrôle la quasi-totalité des collectivités, comme une opportunité d’enfin faire autre chose dans ce pays, de mettre l’action politique au service des citoyens et non l’inverse, d’arrêter de favoriser certains aux détriments d’autres pour des raisons électorales, d’enfin libérer les classes moyennes étranglées par un joug fiscal qui se resserre jour après jour.  Pour quelqu’un qui parle de « justice » et « d’esprit du 11 janvier » toutes les cinq minutes, ce serait quand même un minimum.

Mais ne nous y trompons pas : le même raisonnement s’appliquera à l’UMP au lendemain de ces élections qui s’annoncent favorables pour le principal parti d’opposition. Réformons et changeons maintenant, pour de vrai, ou en 2017 il ne faudra pas venir pleurer.

Crédit photo : GotCredit

[1] Opinionway pour BFM Business et Le Figaro : http://bfmbusiness.bfmtv.com/france/sondage-3-francais-sur-4-prevoient-des-hausses-d-impots-locaux-taxe-d-habitation-et-fonciere-865525.html

[2] http://www.lepoint.fr/politique/nouailhac-l-incroyable-gabegie-des-collectivites-territoriales-23-02-2015-1907096_20.php

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